
Une alliance impie : comment la secte Moon a infiltré le Parti libéral-démocrate au pouvoir au Japon
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Le « Koreagate »
Le sentiment de fureur que suscite aujourd’hui la secte Moon, connue officiellement sous le nom de « Fédération des familles pour la paix mondiale et l’unification », n’a rien de nouveau. Cette organisation fait l’objet de controverses depuis sa fondation. Dès le début des années 1960, les médias japonais se sont intéressés à ses activités, et notamment au recrutement d’étudiants par le groupe, qui a incité le quotidien Asahi Shimbun à le qualifier en 1967 de « mouvement fondamentaliste qui fait pleurer les parents ».
Dans les années 1980, la secte a été vivement critiquée pour les ventes soi-disant spirituelles qui lui permettaient d’extorquer de l’argent à des gens, disciples ou non, en les persuadant d’acheter à des prix exorbitants des objets tels que des sceaux et des urnes. L’organisation s’est de nouveau trouvée dans le collimateur dans les années 1990 pour les dons énormes qu’elle soutirait à ses membres et les gigantesques cérémonies de mariage collectif qu’elle célébrait, phénomène dont les actualités se sont emparées quand un célèbre chanteur japonais a participé à ce rituel bizarre.
La dernière controverse tourne autour des faveurs que la secte cherche à obtenir de parlementaires du Parti libéral-démocrate (PLD, au pouvoir) et d’autres formations. L’organisation ne rechigne pas à se livrer au trafic d’influence, comme le montre son implication dans le « Koreagate », le scandale politique qui a éclaté aux États-Unis en 1976. Au cœur de ce scandale se trouvait le riche homme d’affaires sud-coréen Park Tong-sun, qui a distribué de l’argent à divers membres du Congrès des États-Unis, mais la secte Moon a elle aussi joué un rôle clef, et ce fait a été largement ignoré.
Les événements qui ont constitué le Koreagate sont exposés en détails dans un rapport rédigé en 1978 par une sous-commission de la Chambre des relations internationales présidée par Donald M. Fraser, un parlementaire démocrate originaire du Minnesota. Ce rapport accuse l’Agence centrale de renseignement coréenne (KCIA) de s’être servie de Park pour soudoyer et influencer des représentants américains lors d’une tentative en vue de faire obstrucion à la décision, prise par le Président Richard Nixon, de retirer une partie des troupes américaines stationnées en Corée du Sud, décision qui constituait un geste de conciliation à l’égard de Pékin après la visite historique effectuée en Chine par Nixon en 1972. La KCIA, une formidable agence d’espionnage, a été fondée par Kim Jong-pil, un homme de confiance du Président Park Chung-hee qui allait par la suite occuper à deux reprises le poste de Premier ministre.
Dans son rapport, Fraser parle d’une « coopération active » entre la KCIA et des organisations liées au fondateur de la secte Moon, Sun Myung Moon. Cela se passait en pleine Guerre Froide, et la KCIA a considéré que la secte, avec son attitude résolument anticommuniste, pouvait s’avérer un outil efficace pour la réalisation de ses objectifs géopolitiques.
À peu près à la même époque, au Japon, la secte Moon a fondé la Fédération internationale pour la victoire sur le communisme, et désigné comme président honoraire Sasakawa Ryôichi, un notable de droite qui était à la tête de la Fondation Sasakawa (aujourd’hui Nippon Foundation). Sasakawa entretenait des liens étroits avec l’ancien Premier ministre Kishi Nobusuke et d’autres membres de l’aile conservatrice du PLD, et ce sont ces liens qui ont permis à la secte de diffuser son influence au sein du parti.
Se faire passer pour une religion
Quelques-unes des accusations les plus accablantes pour la secte Moon révélées au cours de l’enquête sur le Koreagate proviennent du témoignage de plusieurs hauts dirigeants de l’église aux États-Unis. Ces personnes ont exposé en détails la façon dont Moon utilisait le masque de la religion pour réaliser ces objectifs politiques via l’Organisation Moon, un réseau mondial de groupes religieux et séculaires, d’entreprises et d’organismes sans but lucratif affiliés à la secte.
Alors même que s’accumulaient les preuves des activités douteuses de la secte Moon, celle-ci avait tout le loisir d’agir à sa guise au Japon, un laxisme en grande partie imputale à la réticence des législateurs à intenter une action en justice contre des organisations louches, par crainte de porter atteinte aux libertés religieuses des citoyens. Cette sitution a tourné à l’avantage de la secte Moon, en la dispendant de se plier aux restrictions officielles et en lui permettant d’élargir le champ de ses activités.
Sun Myung Moon et son épouse bénissent des couples lors d’une gigantesque cérémonie de mariage collectif célébrée par la secte Moon à Séoul, en 1999. (Reuter)
Les racines d’un culte : la relation d’Ève avec un serpent
La connivence de la secte Moon avec la KCIA et son essor sur la scène internationale ont de quoi surprendre lorsqu’on sait que Moon a fait ses débuts comme dirigeant d’une secte chrétienne marginale connue pour les rituels sexuels bizarres auxquels elle se livrait. Pak Chung-hwa, ancien dirigeant de la secte et proche de Moon, a donné une chronique détaillée des premières années de la secte dans son ouvrage Roku Maria no higeki (La tragédie des six Maries), publié en 1993 au Japon. Dans ce livre, Pak parle de la façon dont Moon utilisait sa doctrine de « purification » du sang du péché originel pour contraindre ses disciples femmes à avoir une relation sexuelle avec lui.
L’idée de péché originel, selon laquelle les êtres humains naissent en état de péché du fait de la chute d’Adam et Ève, fait partie de la doctrine de bien des églises chrétiennes. Mais la façon dont Moon interprète l’expulsion d’Adam et Ève du jardin d’Éden diverge de la version standard de l’Ancien Testament, selon laquelle le couple mange le fruit défendu de l’arbre de la connaissance. Selon Moon, le péché originel est lié à un rapport sexuel entre Ève et Lucifer, qui est apparu à Ève sous les traits d’un serpent, lequel a corrompu son sang et, via la transmission sexuelle, celui d’Adam.
Moon prêchait qu’un messie serait envoyé et qu’il fonderait une lignée exempte du péché en purifiant le sang de six « Marie », autrement dit six femmes mariées. Pour que cette prophétie se réalise, le messie allait devoir faire trois fois l’amour avec chacune de ces femmes. Moon, qui prétendait être lui-même ce messie, utilisait cette doctrine pour amadouer les femmes et les amener à coucher avec lui, après quoi il les dépouillait de leur argent et de leurs biens.
Avec le temps, la doctrine de la « purification » sexuelle a évolué, et, plutôt que de devoir en passer par un rapport sexuel avec Moon, les disiples ont pu être purifiées du péché originel en épousant un conjoint choisi pour elles par l’église, d’où l’essor des gigantesques cérémonies de mariage collectif qui ont fait la célébrité de la secte.
Des milliers de couples se marient lors d’une gigantesque cérémonie célébrée en mars 2015. (AFP)