La culture pop nippone se mondialise
Les 50 ans de Hello Kitty : comment Sanrio est devenu une entreprise mondiale
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Hello Kitty, née en 1974, vient de fêter son 50e anniversaire. Chaque année commémorative, Sanrio, propriétaire et opérateur de la marque et du personnage a établi de nouveaux records : le 25e anniversaire (en 1999) a marqué un record de ventes, tandis que le 40e anniversaire (en 2014) a enregistré un bénéfice d’exploitation record (21,5 milliards de yens) et la plus forte augmentation du ratio des ventes à l’étranger par rapport aux ventes totales (36 %).
À partir de 2015, les ventes et les bénéfices ont diminué pendant sept années consécutives, mais au cours de 2024, qui a marqué le 50e anniversaire de l’entreprise, le bénéfice d’exploitation a atteint 27 milliards de yens (165 millions d’euros) dépassant le record de 2014, et la capitalisation boursière a atteint plus de 700 milliards de yens (4,3 milliards de yens).
Ce renouveau s’explique par l’arrivée d’un nouveau président en 2020. Tsuji Shintarô (92 ans lors de la passation) a passé la main à son petit-fils, Tsuji Tomokuni (31 ans), pour le premier changement de direction depuis la création de l’entreprise en 1960. En outre, au cours des dix dernières années, la part de Kitty dans le chiffre d’affaires de Sanrio est passée de 75 % à 50 % : l’entreprise s’est peu à peu affranchie de sa dépendance à l’égard du personnage.
Sur les pas de Sony
Sanrio a été fondée à Tokyo en 1960 par Tsuji Shintarô, qui travaillait pour le gouvernement préfectoral de Yamanashi, sous le nom de « Centre de la soie de Yamanashi ». Au départ, l’entreprise vendait des produits en soie, du vin et d’autres produits locaux.
Dans les années 1960, la culture des kyara (de l’anglais characters, « personnages ») a pris son essor au Japon. C’est ainsi que la filiale japonaise de Walt Disney a été créée l’année précédente et Nintendo a mis en vente des cartes à jouer à l’effigie de Mickey Mouse et d’autres personnages de Disney, qui ont connu un énorme succès. Les poupées Barbie sont apparues sur le marché nippon et Takara Tomy a créé la poupée Rika-chan.
En 1962, Tsuji fait entrer la société sur le marché des produits dérivés à l’effigie de personnages populaires en produisant des mouchoirs à motifs de fraises ; en 1965, la société a connu un grand succès avec des céramiques représentant des personnages dessinés par l’illustratrice Mizumori Ado ; à partir des années 1970, la société a employé des designers internes pour créer des personnages originaux.
En 1973, le nom de la société s’est transformé en « Sanrio », de l’espagnol San Rio. L’entreprise s’est inspirée de Sony, qui avait fait de grands progrès aux États-Unis après avoir changé son nom de « Tokyo Tsûshin Kôgyô » en « Sony ».
Un personnage sans bouche, avec une énorme tête
En 1974, cherchant à développer son propre personnage, c’est un chat avec un ruban au coin de l’oreille, dont la tête est aussi grande que le corps, dessiné par la créatrice maison Shimizu Yûko, âgée d’une vingtaine d’années à l’époque, avec un clin d'œil à Snoopy, qui était alors très populaire. L’absence de bouche était justifiée par le fait que Shimizu Yûko pensait que cela parlerait au public, justement.
Lorsque le premier produit Hello Kitty, un porte-monnaie, a été lancé l’année suivante, le succès a dépassé les espérances. Au départ, le personnage n’avait pas de nom, il était juste accompagné du mot « Hello ! ». Il a ensuite été baptisé en l’honneur du chat d’Alice, « Kitty », qui apparaît dans le livre préféré de Shimizu, Alice de l’autre côté du miroir. Depuis, Sanrio a lancé une succession de nouveaux personnages, parmi lesquels : My Melody, Kiki & Lala, Tuxedosam et Kerokero Keroppi.
À la fin des années 1970, la popularité initiale de Kitty s’est émoussée, mais Yamaguchi Yûko, qui est devenue la troisième créatrice maison en 1980, a contribué à son regain de popularité. Elle a apporté du mouvement aux poses de Kitty, en accord avec les tendances, comme jouer au tennis et tenir un ours en peluche.
Chaque année, Sanrio crée cinq à dix nouveaux personnages, soit 450 à ce jour, dont la plupart disparaissent des rayons des magasins au bout de quelques années. Parmi eux, seule Kitty est restée présente pendant 50 ans, grâce à l’évolution de son design et à la souplesse des opérations de licence.
En 1984, date du 10e anniversaire de Kitty, les ventes de Sanrio s’élevaient à 71,7 milliards de yens. Cela montre l’importance de Sanrio à une époque où Nintendo, à la veille du lancement de la Famicom (NES), connaissait un chiffre d’affaires de 67,7 milliards de yens et Bandai dépassait 60 milliards de yens.
En plus de ses capacités internes de conception et de ses capacités de marketing par développement de licences des différents personnages pour divers types de produits, la force de Sanrio réside dans ses capacités de vente, en boutiques de gestion directe et magasins franchisés. Entre les années 1970 et 1990, Sanrio a créé 200 boutiques gérées directement dans tout le pays, et des milliers d’autres si l’on inclut les corners dans les grands magasins, les grandes surfaces et les détaillants en franchise. Grâce à l’expansion de ce réseau de distribution et de vente au détail, Sanrio détenait, dans les années 1990, 80 % du marché des articles cadeaux.
Plus de 30 ans de succès à l’étranger
Contrairement à ses bonnes performances au Japon, l’entreprise a connu des difficultés à l’étranger : en 1974, Sanrio a créé une filiale aux États-Unis et s’est activement développée en Europe et en Asie, et s’est même impliquée dans la production de films à Hollywood. Cependant, en 1986, lorsque Shintarô a envoyé son fils Kunihiko diriger la filiale américaine, le déficit cumulé atteignait 3,6 milliards de yens. Kunihiko a parcouru le continent avec une valise remplie de catalogues et de produits pour développer le réseau des points de vente.
Les débuts de Hello Kitty aux États-Unis ont été marqués par le fait que la distribution des produits Sanrio s’effectuait au travers de ses boutiques Gift Gate, qui atteignaient les villes intérieures et régionales où les divertissements étaient rares. La mémoire collective des enfants enthousiasmés par les « accessoires kawaii du Japon » s’est accumulée pendant plusieurs générations, et cette image a pénétré le marché américain en profondeur.
À la fin des années 2000, l’entreprise a commencé à développer et à concevoir localement des produits pour le marché américain. Des collaborations avec des marques de bijoux, de cosmétiques et de vêtements de luxe ont également été encouragées. Des célébrités américaines telles que Mariah Carey, Paris Hilton, Katy Perry et Lady Gaga ont embrayé sur cette « innovation en matière de design ». Elles se souvenaient avoir adoré les accessoires kawaii de Sanrio lorsqu’elles étaient petites filles dans les années 1980-90.
La collaboration entre Kitty et des marques de luxe telles que LVMH et Swarovski a permis aux adultes de continuer à aimer et à montrer les personnages sur lesquels ils avaient craqué lorsqu’ils étaient enfants. L’arrivée de l’ère des réseaux sociaux, combinée à la présence de people portant des produits sous licence, a permis aux gens d’exprimer leur amour pour Kitty et de répandre cette nouvelle attirance pour Kitty.
Sanrio est aujourd’hui présent dans plus de 130 pays et territoires. En 2004, année du 30e anniversaire de la naissance de Kitty, les ventes à l’étranger ont dépassé les 10 milliards de yens, et 10 ans plus tard, en 2014, elles dépassaient les 30 milliards de yens, le ratio des ventes à l’étranger par rapport aux ventes totales dépassant les 30 %.
Récupération en forme de victoire après une période de doutes
En 2013, Tsuji Kunio, le vice-président qui avait dirigé les activités de Sanrio à l’étranger, décède subitement à l’âge de 61 ans. Le petit-fils de Shintarô, Tomokuni, rejoint l’entreprise en janvier 2014, mais après avoir atteint son bénéfice d’exploitation le plus élevé au cours de l’exercice 2014, Sanrio a commencé à faire face à de mauvaises performances.
Depuis qu’il a repris le flambeau de la présidence de son grand-père en 2020, Tomokuni a remanié son conseil d’administration, recruté des talents extérieurs et abaissé l’âge moyen des membres du CA de 65 à 50 ans. Les réformes organisationnelles et structurelles, ainsi que les initiatives pour relancer la croissance, sont en cours.
Les nouvelles initiatives comprennent la promotion de plusieurs plateformes numériques, par exemple par l’entrée dans ROBLOX, une plateforme de jeux en ligne qui permet aux utilisateurs de créer et de partager leurs propres jeux vidéo en ligne, et l’utilisation de Virtual Puroland, un parc à thème dans le métavers.
Augmenter le « temps Sanrio » (le temps passé à jouer à des jeux et à regarder des vidéos de personnages Sanrio, ou encore à utiliser des produits des personnages dans la vie quotidienne) en étendant les licences au numérique est devenu l’objectif stratégique.
Le slogan qui résume la philosophie de l’entreprise, en japonais Minna nakayoku (« Tous amis »), était en anglais Small Gift, Big Smile (« Petit cadeau, grand sourire »). Aujourd’hui, il s’est changé en One World, Connecting Smiles (« Un monde, des sourires »), de façon à souligner l’importance de la communication pour connecter les sourires du monde entier.
Pour Sanrio, l’essentiel était de pouvoir garder ses personnages « entourés de sourires amicaux » en les concédant sous licence à des entreprises d’autres secteurs. La clé du succès résidait dans le fait d’avoir fait évoluer la manière d’octroyer des licences en fonction de l’évolution de l’époque.
Comment se fait-il qu’un personnage qui n’est même pas doté d’une bouche, sans aucune présence dans les mangas et les animes, et n’ayant aucune intrigue vraiment développée, a réussi à maintenir une forte présence au Japon et à l’étranger depuis 50 ans ? L’explication, en fin de compte, tient dans sa simplicité. C’est précisément parce que dans cette époque où les contenus sont pléthoriques, les personnages kawaii qui ne sont pas envahissants possèdent une capacité à apaiser les cœurs. Et ils continuent de stimuler l’imagination des personnes de tous âges.
(Photo de titre : le stand du 50e anniversaire de Hello Kitty au Japan Festival de São Paulo, en juillet 2024. © Kyodo News Images)