L’isolement social au Japon

La famille d’accueil au Japon, une structure salvatrice pour les enfants qui souffrent

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Gotô Eri [Profil]

Au Japon, le nombre de cas de négligence, maltraitance sur enfant, absentéisme à l’école et suicides chez les enfants a rapidement augmenté ces dernières années, alors que la société tente de faire face aux changements économiques et au déclin démographique. Pour de nombreux enfants confrontés à des conditions de vie difficiles, la « famille d’accueil » apparaît comme une alternative au foyer familial traditionnel.

Des enfants biologioques et adoptifs sous le même toit

À quelques pâtés de maison de la famille d’accueil des Yokota, à Warabi, il y a une autre famille d’accueil : Southern Village. Elle est gérée par Ishii Sachiko, son mari récemment retraité Atsushi, et son fils aîné Toshiki. Avec 28 ans d’expérience en tant que famille d’accueil, Southern Village est proche et solidaire des Yokota, chacun s’entraidant les uns les autres ou simplement écoutant les problèmes de l’autre.

Sachiko et Atsushi ont quatre garçons. Ayant du mal à avoir des enfants, ils ont adopté Toshiki, l’aîné, lorsqu’il avait 18 ans. Mais à peine un an et demi plus tard, Sachiko a donné naissance à leur deuxième fils. Les Ishii ont ensuite adopté un troisième fils et ont accueilli chez eux le quatrième.

Les Ishii se sont occupés de dix enfants sur le long terme et sur une base temporaire. C’est là qu’ils ont envisagé de passer de parents adoptifs à une véritable famille d’accueil. Ils expliquent que c’est grâce à leur fils si Southern Village a finalement vu le jour. « Vous devriez le faire » les a-t-il encouragés, insistant sur le fait que cela était « une chance de faire partie d’une approche transformative pour devenir une véritable famille d’accueil ». Ces mots d’encouragement de la part de son fils adopté étaient lourds de sens pour Sachiko. « Cela m’a montré qu’il voyait le fait que nous l’ayons élevé comme une chose positive » explique-t-elle.

Les Ishii disent que beaucoup sont surpris qu’ils acceptent des enfants sur une base temporaire, alors qu’ils ont des enfants biologiques. Cependant, le couple leur explique qu’en tant que famille d’accueil, chaque personne dans le foyer est impliqué. Les autres enfants eux aussi nous aident à s’occuper de leur plus jeunes frères et sœurs adoptifs.

Les Ishii accordent une grande importance à la communication en famille. Ils se réunissent régulièrement pour se tenir au courant de ce qui se passe dans la vie de chacun de leurs enfants (© Gotô Eri).
Les Ishii accordent une grande importance à la communication en famille. Ils se réunissent régulièrement pour se tenir au courant de ce qui se passe dans la vie de chacun de leurs enfants (© Gotô Eri).

Par exemple, Toshiki s’est occupé de ses plus jeunes frères après le bain dès ses années au lycée. Il confie trouver cela émouvant de voir de jeunes enfants traverser un processus d’adaptation à leur nouvel environnement. « Un bébé est peut-être inconsolable quand il arrive ici mais au bout d’une semaine, il s’adapte et passe de bons moments (…) je suis impressionné de savoir que je suis passé par le même processus. »

Maintenant adulte, Toshiki dit comprendre à quel point il est important pour un enfant de recevoir un amour inconditionnel, tout comme cela a été le cas pour lui. Il a grandi entouré de parents proches tels que ses grands-parents et d’autres adultes qui se sont intéressés à son éducation, comme par exemple en s’occupant de lui après l’école jusqu’à ce que ses parents rentrent le soir. Il veut que ses frères et sœurs adoptifs à Southern Village bénéficient des mêmes opportunités afin de créer des souvenirs qui dureront. « Je veux que le temps qu’il passeront ici soit un soutien pour eux s’ils se trouvent un jour en difficulté en grandissant. »

Toshiki lorsqu’il était enfant lors d’une sortie en famille. (Photo avec l’aimable autorisation de la famille Ishii)
Toshiki lorsqu’il était enfant lors d’une sortie en famille. (Photo avec l’aimable autorisation de la famille Ishii)

Toshiki et ses parents sont fermement convaincus qu’un foyer et une communauté n’ont pas les mêmes rôles à jouer mais sont tout autant essentiels pour l’éducation d’un enfant. C’est pourquoi Sachiko et Atsushi se sont toujours impliqués dans les activités sportives des jeunes, les réunions parents d‘élèves et la gestion de l’association locale de familles d’accueil. Sachiko met à profit sa propre expérience afin de conseiller les nouveaux parents et couples d’accueil qui choisissent d’adopter un enfant. « Je veux qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils profitent des avantages des ressources que la société a à offrir » ajoute Atsushi.

Bien plus qu’une famille d’accueil, un chez soi

Au Japon, le placement en famille d’accueil s’est longtemps fait dans des institutions gérées par le gouvernement. Avec la révision de la Loi sur la protection de l’enfance en 2016, l’accent a été mis sur le placement des enfants dans des familles d’accueil ou dans des foyers d’accueil. Les gouvernements locaux ont renforcé les programmes de formation et d’autres initiatives visant à augmenter le nombre de parents d’accueil inscrits. Cependant, les chiffres n’augmentent guère. En 2011, 13,5 % des enfants ayant besoin d’une structure vivaient dans des familles d’accueil ou des institutions similaires. En 2020, ce pourcentage a connu une augmentation et est passé à 22,8 %. La hausse du nombre de foyers d’accueil a également pris du temps, passant de 218 en octobre 2013 à 427 à la fin du mois de mars 2020. Aujourd’hui, près de 20 % des enfants placés dans des ménages vivent dans des familles d’accueil.

Bien qu’un nombre croissant d’enfants soient placés en foyers d’accueil, la tendance est de plus en plus à placer ceux qui nécessitent des soins spécialisés dans des familles d’accueil plutôt que dans d’autres structures. Par exemple, 46 % des enfants ayant des déficiences mentales ou physiques sont placés dans des familles d’accueil, contre 24 %¨dans des foyers et 36 % dans des centres de soins collectifs. Par ailleurs, 53 % des enfants ayant été victimes de violences domestiques vivent dans des familles d’accueil, contre seulement 38 % dans des foyers.

Pour Fujii Yasuhiro, ancien directeur au ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, qui a supervisé les révisions de la Loi sur la protection de l’enfance, « le système de famille d’accueil a été créé pour renforcer le soutien pour les parents d’accueil qui ont de l’expérience et pour développer le placement en famille d’accueil. Cependant, nous n’avions pas pensé qu’autant d’enfants ayant des besoins spécifiques seraient placés dans des familles d’accueil ». Fujii Yasuhiro, lui-même parent d’accueil pour plus de dix enfants, souligne que, pour qu’il puisse fonctionner, le système de protection de remplacement nécessite un soutien accru. « Lorsqu’il s’agit de troubles de l’attachement, et de problèmes qui touchent au développement, avoir élevé son propre enfant ne vous prépare pas à faire face à n’importe quelle situation. Un réseau de soutien avec des spécialistes, sur lequel les parents d’accueil puissent compter, est nécessaire ».

Fujii Yasuhiro a fait partie d’une commission organisée par la Nippon Foundation sur le système des familles d’accueil. Il explique que si la plus grande responsabilité pour l’éducation des enfants est celle des parents, les parents d’accueil et les directeurs de centres de soins alternatifs, tout le monde dans la communauté à un rôle à jouer. « Il faut que les adultes dans toute la société fassent partie du processus d’éducation de l’enfant », dit-il. En 2020, le groupe a publié une liste de propositions comprenant des recommandations visant à diminuer le nombre maximum d’enfants par structure d’accueil, pour le faire passer de 5-6 enfants, à 4-6 enfants. Un tel changement permettrait selon le groupe la mise en place d’un système de placement de meilleure qualité des enfants en explorant et en faisant le lien avec les ressources disponibles, telles que les crèches ou encore les structures d’aide à l’enfance.

(Article rédigé avec la collaboration de Power News. Photo de titre : Pixta)

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Gotô EriArticles de l'auteur

Écrivaine et travailleuse sociale. Embauchée en 1992 par le journal Asahi Shimbun, où elle a travaillé comme rédactrice et éditrice à la rubrique consacrée à l’économie et aux entreprises, ainsi que pour les revues Aera et Globe, elle a été employée dans d’autres services et a été éditrice en chef au département web médias. Elle est devenue travailleuse sociale après avoir quitté l’entreprise en 2021.

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