Le saké dans tous ses états

La mondialisation du saké d’Imada Miho

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Une seule Japonaise figurait dans la liste 2020 des 100 femmes les plus influentes et monde, publiée par la BBC. Il s’agit d’Imada Miho, propriétaire et maître-brasseur. Deux ans plus tard, elle a fait partie de la liste publiée par le magazine Forbes des femmes de plus de 50 ans les plus influentes d’Asie. Nous avons étudié de près ses méthodes pour de produire un saké réellement mondial. Parmi elles, l’utilisation d’une variété de riz oubliée depuis plus d’un siècle.

La redécouverte d’une variété de riz perdue depuis un siècle

C’est en 2014, à l’arrivée d’une nouvelle étuveuse de riz (appelée kishiki en japonais) qu’Imada a enfin commencé à se sentir satisfaite de son saké. À des yeux profanes, cet équipement parait être une simple cuve en acier de grand gabarit, mais c’est une unité très performante. La création d’un bon saké demande du riz parfaitement cuit à la vapeur. Cette nouvelle étuveuse qui prend même en compte les fluctuations météorologiques permet enfin à Imada de cuire le rire exactement comme elle le veut, et lui ouvre la possibilité de concrétiser diverses idées.

C’est avec l’achat de l’étuveuse (à gauche) qu’Imada a enfin eu le sentiment de progresser. Elle explique que le riz cuit à la vapeur est aussi important que la qualité du sol quand on cultive des plantes. Imada, à droite, vérifie le processus de fermentation dans les cuves. C’est à l’apogée de la fermentation qu’il faut immédiatement procéder au pressage, à la mise en bouteille, et à la pasteurisation du saké pour qu’il conserve le maximum de sa fraicheur.
C’est avec l’achat de l’étuveuse (à gauche) qu’Imada a enfin eu le sentiment de progresser. Elle explique que le riz cuit à la vapeur est aussi important que la qualité du sol quand on cultive des plantes. Imada, à droite, vérifie le processus de fermentation dans les cuves. C’est à l’apogée de la fermentation qu’il faut immédiatement procéder au pressage, à la mise en bouteille, et à la pasteurisation du saké pour qu’il conserve le maximum de sa fraicheur.

Un aperçu des 80 années qui viennent de passer montre comment la production de saké est passée d’une période de modernisation, de rationalisation et d’harmonisation, vers une période de diversification, de personnalisation, et de retour aux sources. L’initiative d’Imada d’avoir réintroduit une ancienne variété indigène de riz appelée hattansô est en phase avec cette évolution.

Le hattansô est l’ancêtre du hattan nishiki, une variété moderne très utilisée pour le brassage du saké, et a été longtemps considéré comme la plus ancienne souche de riz à saké de Hiroshima. Les tiges poussent très haut —jusqu’à 160 cm — et demandent un bon environnement de cultivation, ce qui en rend la culture difficile. Le rendement n’étant pas élevé, la variété a été mise de côté pendant une centaine d’années par les cultivateurs. Par chance, Imada a réussi à obtenir une poignée de graines venant de la banque génétique préfectorale. Son rêve était de produire un saké véritablement local, ce qui la mène à collaborer avec Sugiura Hiromasa, un employé qui avait effectué des études de sélection végétale à l’Université de Kyoto, pour faire revivre et cultiver cette ancienne souche. Sugiura est maintenant directeur de production.

Les tiges de hattansô peuvent s'élever jusqu’à 160 cm.
Les tiges de hattansô peuvent s’élever jusqu’à 160 cm.

Imada et Sugiura travaillent conjointement avec la Coopérative agricole du Japon locale et des agriculteurs spécialisés en riz pour saké, et ce n’est que six ans plus tard qu’ils obtiennent enfin une récolte qui leur permet de brasser une cuve de saké. Le saké produit avec du hattansô possède non seulement une acidité très particulière qui perdure de la première gorgée jusqu’à l’arrière-bouche, mais aussi un élément rustique qui ajoute un soupçon d’herbes à son parfum. De nos jours, environ 40 % de la production d’Imada est à base de hattansô, à commencer par son produit phare, baptisé « Fukuchô Hattansô Junmai Ginjô ».

(gauche à droite) Le « Henpei » (de la série Fukuchô Hattansô Satake), le « Fukuchô Hattansô Junmai Ginjô », et le « Fukuchō Hattansô Junmai Hybrid Kimoto », tous fabriqués selon une technologie révolutionnaire de polissage de riz qui est plate plutôt que sphérique.
(gauche à droite) Le « Henpei » (de la série Fukuchô Hattansô Satake), le « Fukuchô Hattansô Junmai Ginjô », et le « Fukuchō Hattansô Junmai Hybrid Kimoto », tous fabriqués selon une technologie révolutionnaire de polissage de riz qui est plate plutôt que sphérique.

Le défi de la globalisation

Relancer l’exploitation du riz hattansô n’est pas le seul défi auquel Imada a fait face. Il y a une dizaine d’années, un cuisinier de Tokyo lui a demandé de créer un saké qui s’associerait agréablement avec les huitres, ce qui l’a poussée à développer le « Fukuchô Seafood Junmai ». Pour ce faire, elle a procédé au mélange du kôji jaune, traditionnellement utilisé dans la fabrication du saké, au kôji blanc, qui sert plutôt à l’alcool de patates douces (shôchû). Très populaire à l’étranger également, il devient l’un des produits phares de la brasserie.

Sans oublier le « Hybrid Kimoto » (photo ci-dessus à droite), dont la singularité provient non pas du riz ou du kôji, mais plutôt d’une focalisation sur les bactéries d’acide lactique. Ces bactéries sont employées dans la toute première étape du processus de production, créant ainsi une base de fermentation, ou moto. Ce procédé permet d’obtenir des saveurs fortes et profondes, mais il nécessite beaucoup de compétences et de travail, si bien qu’il a été presque entièrement remplacé par des méthodes plus efficaces de nos jours.

Il y a deux ans, Imada relève un nouveau défi, celui de créer un saké pour accompagner la fondue chinoise de Sichuan. Elle s’y consacre pendant une année entière pour le « Fukuchô To » (vendu seulement en Chine), qui équilibre une forte acidité avec de la douceur.

Le « Fukuchô Seafood Junmai » (gauche) et le « Fukuchô To » créé pour s’accorder avec la fondue de Sichuan.
Le « Fukuchô Seafood Junmai » (gauche) et le « Fukuchô To » créé pour s’accorder avec la fondue de Sichuan.

« Quand on voit les choses en grand, on se rend compte que l’industrie du saké ne peut survivre qu’en produisant des saké de styles et de goûts différents. Les jeunes boivent de moins en moins, la population diminue, et donc on ne peut pas attendre grand-chose du marché domestique. Il faudrait plutôt se concentrer sur le marché international. »

Les ventes de saké au Japon diminuent d’année en année, mais la tendance est inversée à l’exportation, augmentant régulièrement depuis plus de dix ans. En parallèle, il existe maintenant plus de 60 brasseries de saké aux États-Unis, au Mexique, en France, en Espagne et en Norvège (dont certaines appartiennent à des marques japonaises). On y produit des sakés uniques et pleins d’imagination, et c’est justement ce qui inquiète Imada : le Japon ne risque-t-il pas de perdre sa position en tant que berceau du saké ?

Si Imada Miho est devenue une sorte d’égérie du saké japonais, apparaissant aussi dans des documentaires, la notoriété et les projecteurs ne sont pas sa tasse de thé.

« En ce moment, je m’intéresse aux anciennes méthodes de fabrication, comme l’utilisation de riz moins poli, l’exploitation de la saveur des fûts en bois ou la fabrication de saké aux saveurs acides de bactéries lactique comme le doburoku (une boisson rustique à base de riz fermenté, non pressée, fabriquée sur place). »

Pour révéler le plein potentiel du saké au niveau mondial, Imada Miho compte bien poursuivre sa production avec son propre style et en suivant l’adage « tenter cent fois pour s’améliorer mille fois ».

La brasserie Imada Shuzô Honten et la ville d’Akitsu
La brasserie Imada Shuzô Honten et la ville d’Akitsu

(Toutes les photos : © Ukita Yasuyuki)

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