Sawato Midori, profession « benshi » : la voix japonaise du cinéma muet

Personnages Cinéma

Sawato Midori est benshi, tour à tour narratrice, conteuse et doublure d’acteurs, son travail est de mettre en voix les films muets. Cet art de la parole a fait florès pendant plus d’un siècle et ses prestations données en direct pendant les projections font salles combles.

Sawato Midori SAWATO Midori

Née à Tokyo. Disciple de Matsuda Shunsui, elle fait ses débuts comme récitante (benshi) en 1973. Sa prestation au Festival d’Avignon en 1988 lance sa carrière à l’international. Couronnée de nombreux prix, elle reçoit celui du Japan Film Pen Club en 1990 ainsi que le prix d’excellence de l’Agence des Affaires culturelles qu’elle obtient au Festival des arts de 2002 dans la catégorie « performance dramatique ». En 2010, elle remporte également le titre de « Master of Sound » décerné par la Japan Audio Society.

Un travail de fourmi

Pendant sa formation, elle assure la première partie des projections et donne sa voix à des courts métrages. On l’entend notamment sur The Rink de Charlie Chaplin (Charlot patine, sorti en 1916). C’est en faisant encore et encore la narration d’un petit répertoire de films, qu’elle forge son style.

Elle explique : « Pour interpréter un long métrage, il faut bien le comprendre et le maîtriser d’un bout à l’autre. Il faut connaître le contexte historique et comprendre le propos du réalisateur, son message. Il faut donc vérifier une infinité de détails et bien connaître la filmographie des acteurs. Or, jadis internet n’existait pas, je me demande comment je faisais pour arriver à vérifier tous ces détails. »

Le plus difficile était d’écrire son texte. Sawato souligne qu’à ses débuts, la vidéo n’existait pas encore. Pour visionner les films, il fallait se rendre chez Matsuda. « Je visionnais chaque film trois fois, en m’efforçant d’en mémoriser l’histoire, puis je rentrais chez moi et j’écrivais mon texte. Une fois rédigé, je retournais chez lui, j’essayais ma narration et je faisais les corrections nécessaires pendant le visionnage. » Mais les films étaient si fragiles, qu’il était impossible de demander des projections à répétition sous peine de les endommager. « Une fois mon texte finalisé, je testais ma narration en une projection et Matsuda me donnait ses conseils. »

Sawato Midori pendant sa narration de L’Heure suprême (1927).
Sawato Midori pendant sa narration de L’Heure suprême (1927).

Invitations à se produire à l’étranger

En 1988, alors qu’elle fête sa quinzième année de carrière, Sawato à la chance de pouvoir se produire au Festival d’Avignon en France, c’est pour elle l’occasion de présenter son art au monde entier. Elle sera invitée par la suite à participer année après année à de nombreux festivals aux États-Unis, en Australie, au Brésil, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas, en France ou en Belgique.

Une prestation donnée en 1990 à Anvers, en Belgique, la marque plus que les autres. À la fin du film, les spectateurs ne quittent pas la salle, ils restent et l’assaillent de questions. « Le coordinateur américain me servait d’interprète. C’était passionnant d’entendre toutes ces questions si inattendues. On me demandait comment j’écrivais mon texte ou comment je m’entraînais à mes débuts. On cherchait à savoir si je pouvais vivre de mon travail. J’ai vraiment apprécié cet échange. Un des spectateurs, qui enseignait dans une université japonaise, a même demandé à voir mon texte. » Après la projection, elle part se changer en coulisses, mais au moment de quitter la salle elle voit que plusieurs personnes l’attendent à la sortie dans le froid de novembre. La discussion qui s’ensuit sera très intéressante.

Sawato pendant sa prestation à Anvers en 1990. (Photo avec l’aimable autorisation de Matsuda Film Productions)
Sawato pendant sa prestation à Anvers en 1990. (Photo avec l’aimable autorisation de Matsuda Film Productions)

Une émotion rare

Cela fait maintenant plus de 50 ans que Sawato travaille comme récitante. Grâce à Matsuda Film Productions, elle continue à se produire tous les mois dans des salles de Tokyo ou à l’occasion de festivals dans tout le Japon.

Et pourtant, nombreux sont ceux qui pensent que les films muets en noir et blanc et leurs narrateurs sont bel et bien condamnés à disparaitre. Sawato serait-elle la dernière de sa lignée ?

Non ! De jeunes narrateurs sont là, ils prennent la relève, ils ont trente ou quarante ans, ont forgé leur propre style et se produisent dans tout le Japon. Citons les noms de Kataoka Ichirô, le tout premier disciple de Sawato, et Sakamoto Raikô. Sawato souligne avec un grand sourire qu’à 24 ans, son tout dernier disciple vient tout juste de sortir de l’université.

À notre époque, rien de plus simple que de voir des films, de les voir autant de fois que l’on veut et sans même devoir se rendre dans un cinéma. Tout est accessible à domicile. Mais assister à une projection avec musique et narration, c’est un spectacle vivant, unique et vibrant. Quand il y a synergie et que le narrateur entre en résonance avec la salle, la tension est palpable. C’est exceptionnel. Voilà pourquoi le public continue de se déplacer pour assister aux séances. Ils ont hâte d’entendre la prestation de Sawato. Elle, est impatiente de voir comment ses successeurs feront encore évoluer cet art de la parole centenaire. « J’espère que la nouvelle génération de récitants aura à cœur de perpétuer la tradition et saura y apporter sa propre touche. »

Sawato Midori
Sawato Midor.

(Texte et interview de Daniel Rubio et Kobayashi Nagi, de Nippon.com. Photo de titre : Sawato Midori pendant sa prestation lors de la projection du court-métrage de Buster Keaton intitulé Malec l’insaisissable au Kinokuniya Hall à Shinjuku. Photo prise à Tokyo, le 29 décembre 2023. Toutes les photos : © Kodera Kei, sauf mentions contraires)

Tags

travail cinéma femme personnalité

Autres articles de ce dossier