Rencontre avec les lauréats japonais du prix Ig Nobel

Quand des souris écoutent de l’opéra et vivent plus longtemps : la découverte honorée par le prix Ig Nobel

Science Musique

Uchiyama Masateru a remporté en 2013 le prix Ig Nobel, qui honore les recherches scientifiques qui « font rire et réfléchir ». Lui et son équipe ont été récompensés pour leurs travaux permettant à des souris de vivre plus longtemps après une transplantation cardiaque en leur faisant écouter... de l’opéra !

La reconnaissance par un journal britannique puis par l’Ig Nobel

Le professeur Uchiyama avait maintenant les données qui lui serviraient pour son article, mais l’étape suivante constituait un véritable défi. Le professeur Amano, qui était son supérieur à l’époque à l’université Juntendô, a certes vu un intérêt dans cette expérience, mais pour lui, sa publication ne serait pas chose aisée. Et il avait vu juste ; en effet, un certain nombre de revues universitaires ont rejeté l’article sans même prendre la peine de l’examiner. Il faudra attendre mars 2012, un an et demi après qu’il avait été soumis, pour voir l’article publié dans la revue scientifique britannique Journal of Cardiothoracic Surgery.

« C’est parce c’était une expérience avec des facteurs environnementaux extrêmement forts » a résumé le professeur Uchiyama. Le fait qu’il soit impossible de fournir des preuves scientifiques, et donc objectives, sur les différences entre les diverses formes de musique et les bruits de construction a créé des obstacles plus importants à l’examen de l’étude.

Le professeur Uchiyama donne une présentation au Collège japonais d'angiologie en octobre 2013, un mois après la cérémonie de remise des prix.
Le professeur Uchiyama donne une présentation au Collège japonais d’angiologie en octobre 2013, un mois après la cérémonie de remise des prix.

Cependant, un an après la publication de l’article dans la revue, l’équipe a reçu un message de la part des organisateurs du prix Ig Nobel. Niimi Masanori et Uchiyama Masateru ont d’abord cru à un canular... mais il n’y avait rien de plus sérieux.

« J’étais vraiment heureux qu’un organisme qui ne me connaissait pas apprécie ma façon de penser, qui est plutôt particulière » confie Uchiyama. Il ajoute que grâce à la reconnaissance conféré par le prix, « je peux maintenant avoir confiance dans les résultats de mes travaux de recherche, auxquels j’ai cru ».

Que peut-on dire de l’application des résultats à la pratique clinique sur l’homme ? Lors d’une interview après avoir reçu le prix, Niimi Masanori a déclaré : « C’est directement lié à l’importance de l’espoir, de la motivation et du soutien apporté par la famille. » Il a vu des patients dont on pensait qu’ils ne vivraient que quelques mois, mais qui au contraire ont croqué la vie à pleines dents pendant encore plusieurs années. Et à l’inverse, il y avait des patients dont on pensait qu’ils vivraient en bonne santé pendant un certain nombre d’années encore qui ont vu leur état se détériorer soudainement et décéder. Le professeur Niimi explique que, grâce à ces travaux de recherche, il a compris qu’il existait un facteur affectant le système immunitaire par l’intermédiaire du cerveau qui ne pouvait s’expliquer par la médecine occidentale.

Ayant entendu parler du prix, certains patients demandent : « Quelle musique dois-je écouter pour espérer guérir le plus rapidement possible ? » Le professeur Uchiyama répond en recommandant d’abord des approches basées sur la médecine occidentale, et leur dit : « Écoutez tout simplement la musique que vous aimez. »

« Gardez toujours trois sujets de recherche »

Uchiyama Masanori se confie sur ses jeunes années. « J’étais renfermé, je rougissais à la moindre émotion. Je détestais ces moments où il fallait faire des présentations devant les autres ». Mais une fois au lycée, il a compris qu’il lui fallait changer de comportement, qu’il ne s’en sortirait pas comme ça dans la société. Lorsqu’il était à l’université, il a enseigné dans une école de cours du soir et a surmonté ses problèmes. Difficile à croire qu’il avait été quelqu’un de timide, lorsqu’il est monté sur scène à l’université de Harvard, vêtu d’un costume de souris.

En plus de surmonter ses peurs, il affirme avec certitude ses convictions. Sur recommandation de ses parents enseignants, il fréquente un collège affilié à l’université Ritsumeikan. Toutefois, il choisit un chemin différent qui le mènera à l’université, préférant intégrer une école de médecine. Dans un collège où plus de 90 % des étudiants ont poursuivi leurs études à l’université Ritsumeikan, étudier pour un examen d’entrée n’était pas chose facile. Il persuada des professeurs de lui donner des cours particuliers de biologie et d’anglais après ses propres cours, tout en sélectionnant les matières qui ne lui paraissaient pas utiles. « Tout le monde autour de moi pensait que j’étais bizarre » dit-il.

En 2017 lors d'un buffet à l'Université d'Oxford
En 2017 lors d’un buffet à l’Université d’Oxford

« Gardez toujours trois sujets de recherche » dit Uchiyama Masateru aux étudiants de troisième cycle qu’il supervise. L’un d’entre eux doit être un sujet conventionnel, où les recherches seront simples à mener. Le deuxième doit être un sujet auquel vous consacrerez toute votre vie. Le troisième sera un sujet de « recherche excentrique auquel personne d’autre que vous ne s’intéresse » comme les souris et l’opéra.

Le professeur Uchiyama utilise la métaphore de l’escalade. Pour chacun des sujets que vous aurez choisis, « dans le premier cas, ce sera comme l’ascension d’une montagne de taille raisonnable par temps clair. Dans le deuxième, c’est un peu comme le mont Everest : bien que la montagne soit haute et que le voyage soit long, vous en voyez le sommet. Dans le troisième cas, vous ne connaissez ni la hauteur de la montagne, vous ne savez pas non plus comment l’escalader, vous devrez donc faire preuve d’ingéniosité avec l’équipement qui vous est donné et jouer à l’oreille. On se dit « Quoi ? c’est une blague ! » en attendant le grand frisson final, celui où vous vous direz « Mais c’est absolument génial ! ».

Ceux qui font leurs armes sur des chemins conventionnels, explique-t-il, sont les plus susceptibles de découvrir de nouvelles voies, avec des paysages encore non explorés.

Le professeur Uchiyama ajoute : « Il est important que les chercheurs s’entraînent à faire preuve de souplesse et de liberté de pensée face aux obstacles qu’ils rencontreront inévitablement, et qu’ils atteignent leurs objectifs en adoptant une attitude théorique et constructive. C’est cela qui permet à leurs capacités de se développer ». J’espère qu’autant de (futurs) chercheurs possible rencontreront de nouveaux paysages au cours de leur voyage.

(Inteview et texte par Hamada Nami et Power News. Photo de titre : le professeur Uchiyama à l’Université Teikyô, dans l’arrondissement d’itabashi, à Tokyo. Toutes les photos sont avec l’aimable autorisation d’Uchiyama Masateru.)

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