Sur les traces des chrétiens cachés du Japon

Sur les traces des chrétiens cachés du Japon : Shimabara, terre de persécutions et de tortures des fidèles

Histoire Tourisme

Amano Hisaki [Profil]

Les sources chaudes de « l’Enfer d’Unzen » sont connues comme le site principal où les chrétiens étaient torturés au XVIe et XVIIe siècle. L’une des formes de torture qui y ont été pratiquées était l’immersion dans l’eau bouillante. Les chrétiens de Shimabara se sont révoltés pour y mettre fin, mais ont été exterminés. En visitant les ruines du château de Hara, théâtre de cette rébellion, vous serez accueillis par la plus grande statue en bois sculpté au monde de la Vierge Marie, qui vient d’être achevée par un homme de 89 ans.

La plus grande statue en bois sculpté au monde de la Vierge Marie

Matsukura Shigemasa, seigneur du domaine de Shimabara, était tellement fidèle à Iemitsu qu’il continua à torturer cruellement les chrétiens et les paysans qui ne pouvaient pas payer leur tribut annuel. Incapables de supporter cette tyrannie, les paysans qui considéraient le chrétien Amakusa Shirô (de son vrai nom Masuda Shirô), âgé de 16 ans, comme un ange, se sont soulevés. Ils se retranchèrent dans le château abandonné de Hara et attaquèrent l’armée du shogunat. La révolte de Shimabara-Amakusa est restée comme la plus importante guerre civile de l’histoire du Japon

En janvier 2023 a été inauguré, sur une colline surplombant les ruines du château de Hara, un lieu d’exposition qui abrite une statue de Marie en bois, élaborée pendant 40 ans par un sculpteur aujourd’hui âgé de 89 ans. Après ma visite de l’enfer d’Unzen, je m’y suis également rendu en bus.

À environ 10 minutes des ruines du château de Hara se trouve un bâtiment qui ressemble à une église et offre un excellent point de vue. C’est ici que se trouve la plus grande statue en bois sculpté de la Vierge Marie..

Avec ses 10 mètres de haut, la statue est impressionnante. L’Enfant Jésus, et Marie qui le tient, ont leurs regards tournés vers le bas, probablement pour compenser l’angle de vue de ceux qui regardent à proximité.

Les yeux fermés, Marie semble aussi douce et compatissante que Kannon.

Mais à quoi pensait l’artiste lorsqu’il a créé cette statue de Marie ?

Une statue en bois de la Vierge Marie, presque aussi grand que le Grand Bouddha de Kamakura. En bois de camphriers géants, âgés de 200 à 300 ans, coupés en anneaux et empilés les uns sur les autres.
Une statue en bois de la Vierge Marie, presque aussi grand que le Grand Bouddha de Kamakura. En bois de camphriers géants, âgés de 200 à 300 ans, coupés en anneaux et empilés les uns sur les autres.

La statue se dresse sur une colline le long de la route touristique Unzen Green Road. La mer d'Ariake s'étend en contre-bas avec une vue idéale sur les ruines du château de Hara.
La statue se dresse sur une colline le long de la route touristique Unzen Green Road. La mer d’Ariake s’étend en contre-bas avec une vue idéale sur les ruines du château de Hara.

La foi d’un artiste

Oyamatsu Eiji, l’artiste qui a sculpté cette œuvre monumentale, a son atelier sur une colline appelée Misonodai à Fujisawa, dans la préfecture de Kanagawa, soit à 1 200 km à l’est des ruines du château de Hara ! Un couvent, une école de filles, une maison d’enfants et un foyer pour personnes âgées se trouvent également dans 83 000 m2 d’une verdure luxuriante.

Dans son atelier, qui était autrefois l’entrepôt de la ferme du monastère, Oyamatsu a fait une pause dans son travail pour me parler de ses 40 années de travail, émaillées de difficultés et d’épisodes divers.

Oyamatsu est né en 1934 dans une famille d’agriculteurs sur l’île de Sado, dans la préfecture de Niigata. Après avoir obtenu son diplôme dans un lycée agricole, il est devenu l’apprenti de Sasaki Shôdô, artiste fondeur né à Sado et trésor national vivant, et a ensuite étudié la sculpture à l’école d’art de Musashino (aujourd’hui université d’art de Musashino). En 2011, il a reçu le prix du Premier ministre, la plus haute récompense du salon Nitten, la plus grande exposition d’art grand public du Japon.

À l’aube de la quarantaine, Oyamatsu décide de consacrer le reste de sa vie d’artiste à une seule œuvre, et la vue des ruines du château de Hara lui est venue à l’esprit.

Lors de la révolte Shimabara-Amakusa, 120 000 soldats du shogunat détruisent de fond en comble le château de Hara ; l’armée des révoltés, forte de 37 000 hommes, est anéantie.

Lorsque Oyamatsu a visité les ruines du château de Hara, il a eu le cœur brisé par le fait qu’aucune installation ou monument ne commémorait le sacrifice de ces chrétiens. L’église catholique ne les considère pas comme des martyrs, à la différence des « 26 saints du Japon », morts persécutés.

« Pourtant, il y avait beaucoup de femmes, d’enfants et de personnes âgées parmi les victimes de la répression. Il est étrange qu’il n’y ait pas d’installations pour le repos de leurs âmes », dit-il, lui-même fervent chrétien. Il en a été tellement indigné qu’il a investi son propre argent et a entrepris de créer lui-même une statue de Marie. L’image qu’il avait en tête était celle de Marie-Kannon (Kannon étant le nom japonais du bodhisattva de la compassion Avalokiteśvara, ), vénérée par les chrétiens cachés pendant la période de la prohibition, qui l’assimilaient à la Vierge Marie.

Quelque temps plus tard, un grand nombre d’ossements humains ont été découverts lors de fouilles sur le site du château d’origine. Oyamatsu s’est rendu sur place et a obtenu un morceau d’ossement humain du responsable des fouilles. Il a placé cette relique dans une boîte d’allumettes qu’il a elle-même placé dans la poitrine de la statue de Marie, en pensant aux victimes.

Cette nuit-là, dans un hôtel de Shimabara, Oyamatsu a eu une vision au cours de laquelle le sol tremblait violemment jusqu’à l’aube. Il est convaincu que les esprits des ruines du château de Hara sont venus le voir et lui ont dit : « Oyamatsu, on compte sur toi ! ». L’homme leur promet alors d’achever les travaux.

Mais ce n’était pas une mince affaire que de travailler tout en s’occupant de trois enfants en pleine croissance. Dans ces moments-là, c’est une bénédiction du pape qui lui apporte un soutien moral.

En 1981, à l’occasion de la visite du pape Jean-Paul II à Nagasaki, Oyamatsu lui a remis, par l’intermédiaire du Nonce apostolique, une étude de 30 cm pour une statue monumentale de Marie. Il l’a accompagnée d’une lettre indiquant qu’il voulait « compléter la statue de Marie pour tous les martyrs sans nom du Japon ». Il a ensuite reçu un message de bénédiction directement du pape. Deux autres bénédictions ont suivi de la part de Jean-Paul II, puis de son successeur Benoît XVI.

Certaines personnes se sont opposées à accoler un nom bouddhiste « Kannon » à celui de Marie dans le nom de la statue. Mais Oyamatsu a insisté.

« 4 000 soldats de l’armée du shogunat sont également morts lors de la rébellion de Shimabara. J’ai voulu que le sentiment de deuil les honore également. La charité de la Vierge Marie transcende le sectarisme, le bien et le mal, l’amour et la haine. »

Après m’avoir parlé, Oyamatsu a tranquillement repris son ciseau et son maillet et s’est dirigé vers la statue sur laquelle il travaillait. (Voir également notre article : La plus grande statue en bois au monde de la Vierge Marie, achevée au Japon après 40 ans de travail)

Oyamatsu Eiji aura 90 ans en février prochain. Maintenant qu’il a achevé la statue de Marie-Kannon, son œuvre majeure, il continue à sculpter une nouvelle œuvre tous les mois ou tous les deux mois.
Oyamatsu Eiji aura 90 ans en février prochain. Maintenant qu’il a achevé la statue de Marie-Kannon, son œuvre majeure, il continue à sculpter une nouvelle œuvre tous les mois ou tous les deux mois.

Péninsule de Shimabara

(Photo de titre : les fumerolles de l’Enfer de Seishichi des sources chaudes d’Unzen. Ici a été martyrisé Seishichi, un chrétien caché de Nagasaki. Toutes les photos sont de Nippon.com, sauf mentions contraires.)

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Amano HisakiArticles de l'auteur

Né à Akita en 1961, Amano Hisaki est diplômé de l’université Waseda (département d'économie de la faculté des sciences politiques et économiques) et de l’université pour étrangers de Pérouse (département langue et culture italiennes). Il a travaillé une vingtaine d’années comme journaliste sportif au Mainichi Shimbun avant de devenir traducteur et rédacteur freelance.

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