Quand gourmandise rime avec plaisir
Les râmen dans le Guide Michelin : quatre restaurants étoilés de Tokyo
Gastronomie Tourisme- English
- 日本語
- 简体字
- 繁體字
- Français
- Español
- العربية
- Русский
Une longue route vers la reconnaissance
Les râmen tutoient maintenant les plus grands noms de la gastronomie mondiale dans le prestigieux Guide Michelin. Comment un simple bol de nouilles, affiché en général à moins de 1 000 yens (6 euros) a-t-il pu se retrouver dans la cour des grands restaurants, qui eux proposent des menus complets pour des prix bien moins abordables ?
Le Guide Michelin a décerné ses premières étoiles en France en 1926. Et en 2007, l’ouvrage est parvenu en Asie avec la publication du Guide Michelin Tokyo. Sept ans plus tard, les râmen font leur apparition dans la catégorie spéciale des Bibs gourmands, qui récompensent les restaurants offrant le meilleur rapport qualité-prix. Le restaurant « Aoba », situé dans l’arrondissement de Nakano, à Tokyo, a été reconnu comme un pionnier pour ses râmen aux fruits de mer et au bouillon d’os de porc. Un autre établissement de la capitale, « Râmen Yamaguchi » à Takadanobaba, a suivi les traces d’ « Aoba » en figurant sur la fameuse liste six années de suite. À ce jour, 22 restaurants de râmen de la capitale ont été récompensés par des Bibs gourmands.
En 2015, « Tsuta » a été le premier restaurant à obtenir une étoile. Situé à Yoyogi-Uehara, il a tout de suite fait la différence avec sa spécialité de râmen à la sauce soja à un prix alors raisonnable (850 yens).
Un pilier de la culture des nouilles
Tout d’abord, un mot sur « Tsuta ». À l’origine, son fondateur, feu Ônishi Yûki, ne se destinait pas au monde de la gastronomie. Il travaillait dans l’industrie de l’habillement et se rendait souvent à l’étranger pour affaires. Et c’est l’un de ses voyages qu’il l’amènera vers le monde de la cuisine japonaise. En lui est né le désir de donner aux râmen, baignant traditionnellement dans un bouillon riche en saveurs une présence mondiale. Enfant de la balle, il se formera auprès de son père, qui possédait à l’époque un restaurant de râmen. Bien lui en a pris puisqu’il ouvre son propre établissement (certes modeste, puisqu’il ne peut accueillir que neuf personnes) dans le quartier de Sugamo en 2012.
Le chef Ônishi ne compte pas ses heures et travaille d’arrache-pied. Là encore, le succès est au rendez-vous puisque le plat iconique de son restaurant voit le jour en 2014 : des râmen à la sauce soja et aux truffes noires. Et rien ne semble l’arrêter : quatre ans plus tard, il obtient la première étoile Michelin décernée à un restaurant de râmen. Dès lors, c’est la consécration. Des amateurs de râmen du monde entier affluent à « Tsuta », inscrivant les nouilles japonaises dans le cœur de touristes des quatre coins de la planète.
Mais alors comment les restaurants de râmen ont-ils fait leur entrée dans le Guide Michelin ? Si le petit livre ne révèle pas les secrets du processus de sélection, la qualité des ingrédients et les techniques de préparation pour la perfection de leur saveur, la créativité et la consistance dans son ensemble sont autant de critères qui sont pris en compte. Dans ce cas, les râmen répondent à bon nombre de ces critères, et les restaurants sélectionnés sont tous à la hauteur des exigences imposées par le Michelin.
« Tsuta », ou comment satisfaire les palais les plus exigeants
Si vous souhaitez découvrir « Tsuta », les râmen à la sauce soja vous sont tout indiqués. Il s’agit du plat phare de l’enseigne. Et à raison ! La soupe vous emmène vous et vos papilles dans un voyage gustatif à plusieurs niveaux, riche en umami, grâce à un bouillon à base d’un poulet entier, d’herbes aromatiques, de palourdes, d’algue konbu et de copeaux de bonite.
Et les accompagnements ne sont bien sûr pas en reste. Quoi de meilleur que du bœuf japonais Black A5 wagyû préparé en sukiyaki, entre autres, que les convives peuvent déguster avec des sauces maison à la framboise et à la truffe noire. La présentation n’est pas non plus laissée de côté ; le plat se présentant comme un repas complet fusionnant cuisine occidentale et cuisine japonaise.
Mais, initialement, l’idée d’un bol de râmen coûtant plus de 1 000 yens (environ 6 euros) était pour un grand nombre de personnes impensable, bon nombre d’entre elles n’y voyant au contraire qu’un simple aliment de base abordable et copieux. Pour ceux qui ne dépensaient que quelques centaines de yens, payer plus de 1 000 yens était tout simplement hors de question, si bien que ce prix était devenu un plafond pour les fournisseurs de râmen.
Mais il n’empêche que sélectionner des ingrédients avec soin et choisir des méthodes de préparation plutôt que d’autres entraîne des coûts supplémentaires... En 2019, l’établissement a dû revoir les tarifs de son menu à la suite de son déménagement dans le quartier de Yoyogi-Uehara. Le restaurant a fixé des prix plus élevés, avec des râmen ordinaires proposés à 1 300 yens et son plat le plus cher à 3 550 yens. Cette décision a été loin de faire l’unanimité parmi les consommateurs, certains pensant que l’étoile Michelin lui était ni plus ni moins montée à la tête. D’autres restaurants de râmen ont toutefois suivi et ont eux aussi franchi le seuil des 1 000 yens.
« Tsuta » a ainsi pris une décision audacieuse, son chef faisant preuve de créativité pour atteindre son idéal. Ses efforts et sa vision ont ensuite été tarifiés en conséquence. Dès lors, il est devenu plus commun de trouver des râmen à un prix supérieur à 1 000 yens, ce qui bien montre bien que le « mur » s’effondre maintenant petit à petit.
Explosion de saveurs avec les nouilles tantan de « Nakiryû »
« Tsuta », qui a été le premier restaurant à obtenir une étoile au Guide Michelin a été rapidement rejoint par d’autres établissements. « Nakiryû », dans le quartier d’Ôtsuka, a rejoint le club d’élite en 2017 avec son plat phare : des nouilles au goût acidulé tantan.
Le secret de cette saveur unique : une couche de pâte de sésame épicée et d’huile de chili maison à la surface d’une soupe aromatisée à la sauce soja, conférant au plat une saveur à plusieurs couches qui se mélange en bouche, créant une consistance moelleuse subtile. La saveur du bouillon, à base d’os de poulet et de bœuf, de légumes et d’autres ingrédients, est rehaussée de vinaigre noir et de vinaigre de pomme.
Tirant leurs origines dans la cuisine du Sichuan, les nouilles tantan peuvent parfois être très épicées. Mais pas d’inquiétude, même les palais les plus délicats pourront se régaler chez « Nakiryû ». Ceux qui souhaitent au contraire pimenter leur plat peuvent bien sûr ajouter du poivre de Sichuan.
« Konjiki Hototogisu », le roi du bouillon
Le restaurant « Konjiki Hototogisu », situé à Shinjuku, a obtenu son étoile en 2018, et l’a conservée pendant cinq ans, jusqu’en 2022.
Le restaurant est réputé pour la saveur umami multicouche de ses plats. Le secret : une combinaison de trois soupes de bouillons de canard, de poulet et de bœuf, un bouillon de palourdes hamaguri et un bouillon à la japonaise. Le mélange de la sauce aux truffes noires et de la marinade au vin rouge confère une sensation de plaisir supplémentaire au plat.
Soucieux de proposer des nouilles plus riches et plus complexes en umami, en matières grasses et en arômes, « Konjiki Hototogisu » a modifié son menu en mai 2024. Mais loin de lui l’idée de se reposer sur son étoile, il continue de tester différentes saveurs, sans cesse à la recherche du meilleur bol de râmen.
« Ginza Hachigô », 40 ans de carrière en France
Le dernier établissement à avoir reçu une étoile au Guide Michelin est le restaurant « Ginza Hachigô » dans le quartier de Higashi-Ginza, en 2021. Le plat servi ici est signé Matsumura Yasushi, un chef avec à son actif 40 ans de carrière dans la cuisine française. Le restaurant est connu pour ses méthodes de préparation des râmen plutôt atypiques. Avec sa nouvelle approche, il a influencé de nombreux chefs cuisiniers en devenir.
La saveur des râmen est généralement déterminée par un arôme concentré appelé kaeshi, composé de sauce soja, de mirin et de sucre. Mais le « Ginza Hachigô » bouleverse les codes et utilise à la place du kaeshi un bouillon préparé selon les techniques culinaires françaises. Pour son bouillon, il utilise du poulet Cochin de Nagoya, du canard et des légumes secs comme des champignons shiitake et de la tomate, et du prosciutto pour lui donner un goût salé. La soupe est épaisse et de couleur dorée, parfumée et moelleuse. Chaque ingrédient crée un umami qui réchauffe tant le corps que l’esprit.
Les quatre établissements décrits ici se trouvent tous à Tokyo. Des restaurants en dehors de la capitale ont certes reçu des Bibs gourmands, mais aucun d’entre eux n’a encore obtenu d’étoiles.
La liste des Bibs gourmands du Guide Michelin 2024 de l’édition de Tokyo comprend 19 restaurants de râmen. La région du Kansai n’est pas en reste non plus avec 17 répertoriés dans l’édition Kansai du guide. Des restaurants comme « Râmen Tôhichi », à Kyoto, sur la liste depuis huit années consécutives, et « Mugi to Mensuke », à Osaka, où se déploient régulièrement de longues queues, pourraient être les prochains à obtenir une étoile Michelin.
(Photo de titre : les râmen à la sauce soja du restaurant « Tsuta » © Yamakawa Daisuke)