
Le renouveau régional au Japon
La renaissance d’une légende à Kyoto : redonner vie à un champ de thé vert vieux de 800 ans
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La valeur d’une variété indigène
À l’été 2021, Ôgushi a suggéré à Isozaki et Matsubayashi de faire pousser des plants à partir de boutures. Puis, au printemps 2022, ils ont semé des graines récoltées à l’automne 2021 et se sont lancés dans la germination des graines et la culture des jeunes plants ainsi obtenus.
À l’heure actuelle, la majorité des plants de thé cultivés à des fins commerciales sont ce qu’on appelle des « cultivars améliorés », ou tout simplement des cultivars, autrement dit des clones. À l’opposé de ces plants se situent les variétés dites « indigènes » qui poussent sur cette terre depuis les temps anciens.
Les plantes de variétés indigènes sont difficiles à cultiver dans les champs, et leur production de feuillage est irrégulière, si bien que nombre d’agriculteurs en sont venus à se fier aux cultivars, plus constants. L’obtention de jeunes plants par germination est problématique, car son taux de réussité est inférieur à celui de la multiplication par bouturage, mais les gens pensent que la culture aboutie des jeunes plants peut produire des plantes plus robustes et à plus longue durée de vie. Ces concepts de « variétés indigènes » et de « jeunes plants » relèvent dans le monde du thé du même romantisme que celui qui s’attache aux « variétés endémiques » et aux « cépages autochtones » dans le monde du vin.
À gauche on voit des plants de thé multipliés par bouturage, et à droite des plants obtenus par la germination des graines. Ces derniers sont censés avoir une durée de vie plus longue.
Voici ce qu’Isozaki attend de l’avenir : « Je veux que les gens apprennent à connaître le zen à travers le thé, et à travers le zen les montagnes, et qu’ils deviennent ainsi plus proches de la nature. Nous voulons placer le thé au centre de tout ce processus. Je souhaite que les gens en viennent à apprécier les concepts zen de furyû monji (au-delà de la lettre et des mots) et kotan jakujô (simplicité et tranquillité élégantes) en cultivant des plants de thé, en préparant du thé, en le buvant et en le partageant avec d’autres personnes. »
Un thé célèbre survit en cachette
Le parfum du thé est de toute première importance, et Matsubayashi a quant à lui sélectionné des feuilles de thé du Kôshô-ji pour faire du thé oolong, du thé noir et du kamairi-cha torréfié. « Ce sont, dit-il, des thés qui ont à la fois du corps et de la douceur. »
J’ai demandé à Matsubayashi de me faire à titre exceptionnel la faveur de déguster son thé oolong hors de prix.
Thé oolong préparé avec des feuilles de théiers du Kôshô-ji
Nous avions rendez-vous dans un vaste bureau adjacent à la salle de conférences Hattô. Au nombre des invités figuraient deux connaissances de Matsubayashi qui jouaient un rôle fascinant dans le monde du thé d’Uji — Tsûen Yusuke, patron à la vingt-quatrième génération de la maison de thé Tsûen, et Yamamoto Jinjirô, patron à la sixième génération de la maison de thé portant son nom.
Tsûen dirigeait en outre l’Association de thé Youth Wing (aile de la jeunesse) de Kyoto. Pressentant le potentiel que recelait leur utilisation en mélange, il a pris l’initiative de proposer des variétés indigènes de thé dans sa boutique. Yamamoto, quant à lui, a d’autres projets, dont le recours à la méthode de culture quasi oubliée connue sous le nom de honzu saibai, dans laquelle on utilise des haies de roseaux pour protéger les feuilles de thé du soleil lorsqu’on produit du thé matcha (à la place des bâches en plastique noir couramment utilisées), et l’obtention de thés d’origine unique provenant de variétés issues d’un seul champ.
J’ai proposé aux trois hommes de débattre autour d’une tasse de thé des idées que leur inspirait cette tentative de faire revivre Asahi-en.
À partir de la gauche : Matsubayashi Toshiyuki, Tsûen Yusuke et Yamamoto Jinjirô
Matsubayashi déclare : « Pour faire sécher les feuilles, nous brûlions des aiguilles du cryptomeria sugi dans l’âtre que nous avons ici, et je pense que le goût de fumée produit par cette opération persiste. »
« C’est une douce saveur », approuve Yamamoto.
Quant à Tsûen, voici ce qu’il avait à dire : « Si nous parvenions à faire revivre une autre des plantations Shichi Mei-en, cela me réjouirait. Ce serait fascinant. C’est merveilleux que tout le monde puisse acheter et boire le thé d’Okunoyama, mais c’est une toute autre idée que j’ai en tête : utiliser ce thé en ce lieu de pratique ascétique du zen. »
« Je pense que c’est une bonne chose que les gens disposent de toutes sortes de chemins d’accès pour sonder en profondeur le monde du thé », ajoute Matsubayashi. « Si nous n’avons rien d’autre que les bonbons parfumés au matcha, les gens ne feront pas un pas de plus. Avec ce temple ancien et ces précieux plants de thé, nous pouvons ouvrir une autre dimension et les gens iront plus loin. »
« Si j’ai bien compris », dit Yamamoto, « avant la guerre le temple disposait de sa propre fabrique de thé dans son enceinte. Je suis vraiment curieux de savoir quel genre de thé pouvait produire un temple zen et quels processus il utilisait. »
« L’analyse ADN a dit qu’il s’agissait très probablement d’une variété indigène », dit Tsûen. « Si tel est le cas, la plante elle-même doit être incroyablement ancienne, et cela montre à quel point on prenait soin des plantations dans le temps. Il y a une quarantaine d’années, le cultivar yabukita est devenu très populaire, et si la qualité s’en est bel et bien trouvée stabilisée, il en a aussi résulté une grande homogénéité du thé. Chaque variété indigène est unique en son genre, si bien qu’il est difficile de planifier la récolte, et la qualité relève de la roulette russe. Mais c’est ce qui fait tout l’intérêt des variétés indigènes. Quelqu’un a dit un jour qu’elles sont un “mélange divin” et je pense qu’il avait parfaitement raison. »
« Ce serait bien que les plants de thé du Kôshô-ji éveillent la curiosité des gens à propos des variétés indigènes », dit Yamamoto pour finir.
La teinture à base de racines de jasmin du Cap a une couleur, qui tire sur le rouge et le jaune, appelée iwanu en japonais, un mot qui peut aussi signifier « sans parler », et cette couleur est précisément celle du thé oolong fait avec des feuilles de théiers indigènes du Kôshô-ji. Préparer du thé oolong avec de l’eau provenant du puits du temple constituait un argument éloquent pour exprimer, d’une façon allant en effet « au-delà des mots », l’espoir que les efforts pour faire revivre Asahi-en deviennent un nouvel outil pour démontrer les plaisirs qu’apporte le thé d’Uji.
Le groupe a l’intention de replanter sur les pentes situées à l’arrière du temple 1 000 jeunes plants dont il s’occupe.
(Photo de titre : Matsubayasi Toshiyuki, à gauche, et Isozaki Endai en discussion devant un théier planté au flanc d’une colline située sur les terres du temple Kôshô-ji. Toutes les photos : © Ukita Yasuyuki)