Une alliance impie : comment la secte Moon a infiltré le Parti libéral-démocrate au pouvoir au Japon

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L’assassinat de l’ancien Premier ministre Abe Shinzô par le fils d’une fidèle de la secte Moon, qui prétendait que les dons faits par sa mère à cette organisation avaient détruit sa famille, a attiré l’attention sur les liens profonds que la secte entretient avec le Parti libéral-démocrate, et soulevé des questions sur son projet politique et son influence sur la politique du parti au pouvoir.

Le recrutement sur les campus universitaires japonais

La secte Moon a très tôt considéré les universités japonaises comme de fertils terrains de recrutement et orienté les candidats vers les clubs d’étudiants et les groupes d’étude gérés par un organisme affilié, l’Association collégiale pour la recherche des principes (ACRP). Elle ciblait en particulier les candidats des meilleures écoles, dans l’espoir de confier aux convertis provenant d’institutions aussi prestigieuses que l’Universié de Tokyo et l’Université Waseda des postes de direction au sein de l’église.

Une personne contactée par un représentant de l’ACRP en 1977, alors qu’elle était encore à l’école secondaire, décrit en ces termes les tactiques du groupe : « On m’a approché aux abords de la gare de Takadanobaba (à Tokyo) et invité à participer à un groupe d’étude de la Bible. On m’a emmené au siège de l’église, près de l’Université Waseda, où l’on m’a parlé de la doctrine du péché originel et du statut messianique de Moon. »

La secte Moon avait l’habitude d’orienter les jeunes candidats vers des camps où on leur inculquait la foi, mais les étudiants du secondaire parvenaient à échapper à ce triste sort quand la vue de membres de la secte en train d’adresser des prières à des images du drapeau sud-coréen et de Moon accrochées au mur éveillaient leur scepticisme. « Ils prétendaient qu’il était le patriarche en Corée et qu’il était plus vénéré que l’empereur du Japon. C’était beaucoup trop tiré par les cheveux pour qu’on y croit. »

Un sentiment anti-japonais

Moon reprochait au Japon d’avoir occupé la péninsule coréenne de 1910 à 1945. C’est pour ce motif que la secte voit ce pays d’un mauvais œil, et le considère comme la « nation d’Ève » qui a souillé la Corée « nation d’Adam ». Moon voyait aussi le Japon comme une source abondante de revenus et réclamait que les Japonais paient des réparations en puisant dans leurs biens.

Moon prétendait avoir fait des études d’ingénieur à l’Université Waseda dans les années 1940, soi-disant en suivant des cours du soir tout en travaillant comme électricien pendant la journée. À l’époque, la discrimination à l’égard des résidents coréens était très répandue, un problème qui reste d’actualité aujourd’hui, et de nombreux experts suggèrent que les enseignements anti-japonais de la secte prennent leur origine dans les expériences vécues par Moon, qui l’ont amené à épouser l’idée que la nation devait être punie pour ses transgressions.

Ce ressentiment s’est exprimé de diverses façons, souvent bizarres. Par exemple, un article du numéro de février 1985 de l’hebdomadaire, aujourd’hui défunt, Asahi Journal parle de cérémonies spéciales célébrées dans les locaux de la secte Moon aux États-Unis à l’occasion des quatre principaux festivals traditionnels coréens, cérémonies au cours desquelles des membres japonais de la direction de l’église déguisés en empereur du Japon imploraient Moon.

Il est difficile de comprendre comment la secte Moon a pu maintenir des liens aussi étroits avec des membres de l’aile conservatrice du PLD tout en affichant des sentiments ouvertement anri-japonais. De même, il n’est pas facile d’appréhender les raisons qui ont empêché le PLD de reprocher à la secte d’utiliser la religion comme un paravent pour dissimuler ses ambitions économiques et politiques, comme Fraser l’a noté dans son rapport de 1978, et l’ont poussé à renforcer la relation en dépit des dangers évidents que cela entraînait. L’explication la plus facile, à l’évidence, consiste à dire que le PLD et la secte Moon bénéficiaient mutuellement de cet arrangement.

PLD et secte Moon : des objectifs partagés

À l’origine, le lien noué par la secte Moon avec des éléments appartenant à l’aile droite du PLD reposait sur l’anticommunisme qu’ils partageaient. Une fois le lien établi, l’organisation a renforcé son emprise en faisant accéder des adeptes à des postes de secrétaires de parlementaires du PLD — un certain nombre d’entre eux ont été jusqu’à représenter le parti dans des assemblées régionales — et en utilisant le vote bloqué pour aider les candidats du PLD à remporter la victoire dans des scrutins locaux.

Les médias et d’autres instances ont suggéré que l’ancien Premier ministre Abe Shinzô supervisait la relation du PLD avec la secte Moon, et s’en servait pour se maintenir au pouvoir en aidant ses alliés au sein du parti à obtenir des postes. L’assassin présumé d’Abe a déclaré que les liens étroits de celui-ci avec la secte Moon constituaient le mobile pour lequel il l’avait abattu en juillet 2022. Ce terrible événement a rapidement mis à nu les liens étroits que le PLD entretenait avec la secte Moon, et les problèmes que cela soulevait sont devenus un lourd fardeau politique pour le parti.

On suspecte de plus en plus que la secte Moon avait suffisamment d’emprise sur les politiciens du PLD pour exercer une influence sur la politique nationale. Pour prendre un exemple, le Japon reste le seul pays du G7 à ne pas reconnaître officiellement le mariage entre personnes du même sexe, une attitude qui lui porte préjudice dans la mesure où elle le met en porte-à-faux avec les nations démocratiques qui ont opté pour l’égalité des sexes dans le mariage. Pourtant, le gouvernement, plutôt que de prendre le risque d’être accusé de tergiversation, a choisi d’aller encore plus loin, comme en témoigne la déclaration récente de Kishida Fumio selon laquelle la légalisation du mariage homosexuel « changerait la société ».

On ne peut pas ignorer que cette façon de voir fait écho à celle de la secte Moon, qui s’est longtemps battue contre le mariage entre personnes du même sexe et les droits des LGBT. On a même entendu dire que des groupes affiliés à la secte demandaient aux membres du PLD de « faire montre de réserve » sur la question, dans le cadre d’une plus vaste campagne visant à persuader les parlementaires de soutenir les politiques adoptées par l’église. On soupçonne en outre la secte Moon d’avoir influencé le refus du PLD d’autoriser les conjoints à utiliser des noms de famille différents.

À cela s’ajoute le fait que, pendant le second mandat d’Abe en tant que Premier ministre, Shimomura Hakubun, alors ministre de l’Éducation, de la Culture, des Sports, de la Science et de la Technologie, a satisfait à la demande formulée depuis longtemps par la secte Moon de changer son nom officiel pour prendre celui de « Fédération des familles pour la paix mondiale et l’unification », une initiative contestable dont bien des gens considèrent qu’elle permet à l’église de jeter un voile sur son implication passée dans des activités controversées.

Tout ceci renforce la crédibilité du point de vue selon lequel la secte Moon s’est servi de ses liens avec le PLD pour influencer la politique du gouvernement. Mais cela ne devrait pas nous surprendre, compte tenu des faits mis en lumière par le scandale du Koreagate, qui ont montré sans l’ombre d’un doute que la secte Moon se soucie d’avantage de ses objectifs politiques que des vertus salvatrices de la religion.

(Reportage et texte de Power News. Photo de titre : © Reuters)

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