Sur les traces des chrétiens cachés du Japon

Une foi chrétienne de Nagasaki à Rome : l’ambassade Tenchô et le mystère Chijiwa Miguel

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Amano Hisaki [Profil]

À la fin du XVIe siècle, quatre jeunes japonais de foi chrétienne se rendent en Europe dans le cadre d’une ambassade. Ils sont accueillis dans les cours d’Europe et par les dignitaires catholiques. La tombe de l’un d’eux, découverte récemment, offre un nouvel éclairage sur la question religieuse au Japon alors que les chrétiens étaient persécutés par le shogunat.

Qui est dans cette tombe ?

Le peu que l’on sait de Chijiwa après son retour au Japon ne permet pas de comprendre pourquoi il s’est détourné du christianisme. Après avoir quitté les Jésuites, il prend le nom de Seizaemon et entre au service de Yoshiaki, le successeur d’Ômura Sumitada. Il fuit pourtant en 1606, quand le seigneur du fief interdit le christianisme, part s’installer à Arima et Nagasaki, se marie et a quatre enfants. On ignorait où et quand il avait trouvé la mort.

Mais en 2003, un chercheur découvre une tombe à Ikiriki dans le village d’Isahaya près de Nagasaki que l’on dit être celle de Genba, le quatrième fils de Chijiwa Miguel. Miyazaki Eiichi contacte son collègue Ôishi Kazuhisa qui enseigne au lycée de la ville et demande à cet expert en stèles de venir jeter un coup d’œil.

Grâce à ses recherches dans les archives du domaine d’Ômura, Miyazaki était parvenu à reconstituer la lignée des Chijiwa. Il avait notamment découvert qu’Ôishi avait des liens de parenté avec Genba par sa mère et il avait partagé le résultat de ses investigations en publiant un article dans le bulletin d’information de la société historique locale. Malgré sa filiation, Ôishi ne fait pas montre d’un grand empressement, car l’expérience lui avait appris que les pierres tombales de l’époque d’Edo (1603-1868) étaient généralement édifiées sur un modèle imposé par le gouvernement shogunal et qu’elles livraient peu d’indices historiques.

Trois mois plus tard, Ôishi se rend finalement sur les lieux avec Miyazaki. Ide Norimitsu, un habitant de la région qui s’occupe de la tombe depuis longtemps, lui apprend que le site est vénéré depuis des générations, car Genba y reposerait. Sur la stèle, Ôishi constate que seuls deux noms bouddhiques posthumes et une date correspondant à 1633 sont gravés.

Pensant que l’histoire de la tombe de Genba n’est qu’une légende locale, il inspecte le verso de la pierre tombale. C’est alors qu’il trouve quelque chose qui semble attester cette croyance. En effet, le nom de Chijiwa Genba est gravé dans le roc.

Mais Ôishi n’est qu’au début de ses surprises. Une ancienne coutume veut que le nom du patriarche de la famille endeuillée soit gravé au dos des pierres tombales. Genba s’avère donc être le commanditaire de la tombe et non son occupant. D’autant que la date de 1633 ne pouvait correspondre au décès de Genba. De plus, vérifications faites, la tombe semble abriter un couple. Les deux personnes inhumées sont probablement de la famille, ce qui augmente la probabilité qu’il s’agisse de Chijiwa Miguel et de sa femme, une hypothèse passionnante.

Ide confirme cette analyse en précisant que la tradition familiale raconte que l’occupant de la tombe avait une dent contre le domaine Ômura et qu’il avait été enterré là où il pourrait « veiller au grain ». Il ne pouvait donc s’agir de Genba, dont les archives montrent qu’il a été adopté par le clan Ômura et qu’il vivait dans les limites du château de Kushima, situé non loin de là.

De gauche à droite : La tombe qui surplombe la baie d’Ômura est située sur une colline d’Ikiriki. À l’arrière de la pierre tombale est gravé le nom « Chijiwa Genba no jô » (© Nippon.com)
De gauche à droite : La tombe qui surplombe la baie d’Ômura est située sur une colline d’Ikiriki. À l’arrière de la pierre tombale est gravé le nom « Chijiwa Genba no jô » (Nippon.com)

Ôishi Kazuhisa (à gauche) et Ide Norimitsu, le gardien de la tombe. (© Nippon.com)
Ôishi Kazuhisa (à gauche) et Ide Norimitsu, le gardien de la tombe. (Nippon.com)

Élucider le mystère

Le seul moyen de s’assurer que cette tombe était bien celle de Chijiwa Miguel était d’approfondir les recherches en parcourant notamment les cadastres du domaine d’Ômura pour trouver le lien éventuel entre Genba et le site d’Ikiriki. Ôishi réussit à établir un lien fort en la personne d’un important vassal des Ômura. Fort de ces résultats, il annonce sa découverte à la presse en 2004 en se gardant toutefois de tirer des conclusions définitives. Car seules des fouilles auraient permis d’être absolument catégorique sur le sujet.

En 2021, c’est chose faite grâce aux résultats de la quatrième fouille du site. Les chercheurs ont excavé deux squelettes, celui d’un homme et d’une femme, ainsi qu’une série d’objets. Or des perles et des morceaux de verre associés à des tombes chrétiennes ont été trouvés près des corps. Ces derniers éléments viennent conforter la thèse arguant que cette tombe est bien la dernière demeure de l’émissaire Chijiwa Miguel.

Découvrir la tombe d’un des émissaires de Tenshô revêtait déjà en soi une importance historique considérable. Mais la preuve solide que Chijiwa ait reçu une sépulture chrétienne est capitale. Cela signifiait qu’il fallait réécrire l’Histoire et arracher l’infamante qualification d’apostat qui collait à son nom car il avait bel et bien conservé la foi jusqu’au tombeau.

(Photo de titre : monument commémorant le 400e anniversaire de l’ambassade Tenshô. La statue des quatre jeunes émissaires est érigée dans le parc Morizono à Ômura. Nippon.com)

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Amano HisakiArticles de l'auteur

Né à Akita en 1961, Amano Hisaki est diplômé de l’université Waseda (département d'économie de la faculté des sciences politiques et économiques) et de l’université pour étrangers de Pérouse (département langue et culture italiennes). Il a travaillé une vingtaine d’années comme journaliste sportif au Mainichi Shimbun avant de devenir traducteur et rédacteur freelance.

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