Le « voyage vers la lumière » du peintre Oscar Oiwa

Art Culture

Tim Hornyak [Profil]

L’artiste brésilien d’origine japonaise Oscar Oiwa peint des toiles éthérées tour à tour sombres et lumineuses, où le tragique voisine souvent avec l’humour. Nous nous sommes entretenus avec lui lors de son passage au Japon à l’occasion de la grande exposition personnelle « Voyage vers la lumière » (Journey to the Light) que lui a consacré le Musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa. (Note : du 3 mai au 12 juin 2023, ses créations sont à admirer au Lurf Museum, dans le quartier de Shibuya, à Tokyo.)

Des œuvres aussi fascinantes que gigantesques

Les œuvres d’Oscar Oiwa ont quelque chose d’envoûtant, comme si elles donnaient accès à d’autres mondes. Ses toiles minutieuses et colorées sont tout aussi gigantesques que fascinantes. Certaines font plus de 2 mètres de haut sur 6 de large et représentent des paysages urbains envahis par les eaux, des maelströms et des forêts profondes scintillant dans la lumière émise par de mystérieux feux follets.

D’avril à août 2019, le Musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa (préfecture d’Ishikawa, à environ 300 km à l’ouest de Tokyo) a proposé au public une rétrospective intitulée Journey to the Light (« Voyage vers la lumière ») qui retrace le parcours de cet artiste plasticien aux multiples visages dont le travail relève aussi bien de la fantasmagorie et des préoccupations politiques que de l’humour. De même, de septembre à décembre 2019, la Maison de la culture de Japon à Paris (MCJP) a exposé par ailleurs trois nouveaux dessins monochromes géants de 6,7 mètres de long d’Oscar Oiwa. 

Rétrospective Oscar Oiwa : Journey to the Light (« Voyage vers la lumière »)

Peinture murale intituléeWoods (« Bois »), 2019. Stylo marqueur et encre acrylique, 27 x 4 mètres. Du 27 avril au 25 août 2019, Musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa.

Oscar Oiwa est réputé pour les dimensions souvent exceptionnelles de ses travaux. En 2018, il a créé pour la Japan House de Sao Paulo une installation immersive à 360° appelée « Paradis » (Paradise), qui figure au nombre des plus grandes œuvres picturales du monde. L’artiste lui a donné la forme d’un dessin en noir et blanc au stylo marqueur rempli de nuées tourbillonnantes qui s’inscrit dans l’espace d’un ballon gonflable en vinyle géant de la taille d’une maison.

L’exposition Journey to the Light qui présente actuellement une soixantaine de ses œuvres récentes au Musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa abrite quant à elle une peinture d’une taille impressionnante, 27 mètres de long sur 4 de haut, couvrant un mur entier de l’établissement (voir la vidéo ci-dessus). Il a fallu près de 90 heures à Oscar Oiwa et aux huit personnes qui l’ont assisté pour l’achever. Cette immense fresque aux allures de bande dessinée intitulée Woods (« Bois ») met en scène un chat et un lapin dans une forêt baignée de lumière, avec le souci du détail proche de l’obsession caractéristique de l’artiste.

« C’est l’œuvre sur un seul support la plus grande que j’ai réalisée », précise Oscar Oiwa. « À l’heure actuelle beaucoup de gens ont recours aux médias numériques, mais depuis l’âge des cavernes, les hommes ont toujours dessiné. Nos enfants continuent à faire des dessins mais les adultes ont complètement oublié comment il faut s’y prendre. Je veux revenir à cette façon très simple de faire une œuvre d’art en traçant des lignes au stylo marqueur sur un mur ou un ballon. »

Le peintre Oscar Oiwa lors d’un entretien à l’ambassade du Brésil à Tokyo.
Le peintre Oscar Oiwa lors d’un entretien à l’ambassade du Brésil à Tokyo.

Une histoire personnelle tout à fait singulière

L’œuvre d’Oscar Oiwa a été profondément influencée par l’histoire personnelle tout à fait singulière qui est la sienne. Bien que nés tous les deux au Japon, ses parents se sont rencontrés au Brésil au début des années 1950, dans le cadre de la vague d’émigration japonaise vers ce pays qui a commencé avec le XXe siècle. L’artiste est né en 1965 à Sao Paulo. À la maison, il parlait sa langue maternelle, mais ses contacts avec la culture japonaise sont restés limités jusqu’à ce qu’il se rende pour la première fois dans l’Archipel, à l’âge de 20 ans. Il a manifesté un goût pour le dessin dès son plus jeune âge et il s’est initié à la peinture à l’huile au lycée. Par la suite, il a appris non seulement à utiliser les pigments acryliques et l’aquarelle mais aussi à travailler le métal et à faire des bijoux. Le père d’Oscar Oiwa collectionnait les livres d’art et il a transmis à son fils son amour pour les grands maîtres de la peinture japonaise et hollandaise et le peintre de paysages anglais John Constable (1776-1837).

Pendant ses études d’architecture et d’urbanisme à l’Université de Sao Paulo (USP), Oscar Oiwa a participé à la Biennale internationale d’art de cette ville où il a rencontré des artistes contemporains, notamment le peintre et sculpteur américain Keith Haring (1958-1990) qui s’est illustré dans le pop art et le street art. Il reconnaît volontiers que celui-ci a joué un rôle décisif dans sa vocation artistique. Après l’obtention de son diplôme, en 1989, il a travaillé en tant qu’architecte tout en continuant ses activités picturales. Et il a vécu tour à tour à Tokyo, à Londres et à New York où il a fini par s’installer en 2002, à l’âge de 37 ans, un an après les attentats terroristes de 2001.

« Mon premier pays, c’est le Brésil, et après vient le Japon », explique Oscar Oiwa. « Je vis à New York où je me sens bien mais je n’ai pas l’impression de faire partie de la culture des États-Unis, parce que je n’ai pas grandi ici. Je suis né au Brésil et j’y ai passé mon enfance et mon adolescence dans un contexte japonais qui m’a beaucoup influencé. Mais je me suis toujours senti à l’aise dans les pays d’Europe et d’Amérique latine. »

Au fil du temps, la notoriété d’Oscar Oiwa est devenue de plus en plus grande. Il a eu droit à une première exposition personnelle dans les années 1990 et en 2001, il a obtenu une subvention de l’Asian Cultural Council (Conseil culturel asiatique) de New York ainsi qu’une bourse de la Fondation John-Simon Guggenheim. Ses expositions les plus importantes se sont déroulées entre autres au Musée royal d’Ueno (Ueno Royal Museum) de Tokyo, au Musée national des beaux-arts de Rio de Janeiro et dans le cadre de la Triennale de Setouchi, qui a lieu tous les trois ans dans une dizaine d’îles de la mer intérieure japonaise et à laquelle il participera cette année.

Paradise, dessin au stylo marqueur sur feuille de vinyle, 10 m x 7 m x 4 m, Japan House, Sao Paulo, 2018. Cette installation immersive à 360° d’Oscar Oiwa a été détruite à la fin de l’exposition. L’œuvre était encapsulée dans un ballon de vinyle où les visiteurs étaient invités à pénétrer et à découvrir une forêt profonde parcourue par des sentiers sinueux et surmontée par un ciel rempli d’inquiétants nuages en forme de tourbillons.
Paradise, dessin au stylo marqueur sur feuille de vinyle, 10 m x 7 m x 4 m, Japan House, Sao Paulo, 2018. Cette installation immersive à 360° d’Oscar Oiwa a été détruite à la fin de l’exposition. L’œuvre était encapsulée dans un ballon de vinyle où les visiteurs étaient invités à pénétrer et à découvrir une forêt profonde parcourue par des sentiers sinueux et surmontée par un ciel rempli d’inquiétants nuages en forme de tourbillons.

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Tim HornyakArticles de l'auteur

Journaliste né à Montréal, au Canada. Diplômé en journalisme de l’Université de Carleton à Ottawa, il a travaillé notamment pour Kyodo News, NHK, CNet, IDG News pendant 20 ans. Il a écrit de nombreux ouvrages sur les inventeurs japonais, les ingénieurs, les roboticiens et des scientifiques ayant reçu le prix Nobel. Ses travaux ont fait l’objet d’articles dans diverses publications telles que Nature, Science, Scientific American et sur Internet. Il est également l’auteur de Loving the Machine: The Art and Science of Japanese Robots et a contribué à la rédaction de plusieurs guides de voyage Lonely Planet. Il habite à Tokyo depuis 12 ans.

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