Une plongée dans l’histoire des seigneurs de Kamakura
Le temple Manpuku-ji, à Kamakura, théâtre d’une grande tragédie de samouraïs
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La Lettre de Koshigoe
À Kamakura, le petit train rustique « Enoden » permet de se rendre à Koshigoe, qui n’est pas une gare comme les autres. Si tous les trains comportent quatre voitures, le quai de Koshigoe n’est assez long que pour en accueillir que trois, et les portes avant des voitures ne s’ouvrent pas.
Non loin de cette gare se trouve un croisement qui mène au temple Manpuku-ji.
Le samouraï Minamoto no Yoshitsune (1159-1189), le demi-frère de Yoritomo (1147-1199), le tout premier shogun de l’histoire du Japon, se voit refuser l’entrée à Kamakura malgré son triomphe à la bataille historique de Dan-no-ura en 1185. C’est dans le Manpuku-ji qu’il trouve refuge avec son fidèle serviteur, le moine-guerrier Benkei, et c’est également en ce lieu qu’il aurait composé la Lettre de Koshigoe, à l’attention d’Ôe no Hiromoto, chef du Kumonjo (Conseil des documents publics), pour solliciter l’aide de Yoritomo.
Une ébauche de cette lettre est conservée sous verre dans le temple (voir photo de l’article). Selon les responsables du Manpuku-ji, cette version aurait été écrite de la main de Benkei, ensuite réécrite par Yoshitsune. Et pour fabriquer l’encre nécessaire à la rédaction de la missive, il aurait recueilli de l’eau dans un petit étang à proximité.
Il s’agirait du brouillon original du document épistolaire, et sa parfaite conservation permet de déchiffrer aisément une écriture vieille de 800 ans. Ce document est un témoignage extrêmement sincère des sentiments d’amertume, de désespoir et de frustration nourris par Yoshitsune. En voici un extrait traduit :
J’ai été choisi comme l’un des proches collaborateurs de Sa Seigneurie et, combattant en tant que porteur d’une commission impériale, j’ai défait les ennemis de la cour et lavé l’affront fait à mon père, Yoshitomo, qui avait dû s’incliner devant le clan Taira. Je pensais que mes hauts faits seraient salués, mais au contraire, j’ai été l’objet de calomnies et, ici, à Koshigoe, je pleure des larmes si amères qu’elles sont mêlées de mon sang. S’agissant de ma nomination comme lieutenant de cinquième rang, n’aurait-ce pas été là un honneur pour un membre de notre famille ? Pourquoi me suis-je attiré votre courroux ? (traduction japonaise d’un extrait des « Contes du temple : Manpuku-ji », Tera monogatari : Manpuku-ji)
On ignore ce qu’est devenue la lettre après qu’elle a été remise à Ôe no Hiromoto, mais elle ne serait en fait jamais parvenue entre les mains de Yoritomo. Et même si tel avait été le cas, il est fort peu probable que Yoshitsune ait reçu la permission d’entrer à Kamakura.
Yoritomo est loin d’être un puissant guerrier. Bien au contraire, il nourrit probablement un sentiment de jalousie à l’égard de Yoshitsune, qui s’est notamment illustré par sa célèbre attaque surprise contre le clan Taira depuis un profond précipice à l’arrière de leur position défensive à Suma, Ichi-no-tani, pendant la bataille du même nom (1184), et celles de Yashima et de Dan-no-ura, au cours desquelles il s’impose devant le clan Taira. Cependant, Yoshitsune n’est nullement récompensé par Yoritomo.
Pourquoi un tel ressentiment envers son propre frère ? Le facteur décisif est l’acceptation par Yoshitsune d’un statut de haut rang par la cour impériale, sans l’aval de Yoritomo. Un véritable affront. Car c’est ce dernier qui effectue les recommandations à la cour pour l’attribution de grades officiels. Le fait qu’un vassal cherche lui-même à obtenir un rang directement auprès de la cour impériale met fortement à mal son autorité. Sans compter que Yoritomo nourrit également l’espoir que ses recommandations lui vaudront d’être reconnu par la cour comme chef des samourais...
Soutenir les opprimés
Mais Yoshitsune semble ne pas mesurer la gravité de la situation. Bien au contraire, dans la Lettre de Koshigoe, il écrit que le rang qui lui a été accordé fait honneur à leur famille. Dans son livre « Carnet de voyage du mystère de Kamakura » (Kamakura mystery kikô), l’auteur Saitô Sakae écrit : « Yoshitsune pensait que, parce que Yoritomo et lui étaient frères, on pouvait lui pardonner tout ou presque. Il n’a pas saisi l’importance de son châtiment. »
D’autres théories soupçonnent que ce désaccord ait été en fait calculé, fruit des desseins de l’empereur Go-Shirakawa, qui entendait diviser pour mieux régner, semer la discorde entre les frères pour affaiblir leur influence. Yoshitsune est souvent décrit comme un personnage qui n’avait que peu de connaissances en politique, mais il a tout de même réussi à gagner la faveur de nombreuses personnes. D’où l’expression en japonais hangan biiki, qui signifie « soutenir les opprimés », hangan faisant référence au rang de Yoshitsune.
Après s’être vu refuser l’entrée à Kamakura, Yoshitsune s’enfuit à Ôshû, dans l’actuelle préfecture d’Iwate (nord-est), où il est poursuivi. Encerclé, il se suicide par seppuku. En 1189, la tête de Yoshitsune est renvoyée au temple Manpuku-ji à Kamakura pour y être identifiée. Dans la chronique historique japonaise Azuma kagami on peut lire : « Tous ceux qui l’ont vu ont trempé leurs manches en essuyant leurs larmes », montrant à quel point le personnage était apprécié.
Aujourd’hui, le train Enoden sillonne entre les habitations de Koshigoe en direction de Kamakura, avant de laisser soudainement place à une vue imprenable sur l’océan à Shichirigahama, une plage très prisée des surfeurs. Difficile d’imaginer que s’est jouée une telle tragédie il y a 800 ans. Mais Yoshitsune reste toujours dans le cœur des habitants de la région. Chaque année, le troisième samedi d’avril, un festival a lieu en son honneur, le Yoshitsune matsuri.
(Reportage et texte de Mochida Jôji, de Nippon.com. Photo de titre : la Lettre de Koshigoe exposée au temple Manpuku-ji. Toutes les photos sont avec l’aimable autorisation de l’auteur, sauf mentions contraires)
Temple Manpuku-ji
- Accès : à cinq minutes de marche de la gare de Koshigoe, sur la ligne Enoden.
- Festival : le Yoshitsune matsuri se tient chaque année le troisième samedi d’avril. Un service commémoratif est organisé par le temple, suivi d’une procession de samouraïs et de fanfares depuis le temple Ryûkô-ji jusqu’au sanctuaire Koyurugi.