Les grandes figures historiques du Japon

Kaneko Misuzu, une poétesse japonaise ressuscitée pour l’universalité de ses œuvres

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Yazaki Setsuo [Profil]

« Nous sommes tous différents et nous sommes tous beaux » est sans doute le vers le plus célèbre écrit par la poétesse Misuzu Kaneko. Ses œuvres figurent aujourd’hui dans les manuels de japonais des écoles primaires, et certains ont même été adaptés en français (deux figurent dans l’article). Penchons-nous sur le talent de cette jeune femme, décédée bien trop tôt après un lourd chagrin.

La courte vie d’une femme talentueuse

Kaneko Misuzu (Teru de son prénom de naissance) est née le 11 avril 1903, dans le village de Senzaki, canton d’Ôtsu, préfecture de Yamaguchi (aujourd’hui le quartier de Senzaki de la ville de Nagato). Ses parents avaient déjà un fils deux ans plus âgé qu’elle. Sa grand-mère vivait avec eux.

Deux ans plus tard naît son deuxième frère qui deviendra dramaturge et compositeur, mais en 1907, leur père meurt. La famille Kaneko, grâce à l’aide de la librairie Kamiyama de Shimonoseki (la tante de Misuzu avait épousé le libraire), ouvre alors la librarie Kaneko Buneidô. En 1907, le frère cadet est adopté par la famille Kamiyama qui n’avait pas d’héritier.

Kaneko Misuzu à l'époque où elle était élève au lycée de filles
Kaneko Misuzu à l’époque où elle était élève au lycée de filles

En 1916, Misuzu entre au lycée de filles d’Ôtsu. C’est une très bonne élève, aimée de ses camarades, sage, gaie, et gentille. Sa tante meurt quand elle est en troisième année, et c’est sa mère qui reprend alors le travail à la librairie.

Trois ans après la fin du lycée, elle commence à écrire des comptines, tout en travaillant à la succursale de la librairie Kamiyama dont elle est l’unique employée. Environ un mois plus tard, elle envoie ses poèmes à quatre magazines, dont la revue « Contes » (Dôwa), sous le pseudonyme de Kaneko Misuzu. Les trois autres revues la publient aussi. Elle continuera à écrire avant tout pour« Contes ».

En 1926, sur les conseils de son oncle, elle se marie, et donne naissance en novembre à une petite fille, Fusae. Mais son mari, qui ne la voit que comme épouse et mère, lui interdit d’écrire de la poésie et de correspondre avec d’autres auteurs. C’est la raison pour laquelle elle consigne ses œuvres dans trois carnets. Elle confie un exemplaire des trois à Saijô Yaso, un autre à son frère cadet, et cesse ensuite d’écrire.

Quelques temps après, elle divorce, épuisée physiquement et mentalement par sa vie conjugale. Elle demande à avoir la garde de sa fille, mais à l’époque la loi ne reconnaissait l’autorité parentale qu’au père. Elle en discute de nombreuses fois avec son ex-mari, mais il refuse de lui laisser l’enfant. La veille du jour où il devait venir la chercher, au matin du 10 mars 1930, elle se suicide en laissant une lettre à son ex-mari dans laquelle elle demande que leur fille soit confiée à sa mère.

Le secret d’un succès : résonner avec l’universel

Les œuvres de Kaneko Misuzu qu’aucun d’entre nous n’avait pu lire pendant plus d’un demi-siècle ont été publiées avec les trois recueils que possédait son frère cadet aux éditions JULA sous le titre « Oeuvres complètes de Kaneko Misuzu » (Kaneko Misuzu zenshû). Aujourd’hui, plusieurs de ses poèmes figurent dans les manuels de japonais des écoles primaires, et son œuvre est connue bien au-delà du Japon, puisqu’elle a été traduite dans plus de dix langues (dont le français pour certains poèmes). Sans doute peut-on en comprendre la raison grâce à mon maître, le poète Mado Michi, qui m’a enseigné la différence entre les poèmes et les comptines.

« Dans un poème, on écrit ses découvertes et ses sentiments, alors que dans une comptine on écrit en creusant profondément ses découvertes et ses émotions jusqu’à ce que toute le monde puisse les partager. »

Si Kaneko Misuzu a connu un tel succès, c’est assurément parce qu’elle écrivait en se penchant sur l’universalité qui existait en elle. C’est ce qui a permis à nous, lecteurs, de se retrouver facilement dans ses comptines : nos propres pensées et émotions, que nous n’arrivions pas forcément à transformer en mots, apparaissaient habilement exprimées sous forme de vers.

Pour conclure cet article, je veux présenter à tous ceux qui souffrent aujourd’hui de la crise sanitaire, le poème Au clair !

Au clair ! (traduction officielle de Patrick Blanche et Kemmoku Makoto)

Au clair
au clair !

Où un rayon traverse
même une simple feuille

Plante à l’ombre des broussailles

Au clair
au clair !

Où la flamme consume
jusqu’à cette paire d’ailes

Insecte volant dans la nuit

Au clair
au clair !

Où le soleil se lève
et peu à peu grossit

Enfants de la grande ville

(Toutes les photos sont avec l’aimable autorisation de l’Association de préservation des œuvres de Kaneko Misuzu. Les deux poèmes cités en français dans l’article sont tirés de l’ouvrage Malgré tout le ciel est toujours bleu, Poèmes choisis de Misuzu Kaneko, publié en 2003)

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Yazaki SetsuoArticles de l'auteur

Poète pour enfants. Né en 1947 à Tokyo, il étudie la littérature à l’Université Waseda. Il obtient en 1982 le douzième prix Akai Tori pour son recueil « Sous les étoiles et le ciel » (Hoshi to sora no shita de, éditions Froebel-kan). Il édite les œuvres complètes de Kaneko Misuzu en 1984, après avoir découvert les originaux qui avaient été oubliés. Actif dans l’édition, il participe aussi à des actions médicales et à la construction d’une école au Népal qui porte le nom de Kaneko Misuzu. Depuis 2003, il dirige le Musée Kaneko Misuzu.

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