Rencontre avec les lauréats japonais du prix Ig Nobel

Saler un aliment sans ajouter de sel ? Les possibilités du « goût électrique » honoré par l’Ig Nobel

Technologie Santé

Des recherches sur le « goût électrique », qui permet de renforcer le goût salé d’un aliment, ont été couronnées par le prix Ig Nobel 2023, qui honore les travaux scientifiques qui « font rire et réfléchir ». Entretien avec les deux auteurs de cette découverte.

Tout remonte à une expérience à l’école primaire

C’est lorsqu’il était encore écolier que Miyashita avait fait une expérience qui est à l’origine de cette idée.

« J’avais remarqué que lorsque je pressais les doigts contre mes paupières, je voyais par réaction des points noirs. Je m’étais dit que ce serait rigolo si j’arrivais à voir non seulement des points mais des lettres, et j’avais alors tenté des “expérimentations” en essayant différentes façons d’appuyer sur mes paupières. »

Ce qui se produit alors est un phénomène par lequel une pression sur les paupières conduit à une pression sur le globe oculaire, et donc à une stimulation des récepteurs visuels qui exerce une influence sur la vision. À force de s’interroger sur la raison de cet étrange phénomène, le petit Miyashita était bientôt arrivé à une idée.

« J’en étais venu à me dire, à partir de cette expérience, que même si la lumière disparaissait de notre monde, on pourrait en fabriquer. Que même sans créer le “phénomène” de la lumière, on pouvait “vivre” la lumière en stimulant le récepteur qui détecte la lumière. »

Il avait, en d’autres termes, compris la frontière qui existe dans le « monde physique » objectif de la matière et de l’énergie, et le « monde des sens » subjectif de la vision, des goûts, des odeurs qui naissent du traitement par les récepteurs et le cerveau.

Un monde des sens qui s’élargit avec les technologies de l’information

On appelle « médias gustatifs » les technologies qui, de la même manière que le média audiovisuel qu’est la télévision, transforment le goût en données par la technologie de l’information et les transmettent à l’homme. Le goût électrique et l'« Electric Salt » en font partie, et Miyashita a beaucoup travaillé dans la recherche sur les médias gustatifs.

Le professeur a aussi réussi à mettre au point un appareil appelé « TTTV », qui change le goût spécifique de certains aliments. Son appareil le plus récent, développé en 2023, est capable de donner le goût du vin rouge au vin blanc, le goût d’un chocolat de luxe à du chocolat bas de gamme, ou encore de donner au lait le goût de croquettes au crabe, ce qui permet aux personnes allergiques aux crustacés d’y goûter.

Son acolyte Nakamura Hiromi de son côté a dévoilé en 2016 la « fourchette du goût électrique » qui fait sentir un goût salé grâce au goût électrique. Le « menu complet sans sel » mangé avec cette fourchette a reçu cette année-là le prix du Festival média de l’Agence de la culture, qui récompense des produits média d’excellence. Elle s’est ensuite lancée dans le développement de stimulants électriques cutanés que l’on place sur la peau, et elle continue à oeuvrer pour developper les possibilités du goût électrique d’une manière différente de celle de Miyashita.

« Le goût électrique aide les personnes qui doivent suivre des régimes comme celui pauvre en sel. Je pense qu’il a un autre potentiel, qui n’appartient pas au domaine médical mais au domaine du divertissement, en l’associant à d’autres ingrédients afin de créer des sensations gustatives qui n’existent pas encore. Le prix Ig Nobel permet de faire connaître l’existence de ce goût électrique à davantage de monde, et j’espère que sa diffusion se poursuivra », commente Nakamura.

Miyashita a également de grandes ambitions pour leur découverte : « Si on arrivait à reproduire sur ordinateur tous les goûts, on pourrait goûter tout ce qu’on aime à volonté, sans avoir à se préoccuper des effets sur le corps. Et cela permettrait aussi par exemple de donner à une tomate trop mûre un goût de tomate fraîche, et ainsi de limiter le gaspillage alimentaire. Cette récompense nous encourage à continuer le développement des médias gustatifs. »

Prototypes mis au point par le laboratoire Miyashita, le TTTV 3 (à gauche), un appareil de goût électrique, le TTTVin (à droite), un dispositif de goût électrique à poser sur une bouteille, et la cuillère et la fourchette ajusteuses de goût, actuellement en phase de tests.
Prototypes mis au point par le laboratoire Miyashita, le TTTV 3 (à gauche), un appareil de goût électrique, le TTTVin (à droite), un dispositif de goût électrique à poser sur une bouteille, et la cuillère et la fourchette ajusteuses de goût, actuellement en phase de tests.

(Reportage et texte de Sugihara Yuka ; de Power News. Photo de titre : le professeur Miyashita recevant le prix Ig Nobel de la diététique en novembre 2023 lors de la cérémonie tenue au MIT Museum. Toutes les photos sont avec l’aimable autorisation de Miyashita Hômei, sauf mentions contraires.)

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