Le renouveau régional au Japon

La renaissance d’une légende à Kyoto : redonner vie à un champ de thé vert vieux de 800 ans

Environnement Tradition

La ville d’Uji, à Kyoto, est célèbre pour son thé depuis plus de huit siècles, mais une grande partie de ce patrimoine s’est perdue dans la nuit des temps. Aujourd’hui, un groupe de résidents locaux s’est fixé pour objectif de faire revivre Asahi-en, l’une des sept plantations de thé d’Uji jadis célèbres, grâce à des plants découverts sur les terrains d’un temple de la ville.

Une rencontre fortunée avec des vestiges de plantations légendaires

Il y a quelques années, Matsubayashi Toshiyuki, dirigeant d’Asahiyaki, le seul atelier de céramique d’Uji, marchait aux abords de temple Kôshô-ji, situé derrière son atelier. C’est alors qu’il remarqua un vieux buisson de thé.

Il s’intéressait personnellement à la culture du thé et avait été l’élève de Horiguchi Ichiko, dont les recherches portaient sur le thé naturel et le thé chinois. Il décisa donc de la consulter à propos de sa trouvaille. Remplis d’enthousiasme et persuadés l’un et l’autre qu’un aussi vieux théier devait produire un thé puissant, ils demandèrent au temple la permission d’essayer de préparer du thé avec ses feuilles.

« Le temple nous a donné l’autorisation. Mais à l’époque, le souvenir des sept légendaires plantations de thé d’Uji ne m’avait même pas effleuré l’esprit », observe Matsubayashi.

L’histoire du thé d’Uji remonte à l’époque de Kamakura (1185-1333), quand, selon la légende, le moine Eisai, fondateur de l’école Rinzai du bouddhisme au Japon, a rapporté de Chine au Japon des graines de théiers et en a donné quelques-unes au moine Myôe du temple Kôzan-ji. Ce dernier a semé les graines en différents endroits, notamment à Uji.

Le statut de centre de production du thé hérité par la ville s’est trouvé consolidé à l’époque de Muromachi (1336-1573), quand le shôgun Ashikaga Yoshimitsu (1358-1408) a ordonné l’ouverture de sept plantations de thé à Uji. Ces exploitations ont été appelées les Uji Shichi Mei-en — shichi voulant dire sept, mei étant un mot ancien pour plantation de thé et en un terme désignant un jardin ou un champ —, appellation qui recouvrait Mori, Iwai, Umoji, Kawashimo, Okunoyama, Asahi et Biwa. Aujourd’hui, seule Okunoyama reste en activité.

La salle Hattô du temple vue à travers la grille
La salle Hattô du temple vue à travers la grille

Le moine du Kôshô-ji, Isozaki Endai, se souvient que Matsubayashi l’a abordé pour lui parler de la plante. « Je suis arrivé au Kôshô-ji il y a onze ans, mais il semble que personne ne réalisait qu’il y restait des buissons de thé », dit Isozaki.

Sur les terres d’Asahi-en

Le Kôshô-ji a été ouvert en 1233 par Dôgen, le fondateur de l’école Sôtô du zen au Japon, pour servir de lieu de formation des moines dans l’actuel quartier de Fukakusa à Fushimi, dans la préfecture de Kyoto. Mais Dôgen n’a pas tardé à partir pour la préfecture de Fukui, et le sanctuaire qu’il laissait derrière lui a périclité et fermé ses portes une décennie après son ouverture. Puis, en 1645, Nagai Naomasa — seigneur du château de Yodo et adepte fervent du Sôtô — fit reconstruire le temple sur une plantation de thé situé sur le flanc du mont Uji, où il se dresse aujourd’hui encore. Il est désormais célèbre pour la statue du Bouddha historique Shakyamuni qu’il héberge, faite par Dôgen, et l’endroit attire de nombreux touristes qui viennent contempler les feuilles d’automne au bord de la route du temple Kotosaka et participer au festival du thé « Ujicha Matsuri » célébré tous les ans au mois d’octobre.

Isosaki et la route Kotosaka menant au Kôshô-ji, célèbre pour ses feuilles d'automne
Isosaki et la route Kotosaka menant au Kôshô-ji, célèbre pour ses feuilles d’automne

Nous avons dit que le temple se dresse « sur le flanc du mont Uji », mais le terrain situé à l’arrière du temple est en général appelé mont Asahi. On peut raisonablement en déduire que le Kôshô-ji et ses environs se trouvent en fait sur l’ancien emplacement d’Asahi-en, l’une des plantations Shichi Mei-en disparues.

Historiquement, c’est à partir des temples zen que le thé s’est diffusé, et les deux sont intimement liés. Selon Isosaki, il y avait sept maisons de thé sur les terrains du temple à l’époque de sa construction. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi le seigneur Nagai, qui était lui-même un fervent adepte de la cérémonie du thé, a choisi une plantation de thé pour y reconstruire le temple.

L'ancien buisson de thé poussant au sommet d'un mur de rochers au bord de la route Kotosaka.
L’ancien buisson de thé poussant au sommet d’un mur de rochers au bord de la route Kotosaka.

Matsubayashi a contacté Ôgushi Takuji, le chef du département de recherche de l’industrie du thé du Centre des technologies de l’agriculture, des forêts et de la pêche de la préfecture de Kyoto, pour lui présenter Isozaki. Ôgushi a demandé à l’Université préfectorale de Kyoto de procéder à une analyse ADN des plants de thé du temple, laquelle a débouché sur la conclusion que les buissons de thé qu’on pouvait encore trouver au Kôshô-ji étaient très probablement des variétés indigènes — plutôt que des cultivars améliorés, plus communs —, et tous les échantillons prélevés appartenaient à des espèces originaires de Kyoto.

L’appartenance de ces plants à des variétés originaires de Kyoto peut signifier qu’il existe un lien entre eux et le thé qu’Eisai a partagé avec Myôe, ce qui serait comme la réalisation d’un rêve pour les vrais amoureux du thé. Les spécialistes restent en attente de nouvelles données qui viendront renforcer leur espoir que les théiers poussant sur l’esplanade du temple sont des vestiges de la plantation Asahi-en. Si tel est le cas, il est indubitable que les plants du Kôshô-ji sont une précieuse ressource génétique.

Dans le hôjô — une pièce utilisée par le chef du temple — du Kôshô-ji, on peut voir un rouleau suspendu représentant le temple vu du ciel, peint par Mori Ippô, un peintre de la fin du XIXe siècle. Cette œuvre montre qu’à l’époque les champs de thé s’étendaient autour du portail et le long du versant est du temple. Si, à un moment ou un autre, on trouve des documents contenant des descriptions écrites de l’emplacement d’Asahi-en, les chances que cet emplacement puisse être officiellement reconnu comme celui de la plantation historique s’en trouveraient renforcées.

Le rouleau suspendu du peintre Mori Ippô
Le rouleau suspendu du peintre Mori Ippô

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