« Wasan », les mathématiques traditionnelles japonaises

Sakuma Yôken, un maître des mathématiques « wasan » au XIXème siècle

Histoire Science Éducation

Abe Haruki [Profil]

Les wasan, la façon traditionnelle japonaise d’aborder les problèmes mathématiques, étaient ouverts à tous ceux qui étaient avides de connaissances. Sakuma Yôken (1819-1896) a enseigné à des milliers d’étudiants tout en entreprenant de nombreux voyages, l’occasion pour lui de parfaire sa propre compréhension de cette science.

Des plaques en bois pour célébrer la résolution de problème

Les prouesses en mathématiques de Yôken lui valurent le statut de samouraï et une place en tant que professeur à l’école de la classe guerrière du domaine de Miharu. Après la Restauration de Meiji en 1868, il a été temporairement impliqué dans la topographie en tant que fonctionnaire de la préfecture d’Iwasaki (une préfecture de courte durée, concentrée sur la région côtière de Hamadôri de l’actuelle Fukushima). Nombre de ses élèves sont devenus géomètres à leur tour. Le projet du canal d’Asaka, à l’origine de l’irrigation des champs du même nom à Kôriyama, que l’on croyait des terres non fertiles, avec l’eau du lac Inawashiro à l’ouest, est souvent attribué au superviseur du projet, le topographe néerlandais Cornelis Johannes van Doorn, mais ce sont des élèves de Yôken comme Itô Naoki dont les mesures minutieuses du site ont en grande partie contribué au succès du projet.

Existe-t-il un sangaku (cette plaque de bois que l’on accroche dans un temple pour célébrer une solution à un problème mathématique) écrite de la main de Yôken ? Selon Nakazawa Ichio, oui, en 1837, à l’âge de 19 ans. Il s’agissait d’un problème impliquant des cercles et un triangle. Le sangaku se trouvait dans la salle Kannon du temple Tôdôsan Manpuku-ji (ville d’Ono, préf. Fukushima). Malheureusement, la plaque a été perdue dans un incendie, mais il en reste des traces. Elle montre une manière plus simple de résoudre le problème que celle décrite sur un sangaku antérieur.

Sur le sangaku disparu, Yôken avait inscrit ce diagramme et la solution du problème. (Photo avec l'aimable autorisation de Nakazawa Ichio)
Sur le sangaku disparu, Yôken avait inscrit ce diagramme et la solution du problème. (Photo avec l’aimable autorisation de Nakazawa Ichio)

Plusieurs sangaku accrochés dans des sanctuaires et des temples de la préfecture par des étudiants de Yôken ont pu être conservés. Deux d’entre eux, provenant des temples Akitasan Ryûon’in (à Tamura) et Kobiragata Tenman-gû (à Inawashiro), sont particulièrement en bon état (voir ci-dessous).

En haut : le sangaku au temple Akitasan Ryûon'in (affiché en 1893) En bas : le sangaku au temple Kobiragata Tenman-gû (affiché en 1885).
En haut : le sangaku au temple Akitasan Ryûon’in (affiché en 1893) En bas : le sangaku au temple Kobiragata Tenman-gû (affiché en 1885).

Les six grands voyages de Sakuma Yôken

Par ailleurs, il convient d’évoquer les nombreux voyages entrepris par Yôken pour approfondir ses connaissances en mathématiques. Si Paris était la « capitale des arts » ou Vienne la « capitale de la musique classique », le wasan n’en avait pas. On trouvait des maîtres de wasan dans tout le Japon, si bien que de nombreux mathématiciens, avides de connaissances ont parcouru le pays en participant à des « concours inter-écoles » (taryûjiai) ou en suivant un « entraînement de guerrier » (musha shugyô) dans des écoles et des dôjôs renommés. Même le professeur de Yôken, Watanabe Kazu lui-même, a relevé un défi lancé par le célèbre mathématicien Aida Yasuaki.

Watanabe Kazu avait alors 22 ans. Aida Yasuaki avait entendu parler de ce jeune mathématicien prometteur. Quittant la capitale, Edo, Watanabe se rendit à son école, alors qu’il était en route pour Yamagata, sa ville natale. Aida ne tarda pas à mettre le jeune prodige à l’épreuve, lui posant des problèmes difficiles utilisant des équations d’ordre supérieur. Commença alors un échange ; Watanabe résolut les problèmes et en posa à son tour à Aida. Mais le jeune homme avait du mal à admettre qu’Aida trouvait les bonnes solutions. Il chercha des erreurs, mais en vain. Reconnaissant les aptitudes de son pair, Watanabe devint le disciple d’Aida.

D’après les recherches de Nakazawa Ichio, Sakuma Yôken a effectué six grands voyages :

  1. Un pèlerinage aux sites sacrés du mont Katta et de l’île Kinkasan près de Sendai (Miyagi) (1840).
  2. Un pèlerinage à Ise, Kumano, aux 33 Kannon de Shikoku, au mont Konpira et au temple Zenkô-ji (1842).
  3. Un pèlerinage au mont Fuji (1844)
  4. Une formation en mathématiques à Yamagata (1846)
  5. Une formation en mathématiques à Amakusa (Kumamoto) (1858)
  6. Une formation en mathématiques à Sakata (Yamagata) et Echigo (Niigata) (1862)

Yôken s’est également rendu à plusieurs reprises à Edo. Ces voyages semblent s’expliquer par son intérêt pour les sangaku exposés dans différents temples et sanctuaires, ainsi que par sa forte croyance en Kannon. Dans tout le Japon, sur les sites dédiés à Kannon, il a prié pour que le bodhisattva de la compassion lui apporte son aide dans sa quête d’une plus grande maîtrise des mathématiques, et n’a pas manqué de lui exprimer sa gratitude pour les progrès qu’il avait accomplis.

Nakazawa trouve le cinquième voyage de Yôken particulièrement intriguant. Son périple jusqu’à Kyûshû (sud-ouest) a duré cinq mois, du neuvième mois de 1858 au deuxième mois de l’année suivante. Yôken lui a consacré pas moins de six volumes de son journal ; des événements aux rencontres avec d’autres mathématiciens wasan. Les noms de trente-six d’entre eux sont mentionnés, mais pour Nakazawa, c’est bien son séjour à Nagasaki qui est au cœur de ces voyages. Yôken a passé douze jours à Nagasaki, plus longtemps que tout autre endroit qu’il a visité au cours de ce voyage. Mais plus que tout, ce voyage lui a permis d’approfondir ses connaissances en mathématiques européennes, diffusées dans la ville par le biais du centre d’entraînement naval que le shogunat y avait établi, grâce à ses rencontres avec des mathématiciens locaux. De retour à Fukushima, Sakuma Yôken y consacre près de la moitié de ses heures de cours.

Suite > Mathématicien itinérant et star d’un manga ukrainien ?

Tags

éducation Fukushima histoire science personnalité

Abe HarukiArticles de l'auteur

Titulaire d’un diplôme d’ingénierie obtenu en 1977 à l’Université de Hokkaidô. Après un complément d’études aux États-Unis, il entre au journal Asahi. Il fait partie du personnel de l’agence new-yorkaise du journal de 1996 à 1999. De 2013 à 2020, il travaille dans les préfectures d’Okayama et de Shiga en tant que grand reporter régional. Depuis son départ de l’Asahi, il exerce son activité en tant que journaliste indépendant.

Autres articles de ce dossier