Le « voyage vers la lumière » du peintre Oscar Oiwa
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Des œuvres aussi fascinantes que gigantesques
Les œuvres d’Oscar Oiwa ont quelque chose d’envoûtant, comme si elles donnaient accès à d’autres mondes. Ses toiles minutieuses et colorées sont tout aussi gigantesques que fascinantes. Certaines font plus de 2 mètres de haut sur 6 de large et représentent des paysages urbains envahis par les eaux, des maelströms et des forêts profondes scintillant dans la lumière émise par de mystérieux feux follets.
D’avril à août 2019, le Musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa (préfecture d’Ishikawa, à environ 300 km à l’ouest de Tokyo) a proposé au public une rétrospective intitulée Journey to the Light (« Voyage vers la lumière ») qui retrace le parcours de cet artiste plasticien aux multiples visages dont le travail relève aussi bien de la fantasmagorie et des préoccupations politiques que de l’humour. De même, de septembre à décembre 2019, la Maison de la culture de Japon à Paris (MCJP) a exposé par ailleurs trois nouveaux dessins monochromes géants de 6,7 mètres de long d’Oscar Oiwa.
Rétrospective Oscar Oiwa : Journey to the Light (« Voyage vers la lumière »)
Peinture murale intituléeWoods (« Bois »), 2019. Stylo marqueur et encre acrylique, 27 x 4 mètres. Du 27 avril au 25 août 2019, Musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa.
Oscar Oiwa est réputé pour les dimensions souvent exceptionnelles de ses travaux. En 2018, il a créé pour la Japan House de Sao Paulo une installation immersive à 360° appelée « Paradis » (Paradise), qui figure au nombre des plus grandes œuvres picturales du monde. L’artiste lui a donné la forme d’un dessin en noir et blanc au stylo marqueur rempli de nuées tourbillonnantes qui s’inscrit dans l’espace d’un ballon gonflable en vinyle géant de la taille d’une maison.
L’exposition Journey to the Light qui présente actuellement une soixantaine de ses œuvres récentes au Musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa abrite quant à elle une peinture d’une taille impressionnante, 27 mètres de long sur 4 de haut, couvrant un mur entier de l’établissement (voir la vidéo ci-dessus). Il a fallu près de 90 heures à Oscar Oiwa et aux huit personnes qui l’ont assisté pour l’achever. Cette immense fresque aux allures de bande dessinée intitulée Woods (« Bois ») met en scène un chat et un lapin dans une forêt baignée de lumière, avec le souci du détail proche de l’obsession caractéristique de l’artiste.
« C’est l’œuvre sur un seul support la plus grande que j’ai réalisée », précise Oscar Oiwa. « À l’heure actuelle beaucoup de gens ont recours aux médias numériques, mais depuis l’âge des cavernes, les hommes ont toujours dessiné. Nos enfants continuent à faire des dessins mais les adultes ont complètement oublié comment il faut s’y prendre. Je veux revenir à cette façon très simple de faire une œuvre d’art en traçant des lignes au stylo marqueur sur un mur ou un ballon. »
Une histoire personnelle tout à fait singulière
L’œuvre d’Oscar Oiwa a été profondément influencée par l’histoire personnelle tout à fait singulière qui est la sienne. Bien que nés tous les deux au Japon, ses parents se sont rencontrés au Brésil au début des années 1950, dans le cadre de la vague d’émigration japonaise vers ce pays qui a commencé avec le XXe siècle. L’artiste est né en 1965 à Sao Paulo. À la maison, il parlait sa langue maternelle, mais ses contacts avec la culture japonaise sont restés limités jusqu’à ce qu’il se rende pour la première fois dans l’Archipel, à l’âge de 20 ans. Il a manifesté un goût pour le dessin dès son plus jeune âge et il s’est initié à la peinture à l’huile au lycée. Par la suite, il a appris non seulement à utiliser les pigments acryliques et l’aquarelle mais aussi à travailler le métal et à faire des bijoux. Le père d’Oscar Oiwa collectionnait les livres d’art et il a transmis à son fils son amour pour les grands maîtres de la peinture japonaise et hollandaise et le peintre de paysages anglais John Constable (1776-1837).
Pendant ses études d’architecture et d’urbanisme à l’Université de Sao Paulo (USP), Oscar Oiwa a participé à la Biennale internationale d’art de cette ville où il a rencontré des artistes contemporains, notamment le peintre et sculpteur américain Keith Haring (1958-1990) qui s’est illustré dans le pop art et le street art. Il reconnaît volontiers que celui-ci a joué un rôle décisif dans sa vocation artistique. Après l’obtention de son diplôme, en 1989, il a travaillé en tant qu’architecte tout en continuant ses activités picturales. Et il a vécu tour à tour à Tokyo, à Londres et à New York où il a fini par s’installer en 2002, à l’âge de 37 ans, un an après les attentats terroristes de 2001.
« Mon premier pays, c’est le Brésil, et après vient le Japon », explique Oscar Oiwa. « Je vis à New York où je me sens bien mais je n’ai pas l’impression de faire partie de la culture des États-Unis, parce que je n’ai pas grandi ici. Je suis né au Brésil et j’y ai passé mon enfance et mon adolescence dans un contexte japonais qui m’a beaucoup influencé. Mais je me suis toujours senti à l’aise dans les pays d’Europe et d’Amérique latine. »
Au fil du temps, la notoriété d’Oscar Oiwa est devenue de plus en plus grande. Il a eu droit à une première exposition personnelle dans les années 1990 et en 2001, il a obtenu une subvention de l’Asian Cultural Council (Conseil culturel asiatique) de New York ainsi qu’une bourse de la Fondation John-Simon Guggenheim. Ses expositions les plus importantes se sont déroulées entre autres au Musée royal d’Ueno (Ueno Royal Museum) de Tokyo, au Musée national des beaux-arts de Rio de Janeiro et dans le cadre de la Triennale de Setouchi, qui a lieu tous les trois ans dans une dizaine d’îles de la mer intérieure japonaise et à laquelle il participera cette année.
Un monde inquiétant en proie à de multiples menaces
Les œuvres présentées dans le cadre de la rétrospective du Musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa sont regroupées en six « chapitres » intitulés respectivement : « New York au milieu des vagues » (Waves in New York City), « Les États (dés)Unis d’Amérique » ((Dis)United States of America), « La vie est un éternel voyage » (Life is an Eternal Journey), « Un monde très imparfait » (A Very Imperfect World), « La quête de la lumière » (Aiming for Light), et « Après tout, nous restons pleins d’espoir » (After All, We Remain Hopeful). Outre des peintures, elles incluent des dessins et des sculptures.
« Il m’a fallu dix ans pour créer les œuvres de cette exposition. Les spectateurs devraient donc prendre tout leur temps pour s’en imprégner », déclare Oscar Oiwa. « J’espère qu’il n’y aura pas trop de monde dans le musée quand ils viendront le visiter, de façon à ce qu’ils puissent regarder mon travail en détail. »
On ne voit pratiquement aucun être humain dans les œuvres d’Oscar Oiwa, ce qui donne au spectateur une sorte d’impression de distanciation par rapport au malaise ambiant engendré par la mondialisation ainsi que la politique et la société américaines. Dans l’introduction au chapitre « Les États (dés)Unis d’Amérique » ((Dis)United States of America) de son exposition, Oscar Oiwa a écrit ce qui suit à propos de l’élection du président Barack Obama. « Le mot-clef de l’époque était ‘espoir‘. Il semblait que les choses allaient un peu mieux. Mais huit ans plus tard, c’est Donald Trump qui lui a succédé. Le Congrès est complètement divisé. On se croirait dans un cirque. La Maison Blanche est un dans un tel état de chaos qu’on a l’impression de rêver. J’espère seulement qu’il n’y aura pas de guerre. »
Certaines créations du peintre mettent en scène de façon allégorique un environnement urbain en ruines ou dévasté par une catastrophe. Les deux huiles sur toile City from the Past (« Ville du passé ») et City from the Future (« Ville de l’avenir ») qu’il a peintes en 2008 sont particulièrement éloquentes à cet égard. Elles montrent la transformation d’un pâté de maisons délabré d’une ville chinoise dominé par un portrait de Mao Zedong en quartier chic où les galeries d’art voisinent avec un café Starbucks, un restaurant McDonald’s et même une fourgonnette des services de livraison FedEx. La seule chose qui n’a pas changé, c’est le portrait de Mao.
En 2013, Oscar Oiwa a réalisé une autre peinture de grandes dimensions à laquelle il a donné le nom évocateur d’Accident. On y voit un camion-citerne renversé au bord d’une route sinueuse de montagne surplombant un précipice. Les produits toxiques qu’il contient sont en train de se déverser dans la vallée située en contrebas et de la polluer en lui donnant d’étranges couleurs rappelant celles d’un arc-en-ciel.
Swirl (« Le tourbillon »), une huile sur toile de 2011, montre quant à elle un effrayant maelström en train d’engloutir des paillettes lumineuses provenant d’une ouverture circulaire qui pourrait fort bien correspondre à la partie inférieure d’un ovni. Dans le même temps, un orchestre à cordes semble faire écho au tourbillon vertigineux de l’océan. Des haut-parleurs déversent une bande-son intitulée The Dreams of a Sleeping World (« Les rêves d’un monde endormi ») que le travail d’Oscar Oiwa a inspirée au compositeur américain Chad Cannon, auteur par ailleurs de la musique de plusieurs films célèbres dont Le Hobbit, Comme des bêtes et American Factory.
« J’aime collaborer avec d’autres artistes, en particulier les musiciens, les photographes et les vidéastes », ajoute Oscar Oiwa. « Composer de la musique à partir d’œuvres d’art est quelque chose de très compliqué dans la mesure où il faut écrire une partition différente pour quinze à vingt instruments. Pour moi coopérer avec des musiciens est très intéressant parce que mon art est visuel et le leur de l’ordre du son. Bien que nous travaillions dans des registres complètement différents, nous arrivons à nous entendre. C’est un peu comme au cinéma où l’image fait corps avec la bande-son. »
Le secret du bonheur : une quête constante de la lumière
Dans l’œuvre d’Oscar Oiwa, les thèmes sombres vont souvent de pair avec une forme d’optimisme ou d’ironie. En 2004, il a peint une huile sur toile intitulée « Jardin de fleurs » (Flower Garden), composée de cinq panneaux, qui fait à présent partie de la collection d’art contemporain du Musée municipal de Hiroshima. Le centre est occupé par un grand arbre dont le tronc se dresse au milieu d’édifices de Hiroshima plongés dans l’ombre qui n’ont pas encore été détruits. Cet étrange paysage urbain est parsemé de myriades de fleurs phosphorescentes.
La rétrospective du Musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa comprend aussi une œuvre de 2016, appelée Mushroom Forest (« Forêt de champignons »), qui fait référence à une autre catastrophe majeure, celle la fusion des réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima consécutive au Grand tremblement de terre de l’Est du Japon et au tsunami du 11 mars 2011. Elle représente des champignons vénéneux géants translucides émergeant d’un paysage d’un vert éblouissant ponctué de tours de refroidissement de centrale nucléaire.
Au bout du compte, l’exposition Journey to the Light d’Oscar Oiwa est stimulante et exaltante, et garde toujours un côté ludique. Les derniers chapitres de cette rétrospective sont consacrés au thème omniprésent de la lumière que l’artiste décline de différentes manières. Une salle plongée dans la pénombre abrite des vitrines où sont exposées des œuvres censées stimuler les cellules en bâtonnets photoréceptrices de la rétine qui sont conçues pour détecter les formes dans la semi-obscurité. Le contenu de ces vitrines est constitué de peintures réalisées avec des couleurs légères, de la feuille d’or et d’argent et des diodes électroluminescentes (LED). Vortex, une huile sur toile de 2018, est constitué par un tourbillon de points lumineux surmontant un alignement circulaire de constructions urbaines. Enfin Journey to the Light (« Voyage vers la lumière »), l’œuvre qui a donné son titre à la rétrospective du Musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa se trouve dans la dernière salle. L’artiste y a peint des arbres transparents situés dans la clairière d’une forêt tropicale débordante de lumière.
« J’ai découvert récemment que pour être heureux, je dois entretenir la lumière que je recherche », écrit Oscar Oiwa dans l’introduction de la dernière partie de son exposition. « Je crois que le bonheur est quelque chose non pas que l’on obtient mais que l’on construit. Et pour donner forme à cette idée abstraite, j’ai réalisé une série d’œuvres dans les tons verts et bleus qui débordent de lumière. »
(Photo de titre : Oscar Oiwa en train de réaliser une œuvre monumentale intitulée Woods pour la rétrospective que lui a consacré le Musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa. ©Keizo Kioku, avec l’aimable autorisation du Musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa.)