Sur les traces des chrétiens cachés du Japon

Sur les pas de Tetsukawa Yosuke, le père de l’architecture chrétienne au Japon

Histoire Tourisme

Amano Hisaki [Profil]

Lors de mon voyage à Amakusa, dans la préfecture de Kumamoto, j’ai été impressionné par l’église du village de Sakitsu dont la silhouette élancée vers le ciel se fond si parfaitement au paysage des maisons de pêcheurs japonais. Cette basilique a été conçue et construite par Tetsukawa Yosuke (1879-1976) qui a par ailleurs plusieurs autres sites à son actif. Marchons dans les pas de ce modeste charpentier qui finit par être appelé le « père de l’architecture chrétienne au Japon ».

Apprendre en autodidacte les techniques du béton armé

Devenu charpentier au sortir du premier cycle, Tetsukawa Yosuke n’avait donc pas suivi d’études supérieures en architecture. D’obédience bouddhiste, il n’avait de plus jamais vu d’église européenne de ses yeux. Et pourtant, il a participé à la conception de plus de 50 églises et en a réalisé une trentaine. Certes, rencontrer ces deux prêtres français a certainement aidé le charpentier à devenir architecte, mais ils n’ont pas été le seul moteur de sa carrière.

En apprenant que Tetsukawa Susumu, qui avait vécu aux côtés de son grand père Yosuke à la fin de sa vie, vivait à Nagasaki et était un architecte reconnu, j’ai quitté l’île de Nakadôri pour retourner à Nagasaki et m’entretenir avec lui.

Quand je lui ai demandé ce que l’architecte qu’il était pensait de l’œuvre de son grand-père, il m’a répondu : « Le plus impressionnant est qu’il avait appris en autodidacte les techniques de béton armé. ». Il m’a alors apporté un livre de la bibliothèque de Yosuke. Il suffisait de le feuilleter cet ouvrage intitulé « Ingénierie du béton armé (Tekkin konnkurîto kôgaku, 1916) » pour voir combien les pages avaient été annotées en noir et soulignées de rouge.

Les bâtiments en brique ayant été particulièrement touchés, le Grand tremblement de terre du Kantô de 1923 a largement contribué à la diffusion du béton armé au Japon.

Mais l’année précédant le grand séisme, Tetsukawa Yosuke utilisait déjà le béton armé, notamment pour l’édification du séminaire de Nagasaki, un bâtiment haut de deux étages.

Entré à l’Institut d’architecture du Japon en 1908, il s’est efforcé d’apprendre les techniques du béton armé. Dès qu’un atelier avait lieu à Tokyo, il s’y rendait en train de nuit et s’imprégnait goulument de toute découverte.

Des nombreux chefs-d’œuvres de son grand-père, Susumu préfère l’église de Himosashi à Hirado, dans la préfecture de Nagasaki (voir carte). L’édifice en béton armé a pourtant donné du fil à retordre à son aïeul.

« Un architecte doit à la fois maîtriser la technique et l’esthétique. Mon grand-père avait certes une âme d’artiste, mais il était avant tout un ingénieur, il n’a pas eu peur d’apprendre en autodidacte les techniques du béton armé à une époque où seules les Universités d’élites de Tokyo et Waseda dispensaient une formation à l’architecture. »

(À gauche) Le livre intitulé « Ingénierie du béton armé (Tekkin konnkurîto kôgaku, 1916) » que Tetsukawa Yosuke a avidement compulsé. (À droite)  Dans la fleur de l’âge, Tetsukawa Yosuke aimait arborer son costume trois pièces noir agrémenté d’une montre à gousset dont on voit la chaine accrochée au gilet. (Photos fournies par l’Agence d’architecture Tetsukawa Susumu)
(À gauche) Le livre intitulé « Ingénierie du béton armé (Tekkin konnkurîto kôgaku, 1916) » que Tetsukawa Yosuke a avidement compulsé. (À droite) Dans la fleur de l’âge, Tetsukawa Yosuke aimait arborer son costume trois pièces noir agrémenté d’une montre à gousset dont on voit la chaine accrochée au gilet. (Photos fournies par l’Agence d’architecture Tetsukawa Susumu)

(À gauche) L’église de Himosashi a longtemps été la plus grande église du Japon avant d’être dépassée par la nouvelle basilique d’Urakami, reconstruite après l’effondrement de l’église suite à l’explosion de la bombe H sur Nagasaki. (Photo avec l’aimable autorisation de l’office du tourisme de Kyûshû). (À droite) L’ancienne résidence de l’archevêque de Nagasaki jouxte la basilique d’Ôura. Elle a été conçue par le père de Rotz et édifiée par Tetsukawa Yosuke qui était fier que son édifice soit resté intact malgré la bombe atomique.
(À gauche) L’église de Himosashi a longtemps été la plus grande église du Japon avant d’être dépassée par la nouvelle basilique d’Urakami, reconstruite après l’effondrement de l’église suite à l’explosion de la bombe H sur Nagasaki. (Photo avec l’aimable autorisation de l’office du tourisme de Kyûshû). (À droite) L’ancienne résidence de l’archevêque de Nagasaki jouxte la basilique d’Ôura. Elle a été conçue par le père de Rotz et édifiée par Tetsukawa Yosuke qui était fier que son édifice soit resté intact malgré la bombe atomique.

Murs de briques laissés sur le site de son ancienne demeure

En 1949, Yosuke alors âgé de 70 ans cède l’entreprise familiale à son fils aîné, Yohachirô. Il prend sa retraite puis se retire à Yokohama, où il vivra jusqu’à sa mort en 1976, à l’âge de 97 ans.

Sa maison sur l’île de Nakadôri se trouve près du port de pêche de Maruo, à 40 minutes en bus du port d’Arikawa. Des murs en briques sont restés en l’état, mais le bâtiment inhabité et délabré a été démoli pour faire place à un parc municipal. Sur le terrain, il reste quelques panneaux avec des portraits de Yosuke, sa biographie et des photos des églises qu’il a construites et conçues.

D’abord j’ai trouvé désolant que la mémoire du « père de l’architecture chrétienne au Japon » soit ainsi traitée, puis je me suis ravisé.

En effet, quand j’ai visité l’ancienne église de Nokubi sur l’île de Nozaki, mon guide m’avait expliqué : « L’église a été désertée après le départ massif des fidèles mais elle n’a pas été démolie car la municipalité l’a ensuite acquise, et après l’avoir reprise au diocèse de Nagasaki, elle l’a classée au patrimoine culturel. »

« Mais pour les catholiques, une église qui cesse de remplir son office doit être rendue à la terre. »

Ainsi donc, sur cette logique et fidèlement à l’esprit qui a tant guidé Yosuke toute sa vie durant lorsqu’il construisait des églises, il peut sembler naturel que sa demeure se retrouve elle aussi rendue à la terre.

Sous la douce clarté du coucher du soleil, les murs de briques se teintent d’un éclat orangé...

Le site de la maison de Tetsukawa Yosuke près du port de pêche de Maruo. Avant que la côte ne soit endiguée, la plage devant la maison était sablonneuse et l’on pouvait venir sur site en bateau.
Le site de la maison de Tetsukawa Yosuke près du port de pêche de Maruo. Avant que la côte ne soit endiguée, la plage devant la maison était sablonneuse et l’on pouvait venir sur site en bateau.

(À gauche) Au milieu du parc, le reste de l’évier, de son support en briques et de jarres ayant contenu jadis du miso ou de la sauce soja. (À droite) Photo de groupe de la guilde d’architecture Tetsukawa prise vers 1939. Yosuke est au premier rang, au centre droit.
(À gauche) Au milieu du parc, le reste de l’évier, de son support en briques et de jarres ayant contenu jadis du miso ou de la sauce soja. (À droite) Photo de groupe de la guilde d’architecture Tetsukawa prise vers 1939. Yosuke est au premier rang, au centre droit.

Sources bibliographiques

  • « Tetsukawa Yosuke, pionnier de l’architecture Tenshudô : les grandes œuvres d’un talentueux maître charpentier de Nagasaki », (Tenshudô-kenchiku no paionia Tetsukawa Yosuke Nagasaki no isai-naru daitoku tôryô no igyô). Nobuyo Kida, Nichibô-Shuppansha.
  • « La vie de Tetsukawa Yosuke, “l’architecte d’église” : Un portrait sans fard. Son petit-fils nous raconte comment il a partagé le soir de sa vie » (Kyôkai-kenchiku-kaTetsukawa Yosuke no shôgai dôkyo no mago ga mita sugao). Tetsukawa Hiroko, Kaicho-sha.
  • « Les églises de l’architecte Tetsukawa Yosuke : visiter les îles Gotô » (Tetsukawa Yosuke no kyôkai-kenchiku Gotô-rettô wo tazunete) LIXIL Publications.

(Photo de titre : l’église de Mizu-no-ura surplombe la baie, au nord de l’île de Fukue. Conçue et construite par le maître d’œuvre Tetsukawa Yosuke, elle est communément appelée « l’église blanche ». Les murs en roche calcaire se détachent sur le ciel bleu et les flots transparents. Toutes les photos sont de Amano Hisaki, de Nippon.com, sauf mentions contraires.)

Tags

tourisme histoire religion Nagasaki Kumamoto christianisme

Amano HisakiArticles de l'auteur

Né à Akita en 1961, Amano Hisaki est diplômé de l’université Waseda (département d'économie de la faculté des sciences politiques et économiques) et de l’université pour étrangers de Pérouse (département langue et culture italiennes). Il a travaillé une vingtaine d’années comme journaliste sportif au Mainichi Shimbun avant de devenir traducteur et rédacteur freelance.

Autres articles de ce dossier