Le « voyage vers la lumière » du peintre Oscar Oiwa

Art Culture

Tim Hornyak [Profil]

L’artiste brésilien d’origine japonaise Oscar Oiwa peint des toiles éthérées tour à tour sombres et lumineuses, où le tragique voisine souvent avec l’humour. Nous nous sommes entretenus avec lui lors de son passage au Japon à l’occasion de la grande exposition personnelle « Voyage vers la lumière » (Journey to the Light) que lui a consacré le Musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa. (Note : du 3 mai au 12 juin 2023, ses créations sont à admirer au Lurf Museum, dans le quartier de Shibuya, à Tokyo.)

Un monde inquiétant en proie à de multiples menaces

Les œuvres présentées dans le cadre de la rétrospective du Musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa sont regroupées en six « chapitres » intitulés respectivement : « New York au milieu des vagues » (Waves in New York City), « Les États (dés)Unis d’Amérique » ((Dis)United States of America), « La vie est un éternel voyage » (Life is an Eternal Journey), « Un monde très imparfait » (A Very Imperfect World), « La quête de la lumière » (Aiming for Light), et « Après tout, nous restons pleins d’espoir » (After All, We Remain Hopeful). Outre des peintures, elles incluent des dessins et des sculptures.

« Il m’a fallu dix ans pour créer les œuvres de cette exposition. Les spectateurs devraient donc prendre tout leur temps pour s’en imprégner », déclare Oscar Oiwa. « J’espère qu’il n’y aura pas trop de monde dans le musée quand ils viendront le visiter, de façon à ce qu’ils puissent regarder mon travail en détail. »

On ne voit pratiquement aucun être humain dans les œuvres d’Oscar Oiwa, ce qui donne au spectateur une sorte d’impression de distanciation par rapport au malaise ambiant engendré par la mondialisation ainsi que la politique et la société américaines. Dans l’introduction au chapitre « Les États (dés)Unis d’Amérique » ((Dis)United States of America) de son exposition, Oscar Oiwa a écrit ce qui suit à propos de l’élection du président Barack Obama. « Le mot-clef de l’époque était ‘espoir‘. Il semblait que les choses allaient un peu mieux. Mais huit ans plus tard, c’est Donald Trump qui lui a succédé. Le Congrès est complètement divisé. On se croirait dans un cirque. La Maison Blanche est un dans un tel état de chaos qu’on a l’impression de rêver. J’espère seulement qu’il n’y aura pas de guerre. »

« Le Grand cirque » (Big Circus), huile sur toile, 2011, 2,27 m x 3,33 m. Collection de l’artiste. © Oscar Oiwa Studio
Big Circus « Le Grand cirque », huile sur toile, 2011, 2,27 x 3,33 m. Collection de l’artiste. © Oscar Oiwa Studio

Certaines créations du peintre mettent en scène de façon allégorique un environnement urbain en ruines ou dévasté par une catastrophe. Les deux huiles sur toile City from the Past (« Ville du passé ») et City from the Future (« Ville de l’avenir ») qu’il a peintes en 2008 sont particulièrement éloquentes à cet égard. Elles montrent la transformation d’un pâté de maisons délabré d’une ville chinoise dominé par un portrait de Mao Zedong en quartier chic où les galeries d’art voisinent avec un café Starbucks, un restaurant McDonald’s et même une fourgonnette des services de livraison FedEx. La seule chose qui n’a pas changé, c’est le portrait de Mao.

(en bas) « Ville du passé » (City from the Past). (en haut) « Ville de l’avenir » (City from the Future). Ces deux toiles réalisées en 2008 font partie de la rétrospective consacrée à Oscar Oiwa par le Musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa. Elles mesurent chacune 2,27 mètres sur 4,44 mètres et représentent toutes les deux le même quartier d’une ville chinoise avant et après sa modernisation. Leur seul point commun est l’immuable portrait de Mao Zedong. ©Tim Hornyak
(En bas) City from the Past (« Ville du passé »). (En haut) City from the Future (« Ville de l’avenir »). ©Tim Hornyak

En 2013, Oscar Oiwa a réalisé une autre peinture de grandes dimensions à laquelle il a donné le nom évocateur d’Accident. On y voit un camion-citerne renversé au bord d’une route sinueuse de montagne surplombant un précipice. Les produits toxiques qu’il contient sont en train de se déverser dans la vallée située en contrebas et de la polluer en lui donnant d’étranges couleurs rappelant celles d’un arc-en-ciel.

« Accident », huile sur toile, 2013, 2,27 m x 4,44 m. Collection de l’artiste. © Oscar Oiwa Studio
« Accident », huile sur toile, 2013, 2,27 m x 4,44 m. Collection de l’artiste. © Oscar Oiwa Studio

Swirl (« Le tourbillon »), une huile sur toile de 2011, montre quant à elle un effrayant maelström en train d’engloutir des paillettes lumineuses provenant d’une ouverture circulaire qui pourrait fort bien correspondre à la partie inférieure d’un ovni. Dans le même temps, un orchestre à cordes semble faire écho au tourbillon vertigineux de l’océan. Des haut-parleurs déversent une bande-son intitulée The Dreams of a Sleeping World (« Les rêves d’un monde endormi ») que le travail d’Oscar Oiwa a inspirée au compositeur américain Chad Cannon, auteur par ailleurs de la musique de plusieurs films célèbres dont Le Hobbit, Comme des bêtes et American Factory.

« J’aime collaborer avec d’autres artistes, en particulier les musiciens, les photographes et les vidéastes », ajoute Oscar Oiwa. « Composer de la musique à partir d’œuvres d’art est quelque chose de très compliqué dans la mesure où il faut écrire une partition différente pour quinze à vingt instruments. Pour moi coopérer avec des musiciens est très intéressant parce que mon art est visuel et le leur de l’ordre du son. Bien que nous travaillions dans des registres complètement différents, nous arrivons à nous entendre. C’est un peu comme au cinéma où l’image fait corps avec la bande-son. »

Suite > Le secret du bonheur : une quête constante de la lumière

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Tim HornyakArticles de l'auteur

Journaliste né à Montréal, au Canada. Diplômé en journalisme de l’Université de Carleton à Ottawa, il a travaillé notamment pour Kyodo News, NHK, CNet, IDG News pendant 20 ans. Il a écrit de nombreux ouvrages sur les inventeurs japonais, les ingénieurs, les roboticiens et des scientifiques ayant reçu le prix Nobel. Ses travaux ont fait l’objet d’articles dans diverses publications telles que Nature, Science, Scientific American et sur Internet. Il est également l’auteur de Loving the Machine: The Art and Science of Japanese Robots et a contribué à la rédaction de plusieurs guides de voyage Lonely Planet. Il habite à Tokyo depuis 12 ans.

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