Le renouveau régional au Japon

Le vinaigre de kaki Haliyo, un modèle d’économie circulaire au Japon

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Ukita Yasuyuki [Profil]

Depuis Tokyo, Itô Yuki s’est lancée dans une aventure artisanale, écologique et humaine : fabriquer du vinaigre de kaki à partir de fruits rejetés pour redynamiser une petite ville régionale. Et c’est une réussite ! Comment s’y est-elle prise ?

Trouver une utilité aux fruits éliminés de la distribution

Pour se procurer les fruits nécessaires, Itô part à la rencontre des producteurs de kaki de sa coopérative agricole locale et leur demande de lui laisser les fruits qui ne répondent pas aux critères très strictes pour la consommation.

« La saison de récolte des kakis est très courte, et beaucoup d’agriculteurs apportent leurs fruits aux centres d’inspection en même temps. Souvent, des fruits tout à fait mangeables sont rejetés après avoir été endommagés ou gâtés pendant que les agriculteurs attendent les résultats de l’inspection. Avant notre arrivée, tous ses fruits étaient écartés. On en voyait de gros tas à l’arrière de l’entrepôt, en attente d’être jetés… »

La production du vinaigre de kaki d’Itô s’appuie sur un procédé très naturel et simple. Le fruit est fermenté avec de la levure qui est naturellement présente dans la peau du fruit, et le moût est filtré puis laissé jusqu’à ce qu’il tourne au vinaigre sous une couche fine de cellulose opaque créée en surface par des bactéries naturelles d’acide acétique. Cette méthode naturelle et traditionnelle est utilisée depuis des siècles pour la fabrication de vinaigre. On n’y ajoute rien, même pas de l’eau ou de la chaleur.

Pendant la période d’essai, Itô a commencé le procédé de fermentation en décembre, et le vinaigre était prêt fin-mars, mais une fois le gros fût de cinq tonnes en place pour une vraie production commerciale, la fermentation a pris beaucoup plus de temps, et ce n’est qu’en septembre que le premier lot de vinaigre était prêt à la consommation. Itô se remémore la tension de ces premiers jours : « Quel soulagement quand j’ai goûté pour la première fois à mon propre vinaigre ! »

Itô Yuki devant la cabane de fermentation. Le bâtiment était un entrepôt au départ et quand elle l’a loué, il n’y avait ni eau courante, ni électricité, et même pas de toilettes.
Itô Yuki devant la cabane de fermentation. Le bâtiment était un entrepôt au départ et quand elle l’a loué, il n’y avait ni eau courante, ni électricité, et même pas de toilettes.

(à gauche) Des kakis en attente d’être traités. Pour un œil non averti, ce n’est pas évident de comprendre pourquoi ces fruits-ci ont été considérés comme des rejets. (© Ukita Yasuyuki) (à droite) Des femmes locales traitent les kakis. Des agriculteurs de la région apportent leur aide lors de la récolte and pendant d’autres périodes d’activité intense. (© Itô Yuki)
(à gauche) Des kakis en attente d’être traités. Pour un œil non averti, ce n’est pas évident de comprendre pourquoi ces fruits-ci ont été considérés comme des rejets. (© Ukita Yasuyuki) (à droite) Des femmes locales traitent les kakis. Des agriculteurs de la région apportent leur aide lors de la récolte and pendant d’autres périodes d’activité intense. (© Itô Yuki)

Du vinaigre de kaki dans les fûts de fermentation.
Du vinaigre de kaki dans les fûts de fermentation.

On peut voir la couche fine d’acide acétique qui recouvre le vinaigre.
On peut voir la couche fine d’acide acétique qui recouvre le vinaigre.

Une fois le vinaigre envoyé pour analyse au Laboratoire de recherche alimentaire du Japon, les résultats indiquent que le vinaigre de kaki est cinq fois plus riche en acides aminés que le vinaigre de riz pur.

Itô fait appel à ses contacts à Tokyo et embauche un célèbre créateur pour développer l’emballage et la marque. C’est elle qui fait le choix d’une bouteille plutôt lourde.

L’emballage du vinaigre de kaki Haliyo. L’année de fabrication est indiquée sur la bouteille comme les variations dans les kakis peuvent provoquer des changements subtils de goût.
L’emballage du vinaigre de kaki Haliyo. L’année de fabrication est indiquée sur la bouteille comme les variations dans les kakis peuvent provoquer des changements subtils de goût.

La marque « Haliyo » vient de hariyo, le nom d’un petit poisson épinoche qu’on trouve à Kaizu.

De l’eau pure est nécessaire pour la survie de ce poisson qui figure dans la liste des espèces en danger critique d’extinction, établie par le ministère de l’Environnement. Les autorités locales à Kaizu œuvrent à la sauvegarde du hariyo, et la population de poissons dans un lac alimenté par la rivière Tsuya est désignée comme un Monument naturel, son habitat est protégé par le gouvernement. Le choix d’Itô pour le nom de son entreprise, Rivercresc, indique aussi à quel point il est important pour elle de travailler à la promotion et la protection de la beauté naturelle de sa région.

Pour sa marque en anglais, elle a aussi fait le choix d’utiliser le nom japonais de kaki plutôt que persimmon. Le terme « kaki » est déjà employé couramment dans plusieurs langues européennes, et fait aussi partie du nom botanique du kaki japonais, Diospyros kaki ‘Fuyu’. Itô espère qu’un jour, le vinaigre de kaki sera connu mondialement en tant que produit japonais, comme c’est déjà le cas avec le saké et certains autres aliments.

(à gauche) Du vinaigre de kaki dans des fûts de vieillissement. Itô cherche à savoir si le vinaigre de kaki, comme le vinaigre balsamique de Modène, devient plus précieux avec l’âge. (à droite) Un tonneau de Sauternes, utilisée dans la série d’affinages en tonneau pour donner au vinaigre un soupçon de la « pourriture noble » du célèbre vin liquoreux de Bordeaux.
(à gauche) Du vinaigre de kaki dans des fûts de vieillissement. Itô cherche à savoir si le vinaigre de kaki, comme le vinaigre balsamique de Modène, devient plus précieux avec l’âge. (à droite) Un tonneau de Sauternes, utilisée dans la série d’affinages en tonneau pour donner au vinaigre un soupçon de la « pourriture noble » du célèbre vin liquoreux de Bordeaux.

Une fois son produit en main, Itô doit trouver des débouchés pour le vendre. Sans aucune expérience dans la distribution, elle commence par le présenter sur les marchés locaux, ainsi qu’au marché de producteurs du quartier chic d’Aoyama, à Tokyo. Les gens découvrent son produit petit à petit et les retombées sont exceptionnelles. Le bouche à oreille au sujet de ce vinaigre de kaki naturel et remarquable qui rehausse le goût des ingrédients de façon mystérieuse se répand, et plusieurs restaurants réputés de Tokyo commencent à l’utiliser. Aujourd’hui, elle a trois circuits de distribution dont chacun représente un tiers des ventes : les ventes en ligne, les ventes aux restaurants, et les ventes en boutique et dans les marchés.

Dégustation de vinaigre. La pipette est un clin d’œil aux origines en chimie d’Itô.
Dégustation de vinaigre. La pipette est un clin d’œil aux origines en chimie d’Itô.

Certains des vinaigres de kaki sont finis dans des tonneaux antérieurement utilisé pour le vieillissement du whisky, du vin, et autres boissons. De gauche à droite : Chêne français, sherry, bourbon, et Sauternes.
Certains des vinaigres de kaki sont finis dans des tonneaux antérieurement utilisé pour le vieillissement du whisky, du vin, et autres boissons. De gauche à droite : Chêne français, sherry, bourbon, et Sauternes.

Suite > La création d’un modèle d’économie circulaire parfait

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Ukita YasuyukiArticles de l'auteur

Écrivain, journaliste spécialisé en vins, et artiste. Il enquête au Japon et à l’international pour des médias de toutes sortes. Il travaille principalement dans le monde du vin, des spiritueux, du café, de la gastronomie, des voyages, et des personnalités. Il est l’auteur de « L’attrait d’un voyage à Bordeaux » (Akogare no Bordeaux e). Il organise Wine & Trip, un événement multimédia autour du vin et des voyages. Il est aussi illustrateur. Entre autres, il crée des étiquettes de vins et travaille dans la conception d’emballages alimentaires.

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