
Sur les traces des chrétiens cachés du Japon
Sur les traces des chrétiens cachés du Japon : le musée littéraire Endô Shûsaku et ses couchers de soleil
Histoire Tourisme Région- English
- 日本語
- 简体字
- 繁體字
- Français
- Español
- العربية
- Русский
Un lieu sacré des chrétiens cachés
Le musée littéraire Endô Shûsaku se trouve au sommet d’un promontoire surplombant le littoral de Sumônada, à une quarantaine de minutes de la gare de Nagasaki. (Pour le trajet en busn voir en fin d’article)
Le musée littéraire Endô Shûsaku, sur le site du roman Silence. Les couchers de soleil y sont parmi les plus beaux de Nagasaki.
Cette partie du littoral, au nord-ouest de Nagasaki, a comme nom Sotome, et s’écrit avec les idéogrammes signifiant « mer extérieure » (外海). Les villages de Shitsu et de Ôno figurent sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco dans un ensemble appelé « sites chrétiens cachés de la région de Nagasaki ». Et c’est dans le village voisin de Kurosaki que se situe l’action principale du roman Silence d’Endô Shûsaku.
Notre voyage sur les traces des chrétiens cachés partira du Musée littéraire Endô Shûsaku. Les salles d’exposition du musée sont une excellente occasion de se familiariser avec ce chef d’œuvre, Silence, et la vie de son auteur.
Le Hall d’entrée du Musée littéraire Endô Shûsaku, qui donne l’impression d’entrer dans une église.
Réflexions sur un lit d’hôpital
Endô Shûsaku est né le 27 mars 1923 à Tokyo. Il passe son enfance à Dalian, en Mandchourie alors colonie japonaise. Il est baptisé dans le rite catholique romain à l’âge de 11 ans, à son retour à Kobe, en même temps que son frère aîné. Son nom de baptême est Paul.
Endô étudie la littérature française à l’université de Keiô et devient le premier étudiant à partir compléter des études à l’étranger après la fin de la guerre, en doctorat à l’université de Lyon, en France. À son retour au Japon, il fait ses débuts en tant qu’écrivain avec un recueil d’essais, « L’étudiant français » (France no daigakusei), puis en 1955 remporte le prix Akutagawa, la plus prestigieuse récompense littéraire japonaise, pour « L’Homme blanc » (Shiroi hito, non traduit en français).
Il s’impose rapidement dans le monde littéraire puis se marie. Sa vie publique et sa vie privée semblent se dérouler sans heurts. Cependant, la tuberculose qu’il avait contractée lors de ses études à l’étranger réapparaît et, à l’âge de 38 ans, il tombe gravement malade, subissant trois opérations des poumons et passant deux ans à l’hôpital.
Vivre chaque jour dans un lit d’hôpital me permettait de réfléchir à toutes sortes de choses. J’ai été baptisé chrétien lorsque j’étais enfant, et j’ai donc naturellement pensé aux Japonais qui ont embrassé les religions occidentales et à leurs ancêtres. J’ai voulu explorer cet aspect chez les chrétiens de la période Sengoku (1477-1573) et, pendant ma convalescence, j’ai continué à rechercher et à étudier des livres sur les chrétiens. Cependant, l’idée d’écrire un roman sur eux ne m’avait pas encore traversé l’esprit à cette époque. Lorsque je me suis remis de ma maladie, ma première pensée a été : “Je veux aller dans un endroit lumineux.” Je me suis alors rendu à Nagasaki, mais à l’époque, ce n’était pour moi qu’un simple voyage touristique. (Endô Shûsaku, « La voix du Silence », Chinmoku no koe).
Endô Shûsaku (photo prise en septembre 1994, Jiji Press)
Rencontre avec un fumi-e
Quand, un soir de début d’été, Endô visite l’église Ôura, appelée aussi « l’Église des vingt-six martyrs », il contourne le parvis bruyant de touristes et monte par une rue secondaire.
Il arrive alors devant une maison en bois de style occidental, marquée « bâtiment n°16 » qui semble être un musée, où il décide de pénétrer pour passer le temps. Une rencontre fatidique l’attend alors. Il découvre en effet un fumi-e (littéralement « image à fouler aux pieds »), une plaque de cuivre gravée représentant une « Pieta », c’est-à-dire une descente de Croix, l’image de la Vierge portant le corps de son fils mort, placée dans un cadre en bois. Ce cadre entourant la plaque de cuivre portait les marques des orteils des personnes qui avaient marché dessus.
Le fumi-e qui a inspiré à Endô Shûsaku l’écriture de son roman Silence. L’objet est désigné « bien culturel d’importance nationale ». (Collection du musée national de Tokyo. Source : colbase)
Ce n’est qu’à son retour à Tokyo qu’il a commencé à s’intéresser aux fumi-e, qu’il n’avait regardés que distraitement à Nagasaki.
En marchant dans la rue ou quand je travaillais, je me souvenais soudain des empreintes noires laissées sur le cadre en bois. Elles n’avaient pas été faites par une seule personne, mais par une multitude. Comme tout le monde, je me suis demandé quel genre de personnes avait laissé ces traces de pieds noires. À quoi pensaient-ils lorsqu’ils ont piétiné ce en quoi ils croyaient ? J’ai grandi pendant la guerre. Naturellement, j’ai vu beaucoup de gens qui ont dû abandonner leurs croyances et leurs idéologies, et qui sont morts à la guerre. En d’autres termes, j’ai vu des cas où les gens ont facilement fait plier leurs croyances et leurs idées sous la violence physique. L’histoire des personnes qui ont foulé de leurs pieds des images sacrées de leur foi n’était donc pas une histoire lointaine pour moi. C’était même une interrogation très sérieuse. (op.cit.)
Les martyrs et les déchus
Les « esprits forts » qui sont morts en défendant leurs croyances et leur foi contre toute persécution au prix de leur vie sont appelés martyrs.
Endô, pour sa part, était surtout fasciné par les sentiments complexes que les « apostats » — ceux qui n’ont pas réussi à être assez fermes dans leur foi et ont foulé les images saintes pour ne pas subir la torture du shogunat — devaient éprouver à l’égard des martyrs, au-delà de la crainte et de l’admiration qu’ils leur portaient.
Ainsi, l’écriture de son roman Silence partait d’un sentiment de déception sur ce point.
Les églises ne portent aucune trace de ceux qui ne sont pas devenus des martyrs, de ceux qui ont apostasié à cause de leur propre faiblesse. On parle des forts qui ont persévéré dans leurs convictions, mais ceux qui sont tombés, — les “pommes pourries”, en quelque sorte — sont très peu mentionnés par l’église de l’époque. (op.cit.)
Endô n’a pas abandonné. Il se sentait investi d’une mission de romancier : « Faire ressortir du silence des personnes effacées de l’histoire parce qu’elles étaient tombées en disgrâce et que l‘Église ne voulait pas en parler, et projeter sur elles mon propre cœur. »
Il a rendu visite au père Hubert Cieslik, un éminent spécialiste des études chrétiennes qui enseigne à l’université Sophia, a assisté à ses conférences hebdomadaires et a découvert l’existence de quatre personnes « faibles » dont l’histoire a gardé la trace, ce qui est très peu par rapport à leur nombre réel. Il s’est ensuite rendu à nouveau à Nagasaki et, à l’issue de ses recherches, a finalement retrouvé le dernier, Ferreira.
Le lieu préféré de Endô Shûsaku à Nagasaki, Kinezaka, la « montée de prières », près de l’église Ôura. C’est assis sur les marches en pierre de cette montée qu’il a mûri l’idée de Silence.
Cristóvão Ferreira était un missionnaire jésuite portugais, l’un des principaux responsables jésuites au Japon en 1614 lorsque le christianisme devient interdit dans tout le pays. Capturé en 1633 et incapable de supporter les tortures perpétrées sous les ordres du gouverneur du fief de Chikugo, Inoue, responsable de la suppression du christianisme par le shôgun, il apostasie. Par la suite, sous le nom de Sawano Chuan, il servit d’interprète au shogunat, assista aux interrogatoires des missionnaires et des chrétiens capturés et les encouragea à apostasier.