L’isolement social au Japon

La famille d’accueil au Japon, une structure salvatrice pour les enfants qui souffrent

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Au Japon, le nombre de cas de négligence, maltraitance sur enfant, absentéisme à l’école et suicides chez les enfants a rapidement augmenté ces dernières années, alors que la société tente de faire face aux changements économiques et au déclin démographique. Pour de nombreux enfants confrontés à des conditions de vie difficiles, la « famille d’accueil » apparaît comme une alternative au foyer familial traditionnel.

Au Japon, environ 42 000 enfants ne peuvent vivre avec leurs parents biologiques. En 2016, l’Archipel a révisé sa Loi sur la protection de l’enfance afin de favoriser une prise en charge par une « autre famille », partant du fait qu’il est mieux pour des enfants de vivre dans un environnement stable qui reproduit le cadre familial, en la présence d’éducateurs aimants et bienveillants. Les familles d’accueil sont l’une des options. Elles peuvent accepter jusqu’à six enfants. Intéressons-nous donc à ces structures pas comme les autres, qui apportent un nouveau regard sur l’accueil des enfants.

Accueillir un enfant qui souffre d’un trouble du développement

Yokota Takashi et Yokota Wakako ont choisi de devenir famille d’accueil il y a 15 ans. Ainsi, ils ont accueilli une trentaine d’enfants, agrandissant leur propre famille de cinq enfants, qui ont maintenant entre 13 et 29 ans. Mettant à profit leur expérience, les Yokota ont ouvert la Adachi Family Home à Kawaguchi, dans la préfecture de Saitama, il y a trois ans. Ils accueillent actuellement quatre enfants. Le plus jeune est en CE2 et le plus vieux en cinquième.

En tant que famille d’accueil, Wakako insiste sur l’importance d’un réseau qui soutienne l’enfant. « Si nous avons pu faire tout cela, c’est grâce à l’aide d’autres familles d’accueil, de parents et tuteurs, du bureau de protection de l’enfance, et j’en oublie. » Le foyer d’accueil des Yokota, qui fait également office d’église locale pour le courant Tenri-kyô, religion de base shintoïste, grouille d’activités. Le jardin spacieux et les locaux de l’église peuvent accueillir des événements tels que des réunions de familles d’accueil ou des répétitions pour les représentations théâtrales des enfants. Des bénévoles locaux sont souvent là pour l’aide aux devoirs ou pour s’occuper des plus jeunes enfants. C’est dans un environnement sûr et bienveillant tel que celui-ci que les enfants peuvent développer des compétences sociales, alors qu’ils interagissent avec leurs pairs et d’autres personnes autour d’eux.

Des enfants participent à un événement estival organisé par l’association des familles d’accueil. Des expériences mémorables comme celles-ci jouent un rôle important dans le développement de l’enfant au sein de sa structure d’accueil (avec l'aimable autorisation de l’Association Minami Hanamizuki).
Des enfants participent à un événement estival organisé par l’association des familles d’accueil. Des expériences mémorables comme celles-ci jouent un rôle important dans le développement de l’enfant au sein de sa structure d’accueil (avec l’aimable autorisation de l’Association Minami Hanamizuki).

L’un des enfants qui habite chez les Yokota est un garçon qui a d’abord rejoint la famille alors qu’il n’avait que huit mois. Il est maintenant en cinquième et a grandi aux côtés des autres enfants des Yokota. Leur fille a seulement un an de plus que lui. Depuis sa plus tendre enfance, il souffre d’un trouble du développement, qui l’empêche souvent de contrôler ses émotions. Lorsqu’il est entré dans le difficile environnement social de l’école primaire, Takashi et Wakako ont fait tout ce qu’ils ont pu pour l’aider à l’école. Pendant six ans, ils l’ont accompagné le matin, ont patiemment ramassé ses livres et ses affaires de classe lorsque pris d’une crise, il les envoyait en l’air. En troisième année, une année qui a été difficile pour lui, ils se sont même assis à côté de lui en classe pour lui apporter un soutien émotionnel.

Wakako raconte que parfois, dépassé par la situation, son fils adoptif a reporté son sentiment de frustration sur ses parents adoptifs. Une fois quand il était petit, il lui a même demandé pourquoi elle avait donné naissance à sa fille et pas à lui. Submergé par ses émotions, il l’a mordue à la main jusqu’au sang. »

Wakako comprend la cause de ces crises. « Les enfants veulent vous entendre dire que vous resterez toujours avec eux. » Elle est elle-même allée trouver son fils adoptif et lui a dit « tu sais, j’adorerais être ta mère biologique. Mais tu as de la chance parce que tu as deux mamans qui t’aiment profondément ». En le consolant et en le rassurant de cette manière, il a fini par se sentir à l’aise.

Le fils aîné des Yokota, Hiroto, a été inspiré par cette expérience familiale et a décidé de faire des études de psychologie à l’université. Maintenant, il aide ses parents à gérer la Adachi Family Home. Hiroto est bien conscient des difficultés du comportement de son frère adoptif. « Même en sachant ce qui provoque ses crises, c’est toujours frustrant de gérer ces situations » dit-il. Plutôt que de créer un fossé, au contraire, elles m’ont rapproché de lui. « Il dira peut-être des choses qui me mettront mal à l’aise mais après tout, c’est ce que font des frères, non ? Notre travail à nous, en tant que famille, c’est de lui apporter tout notre amour. »

Yokota Hiroto, à droite, avec ses parents (© Gotô Eri)
Yokota Hiroto, à droite, avec ses parents (© Gotô Eri)

Tisser des liens de confiance avant tout

De nombreux enfants placés en famille d’accueil ont des problèmes de santé, de comportement, de troubles des émotions et de développement, lesquels peuvent expliquer pourquoi ils ont été ballotés de famille en famille. Le premier enfant que les Yokota ont accueilli avait l’âge d’être en première année de lycée. Négligé par sa mère, il avait un caractère imprévisible et avait tendance à s’emporter, recourant même parfois à la violence. La personne en charge au bureau de protection de l’enfance, qui est entrée en contact avec les Yokota, leur a demandé d’accueillir le jeune adolescent chez eux. Les larmes aux yeux, elle leur a dit : « Il n’a nulle part où aller. »

À l’école, il était considéré comme un élément perturbateur, si bien qu’il était systématiquement exclu des sorties extrascolaires. Lorsque ses camarades de classe partaient en excursion, lui, restait dans sa famille d’accueil. « Sans un parent pour pouvoir prendre sa défense », se souvient Wakako, « c’était l’école qui décidait. Il n’a jamais pu participer à une seule sortie ».

Mais les Yokota étaient bien résolus à apporter tout leur soutien à leur fils adoptif, quoi qu’il en coûte. Wakako se souvient encore d’une bagarre entre lui et son plus jeune fils, qui était à l’époque au collège. L’aîné a donné un coup de poing au plus jeune, avant, furieux, d’entrer dans un accès de colère. La personne en charge au bureau de protection de l’enfance qui est intervenue lors de l’incident a dit aux Yokota qu’ils pouvaient ne plus accueillir le garçon s’ils le souhaitaient. Mais ils ont refusé, et ce malgré les protestations de leurs fils. « Si nous lui tournons le dos, il n’aura plus personne » s’est désolée Wakako. Le garçon, persuadée par sa petite amie, est finalement retourné chez les Yokota.

Cet incident marqua un tournant. Après quoi, le comportement du jeune garçon devint moins chaotique. Il est resté chez les Yokota jusqu’à ses vingt ans, l’âge de la majorité au Japon. Il est devenu photographe et revient de temps en temps rendre visite à ses parents adoptifs.

Lorsqu’ils repensent à tous ces moments, les Yokota sont heureux d’avoir pris la défense de leur fils adoptif. « Quand il est arrivé chez nous, il pleurait et nous disait qu’il ne savait pas à qui faire confiance » confie Takashi. « Il lui a fallu deux, trois ans pour nous faire entièrement confiance. » Wakako évoque les difficultés d’assumer des responsabilités parentales pour un enfant qui n’est pas le sien. « Il y a une infinité de défis qui se dressent devant vous, et tous ont un impact sur le développement futur de l’enfant (…) la lutte est réelle mais la joie de devenir un parent pour un enfant en vaut largement la peine. »

Les familles d’accueil ont été introduites au Japon en 2008, dans le cadre d’un système plus large de prise en charge des enfants avec la révision de la Loi sur la protection de l’enfance. En vertu de cette loi, les familles d’accueil peuvent être composées de deux parents d’accueil mariés et d’un assistant, ou d’un parent unique et de deux assistants. Elles peuvent être gérées comme des entreprises privées, tant qu’elles apportent une prise en charge familiale. Une famille peut accueillir jusqu’à six enfants.

À la Adachi Family Home, il y a toujours une chambre pour un ou deux enfants en plus avant d’avoir atteint le chiffre limite de six, car les Yokota gardent de l’espace pour accepter les demandes de bureaux de protection de l’enfance pour l’accueil temporaire d’enfants, pour quelques jours ou pour quelques mois. Hiroto explique que chaque enfant, quelque soit le temps qu’il restera chez eux, sera traité comme un membre de la famille à part entière. Pour lui, les opportunités d’interaction pour les enfants sont « à 100 % positives » pour leur développement. Des enfants plus âgés dans la famille d’accueil apportent un soutien vital pour les plus jeunes, en particulier lorsqu’un enfant est issu d’un environnement où il a été victime de violences. « Ils leur parlent et leur assurent qu’ils sont en sécurité. »

Des enfants biologioques et adoptifs sous le même toit

À quelques pâtés de maison de la famille d’accueil des Yokota, à Warabi, il y a une autre famille d’accueil : Southern Village. Elle est gérée par Ishii Sachiko, son mari récemment retraité Atsushi, et son fils aîné Toshiki. Avec 28 ans d’expérience en tant que famille d’accueil, Southern Village est proche et solidaire des Yokota, chacun s’entraidant les uns les autres ou simplement écoutant les problèmes de l’autre.

Sachiko et Atsushi ont quatre garçons. Ayant du mal à avoir des enfants, ils ont adopté Toshiki, l’aîné, lorsqu’il avait 18 ans. Mais à peine un an et demi plus tard, Sachiko a donné naissance à leur deuxième fils. Les Ishii ont ensuite adopté un troisième fils et ont accueilli chez eux le quatrième.

Les Ishii se sont occupés de dix enfants sur le long terme et sur une base temporaire. C’est là qu’ils ont envisagé de passer de parents adoptifs à une véritable famille d’accueil. Ils expliquent que c’est grâce à leur fils si Southern Village a finalement vu le jour. « Vous devriez le faire » les a-t-il encouragés, insistant sur le fait que cela était « une chance de faire partie d’une approche transformative pour devenir une véritable famille d’accueil ». Ces mots d’encouragement de la part de son fils adopté étaient lourds de sens pour Sachiko. « Cela m’a montré qu’il voyait le fait que nous l’ayons élevé comme une chose positive » explique-t-elle.

Les Ishii disent que beaucoup sont surpris qu’ils acceptent des enfants sur une base temporaire, alors qu’ils ont des enfants biologiques. Cependant, le couple leur explique qu’en tant que famille d’accueil, chaque personne dans le foyer est impliqué. Les autres enfants eux aussi nous aident à s’occuper de leur plus jeunes frères et sœurs adoptifs.

Les Ishii accordent une grande importance à la communication en famille. Ils se réunissent régulièrement pour se tenir au courant de ce qui se passe dans la vie de chacun de leurs enfants (© Gotô Eri).
Les Ishii accordent une grande importance à la communication en famille. Ils se réunissent régulièrement pour se tenir au courant de ce qui se passe dans la vie de chacun de leurs enfants (© Gotô Eri).

Par exemple, Toshiki s’est occupé de ses plus jeunes frères après le bain dès ses années au lycée. Il confie trouver cela émouvant de voir de jeunes enfants traverser un processus d’adaptation à leur nouvel environnement. « Un bébé est peut-être inconsolable quand il arrive ici mais au bout d’une semaine, il s’adapte et passe de bons moments (…) je suis impressionné de savoir que je suis passé par le même processus. »

Maintenant adulte, Toshiki dit comprendre à quel point il est important pour un enfant de recevoir un amour inconditionnel, tout comme cela a été le cas pour lui. Il a grandi entouré de parents proches tels que ses grands-parents et d’autres adultes qui se sont intéressés à son éducation, comme par exemple en s’occupant de lui après l’école jusqu’à ce que ses parents rentrent le soir. Il veut que ses frères et sœurs adoptifs à Southern Village bénéficient des mêmes opportunités afin de créer des souvenirs qui dureront. « Je veux que le temps qu’il passeront ici soit un soutien pour eux s’ils se trouvent un jour en difficulté en grandissant. »

Toshiki lorsqu’il était enfant lors d’une sortie en famille. (Photo avec l’aimable autorisation de la famille Ishii)
Toshiki lorsqu’il était enfant lors d’une sortie en famille. (Photo avec l’aimable autorisation de la famille Ishii)

Toshiki et ses parents sont fermement convaincus qu’un foyer et une communauté n’ont pas les mêmes rôles à jouer mais sont tout autant essentiels pour l’éducation d’un enfant. C’est pourquoi Sachiko et Atsushi se sont toujours impliqués dans les activités sportives des jeunes, les réunions parents d‘élèves et la gestion de l’association locale de familles d’accueil. Sachiko met à profit sa propre expérience afin de conseiller les nouveaux parents et couples d’accueil qui choisissent d’adopter un enfant. « Je veux qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils profitent des avantages des ressources que la société a à offrir » ajoute Atsushi.

Bien plus qu’une famille d’accueil, un chez soi

Au Japon, le placement en famille d’accueil s’est longtemps fait dans des institutions gérées par le gouvernement. Avec la révision de la Loi sur la protection de l’enfance en 2016, l’accent a été mis sur le placement des enfants dans des familles d’accueil ou dans des foyers d’accueil. Les gouvernements locaux ont renforcé les programmes de formation et d’autres initiatives visant à augmenter le nombre de parents d’accueil inscrits. Cependant, les chiffres n’augmentent guère. En 2011, 13,5 % des enfants ayant besoin d’une structure vivaient dans des familles d’accueil ou des institutions similaires. En 2020, ce pourcentage a connu une augmentation et est passé à 22,8 %. La hausse du nombre de foyers d’accueil a également pris du temps, passant de 218 en octobre 2013 à 427 à la fin du mois de mars 2020. Aujourd’hui, près de 20 % des enfants placés dans des ménages vivent dans des familles d’accueil.

Bien qu’un nombre croissant d’enfants soient placés en foyers d’accueil, la tendance est de plus en plus à placer ceux qui nécessitent des soins spécialisés dans des familles d’accueil plutôt que dans d’autres structures. Par exemple, 46 % des enfants ayant des déficiences mentales ou physiques sont placés dans des familles d’accueil, contre 24 %¨dans des foyers et 36 % dans des centres de soins collectifs. Par ailleurs, 53 % des enfants ayant été victimes de violences domestiques vivent dans des familles d’accueil, contre seulement 38 % dans des foyers.

Pour Fujii Yasuhiro, ancien directeur au ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, qui a supervisé les révisions de la Loi sur la protection de l’enfance, « le système de famille d’accueil a été créé pour renforcer le soutien pour les parents d’accueil qui ont de l’expérience et pour développer le placement en famille d’accueil. Cependant, nous n’avions pas pensé qu’autant d’enfants ayant des besoins spécifiques seraient placés dans des familles d’accueil ». Fujii Yasuhiro, lui-même parent d’accueil pour plus de dix enfants, souligne que, pour qu’il puisse fonctionner, le système de protection de remplacement nécessite un soutien accru. « Lorsqu’il s’agit de troubles de l’attachement, et de problèmes qui touchent au développement, avoir élevé son propre enfant ne vous prépare pas à faire face à n’importe quelle situation. Un réseau de soutien avec des spécialistes, sur lequel les parents d’accueil puissent compter, est nécessaire ».

Fujii Yasuhiro a fait partie d’une commission organisée par la Nippon Foundation sur le système des familles d’accueil. Il explique que si la plus grande responsabilité pour l’éducation des enfants est celle des parents, les parents d’accueil et les directeurs de centres de soins alternatifs, tout le monde dans la communauté à un rôle à jouer. « Il faut que les adultes dans toute la société fassent partie du processus d’éducation de l’enfant », dit-il. En 2020, le groupe a publié une liste de propositions comprenant des recommandations visant à diminuer le nombre maximum d’enfants par structure d’accueil, pour le faire passer de 5-6 enfants, à 4-6 enfants. Un tel changement permettrait selon le groupe la mise en place d’un système de placement de meilleure qualité des enfants en explorant et en faisant le lien avec les ressources disponibles, telles que les crèches ou encore les structures d’aide à l’enfance.

(Article rédigé avec la collaboration de Power News. Photo de titre : Pixta)

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