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« Hyôge mono » : Furuta Oribe, le samouraï qui suivait la voie du thé

Manga/BD Tradition

Le manga Hyôge mono, publié pendant près de 12 ans à partir de 2005, raconte l’histoire du samouraï Furuta Oribe. Mais plutôt que de dépeindre ses exploits militaires en temps de guerre, elle se concentre plutôt sur la culture bourgeonnante du zen et de la beauté. Découvrons la culture traditionnelle à travers cette œuvre.

Le guerrier qui suivait la voie du thé

La centralisation du pouvoir au Japon a commencé au VIIe siècle, menant à l’établissement d’un système de gouvernement par l’aristocratie sous la cour impériale dès le début du siècle suivant. Mais il n’a pas fallu longtemps avant que les samouraïs ne commencent à émerger en tant que nouvelle force politique. Au XIIe siècle, ils sont parvenus à consolider le pouvoir sous la forme du shogunat, qui laissait l’autorité nominale à l’empereur tout en exerçant le pouvoir militaire réel à travers la figure du shôgun. Ce système de pouvoir s’est matérialisé pendant la période médiévale du Japon, mais par la suite, les troubles se sont répandus, menant à l’époque des Provinces combattantes (ou Sengoku, 1467–1568), où les petits fiefs abondaient.

Le Japon est un pays insulaire entouré par la mer de tous les côtés, et il se caractérise par une faible évolution des groupes ethniques, créant une société aux fortes tendances héréditaires (par exemple, l’actuel parlement japonais est composé d’environ 30 % de membres héréditaires). Mais l’époque des Provinces combattantes était spécifiée par la méritocratie et la réussite par la force. Elle avait ainsi vu l’émergence de seigneurs féodaux (daimyô), issus de la classe des samouraïs.

Tout comme les seigneurs de l’Europe médiévale, ils avaient non seulement la force d’un lion, mais également la ruse d’un renard. Les daimyô du Japon médiéval n’étaient pas seulement courageux, beaucoup maîtrisaient aussi ce que nous appellerions aujourd’hui le « soft power ».

Une tendance culturelle clé qui a prospéré parmi eux était celle de la cérémonie du thé. Le manga de Yamada Yoshihiro, Hyôge mono (stylisé en « Hyouge Mono : Tea for Universe, Tea for Life » dans certaines versions anglaises), est un récit historique adapté de la vie de Furuta Oribe (ou Furuta Shigenari), un samouraï vivant et combattant en temps de guerre et qui a également été maître de thé. Il a remporté le Grand Prix du quatorzième Prix culturel Tezuka Osamu, décerné en 2010, et a été adapté en anime en 2011.

Le musée Furuta Oribe a ouvert à Kyoto en 2014. Il présente des ustensiles à thé, des œuvres d’art et d’autres objets historiques liés à Oribe. (© Kyôdô)
Le musée Furuta Oribe a ouvert à Kyoto en 2014. Il présente des ustensiles à thé, des œuvres d’art et d’autres objets historiques liés à Oribe. (© Kyôdô)

Dans son style de thé de prédilection, l’hôte prépare la boisson afin de divertir son invité, en utilisant les ustensiles et les techniques traditionnels. Mais cela dépasse le cadre de la simple hospitalité.

Pendant l’ère Meiji (1868–1912), Okakura Kakuzô (également connu sous le nom d’Okakura Tenshin), conservateur du département d’art japonais et chinois au Musée des Beaux-Arts de Boston, a écrit Le Livre du Thé (édité en français chez Picquier) pour présenter cette pratique aux personnes extérieures au Japon. Dans son livre, il déclare : « Le théisme est un culte fondé sur l’adoration du beau au milieu des faits sordides de l’existence quotidienne. »

En substance, cet art du thé englobe non seulement la consommation régulière de cette boisson, mais également la cérémonie, qui révèle la beauté universelle liée à des principes cosmiques. Okakura affirme que son mystère profond réside dans l’adoration de l’imparfait.

En raison de son étiquette stricte, on a tendance à considérer l'art du thé comme quelque chose d'impossible à approcher. Cependant, durant les années récentes, des établissements ont ouvert pour faciliter l'apprentissage de cet art, pour les Japonais comme pour les amateurs du monde entier. Photo prise à Nakamura Chaho, Matsue, préfecture de Shimane. (© Jiji)
En raison de son étiquette stricte, on a tendance à considérer l’art du thé comme quelque chose d’impossible à approcher. Cependant, durant les années récentes, des établissements ont ouvert pour faciliter l’apprentissage de cet art, pour les Japonais comme pour les amateurs du monde entier. Photo prise à Nakamura Chaho, Matsue, préfecture de Shimane. (© Jiji)

Le terme japonais utilisé pour désigner « la voie du thé », sadô, contient l’élément « dô », également utilisé dans des termes comme judô et bushidô. Il est souvent traduit par « voie » en français. La destination finale de la « voie » est un sommet spirituel comparable à l’illumination dans le bouddhisme zen. En fait, le plus célèbre pratiquant de sadô dans l’histoire japonaise, Sen no Rikyû (1522–91), se consacrait également au zen.

Le sadô est devenu un passe-temps populaire parmi les samouraïs pendant l’époque des Provinces combattantes et sa popularité a également conduit à une fascination pour les récipients utilisés pour boire le thé. Il est assez déroutant de constater la valeur accordée à ces objets, mais cela se rapporte aussi aux origines zen de la pratique, qui voyaient la beauté et les vérités cosmiques dans des détails ordinaires. Il serait erroné de penser qu’un ustensile à thé était nécessairement précieux parce qu’il était brillant, orné ou décoré de pierres rares. Ainsi, un bol à thé ébréché tombé sur le sol en terre battue d’une cuisine de pêcheur pouvait être considéré comme un véritable chef-d'œuvre.

L’évaluation des ustensiles de thé n’est donc possible que par des personnes reconnues pour avoir les compétences nécessaires à la détermination de leur valeur, et Sen no Rikyû était considéré comme ayant le discernement le plus aigu de son temps.

Le protagoniste principal de Hyôge mono, Furuta Oribe, était le principal disciple de Sen no Rikyû. À la suite de la mort de son maître, Oribe a été considéré comme le plus grand maître de thé vivant.

Ce dessin faisait partie du quatrième festival de l'anime et du manga de Niigata (Gata Fes) qui s'est tenu en 2013. Des artistes divers et variés ont été impliqués dans ces collaborations. (© Comité exécutif du festival de l'anime et du manga de Niigata)
Ce dessin faisait partie du quatrième festival de l’anime et du manga de Niigata (Gata Fes) qui s’est tenu en 2013. Des artistes divers et variés ont été impliqués dans ces collaborations. (© Comité exécutif du festival de l’anime et du manga de Niigata)

Vivre dans la beauté ou combattre

Dans l’histoire, le personnage d’Oribe lutte entre une vie dédiée à sa passion pour le thé ou pour son talent aux combats. Initialement, il n’était qu’un officier subalterne, mais qui possédait toutefois un véritable sens esthétique. Il n’était en aucun cas incompétent en tant que guerrier, et avait été prêt à se sacrifier sur le champ de bataille en tant qu’émissaire à un moment donné. Sa seule faiblesse ? Même dans des situations critiques, il ne pouvait résister à l’attrait des ustensiles de thé.

Son seigneur, Oda Nobunaga, était un daimyô d’une stature unique, à la fois compétent en économie, en politique et en guerre. Il promouvait les talents indépendamment de leur origine. Il possédait également un sens aigu de la beauté et savait apprécier les objets apportés au Japon par les commerçants et les missionnaires occidentaux.

Il était également connu pour son caractère sévère, éradiquant les groupes religieux qu’il considérait comme hostiles et purgeant impitoyablement les subordonnés incompétents. De la même manière que l’historien culturel suisse Jacob Burckhardt considérait Frédéric II (« le Grand ») comme « le premier homme moderne sur le trône », Nobunaga est, en termes historiques, une personnalité controversée.

Incidemment, dans de nombreux marchés d’Asie de l’Est, il est connu dans la culture populaire comme le personnage principal d’un jeu vidéo, Nobunaga no yabô (« L’ambition de Nobunaga »).

Nobunaga cherchait à réunifier un Japon divisé, mais il a été assassiné par son subordonné Akechi Mitsuhide. Son projet a ensuite été repris par un autre de ses subordonnés, Toyotomi Hideyoshi, qui a rapidement réussi à unifier le Japon. Ce dernier s’est par la suite servi de Rikyû pour inaugurer un âge d’or du thé.

Jusqu’à ce point, Hyôge mono se base sur des faits historiques, mais la suite est issue de l’imagination de l’auteur.

En réalité, c’était Hideyoshi, conspirant avec Rikyû, qui a encouragé Akechi Mitsuhide à entreprendre le coup d’État. Hideyoshi voulait secrètement tuer Nobunaga de ses propres mains. Le fondement de sa conspiration résidait dans leurs goûts esthétiques opposés : le monde grandiose de la beauté de Nobunaga était incompatible avec le minimalisme extrême et l’admiration du noir de Rikyû.

Dans les années 1980, la créatrice de mode Kawakubo Rei a fait sensation avec sa marque « Comme des Garçons », qui lança le vêtement noir japonais dans le monde coloré de la mode. Cette appréciation esthétique du noir fait partie de la tradition japonaise du wabi sabi, que Rikyû vivait et respirait. C’est la raison pour laquelle il a lui-même participé au complot pour éliminer Nobunaga, mais son successeur, Hideyoshi, a rapidement fait siennes les esthétiques extravagantes de l’ancien shôgun. Hideyoshi a alors commencé à considérer Rikyû comme un ennemi, et ne voyait pas d’autre option que de le tuer.

Furuta Oribe était la seule personne au courant de l’angoisse de Hideyoshi. Après son décès, Tokugawa Ieyasu a pris le contrôle et a été nommé shôgun par l’empereur. La période des Provinces combattantes a alors pris fin, et les Tokugawa ont pu régner en maîtres. Au même moment, Furuta Oribe a commencé à mettre en œuvre sa propre conspiration avec un très petit groupe d’associés. Cette rébellion était également due à son antipathie envers le goût artistique des Tokugawa.

Le musée d’art Sagawa à Moriyama, dans la préfecture de Saga, a présenté une exposition en 2015 marquant le 400e anniversaire de la mort de Furuta Oribe. Pour la promotion, des affiches représentant Hyôge mono ont été accrochées dans les trains de la compagnie JR du Kansai. (© Musée d’art Sagawa)
Le musée d’art Sagawa à Moriyama, dans la préfecture de Saga, a présenté une exposition en 2015 marquant le 400e anniversaire de la mort de Furuta Oribe. Pour la promotion, des affiches représentant Hyôge mono ont été accrochées dans les trains de la compagnie JR du Kansai. (© Musée d’art Sagawa)

Une histoire sensible qui fonctionne encore aujourd’hui

Hyôge mono est une expression qui décrit une personne joviale. Cependant, elle ne se réfère pas à un humour simple qui fait rire les autres, mais à des goûts bien plus complexes. Cette définition moderne de l’humour a émergé à l’époque de Nobunaga et de Hideyoshi.

Par exemple, Nobunaga avait érigé une immense roche dans son château avant d’ordonner à ses subordonnés d’honorer cette pierre comme si c’était lui. Il semble certain que Nobunaga avait ensuite bien du mal à garder son sérieux en voyant ses subordonnés prier solennellement la roche.

On compte également cet épisode lors duquel le disciple de Rikyû lui avait envoyé de la viande de poulet alors qu’il était malade, et que ce dernier a ensuite répondu par écrit : « Pourriez-vous m’envoyer de l’argent au lieu du poulet ? » L’historien Hongô Kazuto suggère que cela reflète typiquement le sens de l’humour unique du maître.

Furuta Oribe, tel que représenté dans Hyôge mono, est également friand de telles expressions d’esprit déroutantes. Mais hélas, la fin de l’époque des Provinces combattantes a également marqué l’arrêt des expressions d’un individualisme poussé à l’extrême. Le sérieux et la stabilité de Tokugawa Ieyasu ont marqué son époque. Face à cette vague de changement, Furuta Oribe a choisi, à la fin de ses jours, d’utiliser sa propre vie afin d’exprimer son sens de la beauté. Son histoire s’est ainsi terminée, en laissant derrière lui un chef-d'œuvre unique.

Tokugawa a choisi d’établir son gouvernement à Edo (l’actuelle Tokyo) et de restreindre l’innovation ainsi que les échanges avec l’étranger. Dans son monde, l’adoration de l’imperfection a pris fin et l’ordre est devenu le principal objectif de la société. En échange de l’innovation, le Japon a donc obtenu la stabilité, qu’il a maintenue avec succès jusqu’en 1853, lorsque le commodore américain Matthew Perry est arrivé avec ses vaisseaux noirs dans l’Archipel en exigeant l’ouverture de ses portes au commerce extérieur.

De la même façon, dans la réalité de notre société moderne, la stabilité du XXe siècle semble appartenir à un passé lointain. Aujourd’hui, nous vivons dans des temps troublés qui ressemblent davantage à l’époque des Provinces combattantes. Nous pouvons donc nous identifier aux passions de Furuta Oribe, qui a vécu selon ses propres goûts particuliers dans un monde en proie au tumulte.

(Photo de titre : le manga Hyôge mono est paru en tant que série dans le magazine de pré-publication hebdomadaire Weekly Morning entre 2005 et 2017. Il a également été publié, avec une couverture bien distincte, dans une série de 25 tomes. Il a ensuite été adapté en tant que série d’anime de la NHK-BS entre 2011 et 2012. Nippon.com)

manga samouraï cérémonie du thé