Quand gourmandise rime avec plaisir
Le râmen et sa petite histoire : un met de rue devenu un plat de renommée mondiale
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Des origines portuaires
Les opinions divergent quant aux origines spécifiques du râmen, mais le scénario qui prévaut veut qu’il soit né de plats de nouilles de blé apportés au Japon au début du XXe siècle par des immigrants en provenance des provinces chinoises du Fujian et du Guangdong.
Bientôt connue sous le nom de râmen, cette recette s’est répandue dans des endroits tels que Yokohama et le quartier de Hakata, à Fukuoka, auxquels s’attachait une longue histoire de villes portuaires. Connu également sous le nom de Chûka soba (« soba chinois »), ce plat figurait en bonne place aux menus des restaurants chinois. Les premières versions, d’apparence simple, comportaient un bouillon relativement léger à base de sauce de soja.
Dans les premières années de l’après-guerre, des stands vendant à la criée des bols de râmen ont fait leur apparition sur les marchés noirs qui proliféraient d’un bout à l’autre du pays. Les propriétaires de ces yatai se sont mis à jouer d’un instrument à vent appelé charumera pour attirer l’attention sur leurs échoppes. Les clients, charmés par les petites mélodies, affluaient tous les soirs pour déguster le plat savoureux et nourrissant, et le coût modéré du râmen l’a aidé à connaître un grand succès en cette époque de disette et de pénurie.
Les stands de râmen, qui se sont répandus dans tout le pays, ont joué un rôle décisif dans l’élaboration subséquente des variantes locales.
En 1947, l’échoppe Sankyû de Kurume a par inadvertance produit un bouillon tonkotsu après avoir laissé mariner trop longtemps des os de porc. La nouvelle saveur a plu énormément, et la soupe blanche, crémeuse est devenue un classique du râmen de Kyûshû.
Une autre boutique du quartier de Fukuoka a connu la célébrité grâce à ses nouilles fines qui cuisaient rapidement, cette rapidité étant une caractéristique précieuse aux yeux des travailleurs de la région, débordants d’activité. Ce temps de cuisson abrégé créait une structure al dente de barikata, et la taille réduite des portions incitait les clients à commander des suppléments de nouilles (kaedama), le tout débouchant sur un style spécifiquement local de râmen tonkotsu.
Les stands qui ont surgi aux abords des arrêts de tramway de Wakayama, capitale de la préfecture du même nom, sont à l’origine de la sauce de soja locale et des râmen à base de tonkotsu. Á Sapporo, le restaurant Aji no Sanpei s’est inspiré de la recette de la soupe miso pour créer le fameux modèle de râmen propre à cette ville. Ces variétés locales de râmen et d’autres encore, nées dans de modestes échoppes, sont entre-temps devenues célèbres d’un bout à l’autre du Japon.
L’arrivée du boom du râmen
Avec l’augmentation du nombre des foyers dotés de la télévision enregistrée à partir des années 1970, le public a commencé à s’informer sur les variétés locales de râmen, et cela a alimenté un boom de ce plat de nouilles qui a duré de la fin des années 1980 jusquà la décennie suivante. Les boutiques alignées le long des rues de Tokyo et d’ailleurs s’arrachaient les clients, si bien que le rideau s’est levé sur une période d’intense compétition qu’on a qualifiée de « guerre du râmen ».
Á l’époque, la boutique Tosakko Râmen, à la mode de Kôchi, sise dans l’arrondissement d’Itabashi à Tokyo — censé détenir le record japonais de concentration des boutiques de râmen — a connu un immense succès et attiré des hordes de clients enthousiastes, parfois plus de 1 000 en une seule soirée, qui se rendaient au restaurant ouvert jusqu’au petit matin. La vue des longues files de clients a attiré l’attention des médias, et la demande de râmen de style local a encore augmenté.
Á mesure que le râmen s’affirmait comme un élément incontournable de la culture culinaire japonaise, l’attention s’est tournée vers les personnalités à l’origine des saveurs les plus recherchées du pays. On compte une poignée de chefs véritablement légendaires qui ont fait s’épanouir la culture du râmen, et nombre d’entre eux nous ont quittés entre-temps. Parmi eux figurent les « dieux du râmen » Yamagishi Kazuo, chef au légendaire restaurant Taishôken et inventeur du tsukemen (nouilles trempées), et Sano Minoru de Shina Sobaya, personnage austère dont l’obsession pour les ingrédients et les normes de production a permis à la filière du râmen d’améliorer son prestige.
En 2010, est apparue une nouvelle vague de chefs artisanaux qui ont intégré des procédés d’autres cuisines, notamment françaises et italiennes, pour garnir les bols de combinaisons inédites.
Le principal représentant de ce courant est le Ginza Hachigo, à Tokyo. Ce restaurant sert ses râmen sans ajout de sauce tare, considérée comme un élément essentiel pour la saveur. Le chef du Hachigo, Matsumura Yasushi, a à son actif presque 40 ans d’expérience en tant que chef français et ancien chef des cuisines du ANA Crown Plaza Hotel de Kyoto. Il s’appuie sur une base de canard et de poulet, associée à du prosciutto italien pour la saveur. Les chefs apportant un tel niveau de compétence technique et d’expérience continuent de promouvoir l’évolution de la culture du râmen.
Le premier restaurant de râmen couronné d’une étoile Michelin
Aucune discussion sur la culture du râmen ne serait complète sans évoquer les gens qu’on appelle les « fous du râmen ». Ces fanatiques, qui sont les premiers à dénicher les dernières informations ou à essayer une nouvelle boutique, partagent leurs découvertes sur des blogs ou via les médias sociaux. Leurs efforts infatiguables — sans parler de leur empressement à faire la queue — contribuent à dynamiser l’ensemble de la filière.
Peut-être le Râmen Jirô est-il le meilleur symbole de leur contribution. Ce magasin, jadis modeste, qui a désormais plus de 40 succursales, principalement à Tokyo, est aujourd’hui porté aux nues pour la possibilité qu’il offre à ses clients de modeler la richesse des garnitures et des bouillons en formulant leurs préférences. Il est en outre connu pour les règles inhabituelles qu’il applique, telles que l’interdiction faite aux consommateurs de parler, l’obligation de rapporter leurs bols, d’essuyer leurs tables et de remercier le chef.
Traditionnellement, le râmen était considéré comme un plat de gourmet sans prétention apprécié des masses. Mais sa popularité s’est entre-temps diffusée hors du Japon et a conquis le reste du monde, tant et si bien qu’il est devenu une icône mondiale de la gastronomie nippone.
Dans le Guide Michelin 2016 de Tokyo, le Soba Noodles Tsuta de Tokyo est devenu le premier restaurant de râmen couronné d’une étoile Michelin — et le premier établissement du guide à demander moins de 1 000 yens (6 euros) par repas. Le guide répertorie désormais plus de 60 commerces, y compris ceux classés Bib Gourmand. Les râmen en sont venus à rivaliser avec les sushis en termes d’attrait pour les voyageurs étrangers, qui sont nombreux à venir au Japon dans le seul but de déguster un bol athentique.
La popularité internationale du râmen repose entièrement sur sa diversité. Chaque mariage de procédés culinaires et d’ingrédients locaux avec d’autres recettes traditionnelles, elles aussi locales, a généré un grand nombre de nouvelles saveurs.
La diversité des endroits où les dîneurs affamés peuvent déguster des râmen s’est encore accrue. Le Musée du râmen de Shin-Yokohama, premier site de loisir mondial dédié au râmen, a ouvert en 1994. Cet événement a ouvert la voie à la chaîne nationale Râmen Yokochô, qui regoupe sous un même toit des boutiques locales populaires de râmen en provenance d’un peu partout au Japon. Il faut aussi mentionner les nombreux festivals de râmen, avec leurs stands tenus par des échoppes locales de râmen spécifiquement choisies, événements qui figurent désormais parmi les festivals gastronomiques les plus populaires du Japon et attirent des légions de fans du râmen désireux de déguster des plats à tirage limité introuvables ailleurs.
La très populaire chaîne Ichiran est un autre acteur dominant dans le secteur du râmen. Les séparations entre les sièges de comptoir des boutiques créent une atmosphère qui permet aux dîneurs isolés de se concentrer sur la saveur, et Ichiran a exporté ce modus operandi dans les filiales que la chaîne a ouvertes outre-mer.
La versatilité du râmen a permis aux chefs de transgresser les règles, et d’adapter la recette à une diversité de styles et d’accommodements. Cette liberté d’expression constitue l’un des plus grands attraits du râmen, et la raison de l’emballement qu’il suscite dans le monde entier chez les amoureux des nouilles.
(Photo de titre : un simple bol de shôyu râmen. Pixta)