Exploration de l’histoire japonaise

Kasuga no Tsubone, ou le rôle prépondérant des concubines du shogun Tokugawa

Histoire Culture

Kasuga no Tsubone a joué un rôle prépondérant dans la fondation du système des ôoku, dans lequel les concubines des shoguns de l’époque d’Edo (1603-1868) étaient garantes de la stabilité de la succession. Après avoir été la nourrice du troisième shogun Iemitsu, elle est devenue l’une des femmes les plus puissantes du royaume.

Le quartier des concubines du château d’Edo

Le mot ôoku, qui veut dire « chambres intérieures », désignait le quartier résidentiel du château d’Edo réservé aux femmes affectées au service des shoguns qui se sont succédé à l’époque d’Edo (1603-1868). Le mot ôoku lui-même n’a fait son apparition qu’à l’époque du quatrième shogun, Tokugawa Ietsuna (r. 1651-1680), bien que l’endroit ait été créé sous le règne du second shogun, Hidetada (r. 1605-1623), et son mode de fonctionnement instauré sous le règne du troisième shogun, Iemitsu (r. 1633-1651).

Après l’abdication de Tokugawa Ieyasu, survenue en 1605, c’est son fils Hidetada qui lui a succédé, et dès l’année suivante, le château d’Edo a fait l’objet d’importantes rénovations. L’édifice a été divisé en deux parties : l’omote, où le shogun vaquait aux affaires de l’État, et le oku, ou okugata, où vivait sa famille. L’oku a été le prototype de l’ôoku et, à l’époque de sa création, il a été placé sous l’autorité d’Ogô, l’épouse de Hidehata.

Hidehata a épousé Ôgo en 1595, après la mort de sa première épouse, et, au nombre de leurs enfants, figuraient le futur shogun Iemitsu et son frère cadet et rival, qui allait prendre le nom de Tokugawa Tadanaga. Hidehata n’avait pas de concubine officielle, mais il avait en secret un fils illégitime, qui, sous le nom de Hoshina Masayuki, allait devenir le premier maillon d’une dynastie de daimyô (grand seigneur féodal) du domaine d’Aizu (actuelle préfecture de Fukushima) et jouer le rôle de conseiller auprès d’Iemitsu.

À l’époque, le dispositif des ôoku destinés à l’hébergement des concubines du shogun n’était pas encore en place, mais tout cela allait changer à mesure que grandissait l’influence d’Ofuku, la jeune nourrice d’Iemitsu, qui resterait dans l’histoire sous le nom de Kasuga no Tsubone.

Histoires et rumeurs sur Ofuku

Il existe diverses théories quant à la vie d’Ofuku avant qu’elle n’arrive à Edo. Ce dont on est sûr, c’est qu’elle était la fille de Saitô Toshimitsu, serviteur d’Akechi Mistuhide, connu pour avoir trahi Oda Nobunaga. En 1582, quand Mistuhide a été tué par Toyotomi Hideyoshi à la bataille de Yamazaki, Toshimitu a lui aussi été exécuté. Fille d’un traître, Ofuku a mené une vie d’errances et de tribulations.

En 1604, elle a été choisie comme nourrice d’Iemitsu (alors appelé Takechiyo, son nom d’enfance). Là encore, les facteurs à l’origine de cet événement varient selon les théories : soutien d’Ieyasu à sa candidature, recommandation du shogunat ou liaison avec Ieyasu.

Quoi qu’il en soit, sa culture et son expérience de la vie à Kyoto faisait d’elle une candidate adéquate pour l’emploi. Elle jouissait en outre d’une volonté et d’une ténacité exceptionnelles, et on peut supposer que ces qualités n’avaient pas échappé à Ieyasu.

À l’époque d’Edo, le bruit courait qu’Ofuku s’était employée à convaincre Ieyasu que Takechiyo (Iemitsu) était tout désigné pour devenir le prochain shogun, en se fondant sur la primogéniture, puisqu’il était plus âgé que son frère Kunimatsu (Tadanaga), autre candidat populaire au sein du shogunat. On pense aujourd’hui que cette histoire a été forgée plus tardivement. Certains récits disent aussi que le soutien accordé par Ofuku à Takechiyo a été la source d’un conflit entre elle et Hidetada et Ogô, partisans de son frère cadet, mais le manque de crédibilité de cette théorie incite nombre de chercheurs à la rejeter.

Il n’en reste pas moins que ce genre d’histoires montre l’importance attribuée à Ofuku au sein de la maison shogunale.

La nécessité politique de disposer d’un successeur

L’importance d’Ofuku ne provenait pas du fait qu’elle avait été la nourrice du futur shogun Iemitsu, mais du prodigieux instinct politique qui lui a permis de concevoir le système des ôoku. En 1618, on a appliqué à l’oku des règles qui l’ont rapproché de la forme de l’ôoku devenue célèbre entre-temps. Au nombre de ces règles figuraient un couvre-feu, l’interdiction de toute intrusion masculine et l’obligation pour les femmes qui pénétraient dans l’enceinte d’avoir un laissez-passer.

En 1623, quand Takechiyo a pris le nom d’Iemitsu et qu’il est devenu shogun, il semble qu’Ofuku s’était préparée à cet événement. Les règles ont été adoptées au nom du shogun Hidetada, mais il est tout à fait possible que la forte volonté d’Ofuku ait pesé sur cette décision.

Une fois devenu shogun, Iemitsu n’a pas tout de suite eu des enfants. Il s’est vite querellé avec son épouse, Takako, fille du kanpaku (régent) Takatsukasa Nobufusa, et ils passaient peu de temps ensemble. Il semble en outre qu’Iemitsu préférait les rencontres homosexuelles avec des domestiques à la fréquentation des femmes. Ce n’était pas inhabituel à l’époque, mais Ofuku a jugé que les circonstances n’étaient pas propices à la naissance d’un successeur.

Portrait de Tokugawa Iemitsu. Bien qu'il soit devenu shogun en 1623, quand Hidetada a abdiqué, son père a gardé la main sur le pouvoir jusqu'à sa mort, en 1632. (Avec l'aimable autorisation de l'Institut d'historiographie, Université de Tokyo)
Portrait de Tokugawa Iemitsu. Bien qu’il soit devenu shogun en 1623, quand Hidetada a abdiqué, son père a gardé la main sur le pouvoir jusqu’à sa mort, en 1632. (Avec l’aimable autorisation de l’Institut d’historiographie, Université de Tokyo)

Pour que le shogunat puisse se perpétuer, il fallait qu’Iemitsu ait un enfant. C’était un enjeu politique majeur, et c’est là qu’Ofuku a fait montre de sa persévérance.

Tokugawa Iemitsu et les femmes de sa vie

En 1629, Ofuku a accédé au statut de courtisane et s’est désormais appelée Kasuga no Tsubone. Faisant office d’intermédiaire dans la recherche de concubines pour Iemitsu, Kasuga a amené au château d’Edo des femmes comme Ofuri, Oraku et Otama. Ofuri, qui a été la première à se trouver enceinte, a donné naissance à une fille en 1637. Iemitsu a en outre commencé à s’intéresser aux femmes déjà présentes dans le château, et il a entamé des relations avec Onatsu et Orisa, deux servantes de son épouse.

Nom (antécédents) Profil
Descendance
Oman (nonne au temple Keikô-in, Ise) À l’issue d’une audience avec Iemitsu, elle revint à la vie séculière et devint sa concubine.
Pas d’enfant. Aurait avorté, selon la rumeur, parce que d’aucuns craignaient que son statut de fille d’un noble de cour ne l’autorise à interférer dans le shogunat.
Ofuri (née dans la famille des Gamô, serviteurs du shogun) Amenée au chateau d’Edo par Tsubone, elle devint la maîtresse d’Iemitsu en 1636.
Sa fille Chiyohime a épousé plus tard le chef du domaine d’Owari (actuelle préfecture d’Aichi).
Oraku (issue d’une famille d’agriculteurs de la province de Shimotsuke, actuelle préfecture de Tochigi) Découverte par Tsubone alors qu’elle revenait d’une visite à Asakusa, et amenée au château d’Edo.
Son fils Takechiyo est devenu le quatrième shogun Ietsuna.
Onatsu (issue d’une famille de citadins de Kyoto) Était servante de Takako, l’épouse d’Iematsu, avant de devenir la maîtresse de celui-ci.
Son fils Chômatsu est devenu Tsunashige, le chef du domaine de Kôfu (actuelle préfecture de Yamanashi).
Otama (issue de la famille de l’intendant du régent) Servante d’Oman qui devint concubine d’Iematsu sur la recommandation d’Ofuku.
Son fils Tokumatsu est devenu Tsunayoshi, le cinquième shogun.
Orisa (peut-être issue de la famille d’un fonctionnaire de Kyoto) Était servante de Takako, l’épouse d’Iematsu, avant de devenir la maîtresse de ce dernier.
Son fils Tsurumatsu est mort à l’âge d’un an.
Omasa (fille du serviteur en chef du domaine d’Owari, actuelle préfecture d’Aichi) Tsunobe l’a fait entrer au château d’Edo.
Son fils Kamematsu est mort à l’âge de quatre ans.

Tableau établi par l’auteur en se basant sur des sources diverses

Les concubines d’Iemitsu ont par la suite donné naissance à cinq garçons. Deux d’entre eux sont morts dans leur prime enfance, mais deux autres allaient devenir shogun — Ietsuna et Tsunayoshi — et le cinquième prendre la direction du domaine de Kôfu (actuelle préfecture de Yamanashi).

En 1643 toutefois, au milieu de cette succession de naissances, Kasuga no Tsubone est morte de maladie. Auparavant, quand Iemitsu avait contracté la variole, on dit qu’elle avait juré de ne jamais pendre de médicaments, tout en priant pour sa guérison. Toujours est-il qu’elle refusa toute forme de traitement ou de médication, jusqu’à ce qu’Iemetsu l’en dissuade. Elle n’en décéda pas moins à l’âge de 64 ans.

Après sa mort, les revendications respectives brandies par les trois mères des fils d’Iemitsu ont semé le désordre dans la succession. Le système mis en place par Tsubone avait certes garanti le maintien de la succession au sein de la famille, mais il n’était pas en mesure d’empêcher ce genre de discorde.

(Photo de titre : portrait de Kasuga no Tsubone. Avec l’aimable autorisation de l’Institut d’historiographie, Université de Tokyo)

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