Sankin kôtai : vérités et idées reçues sur le service en alternance à l’époque d’Edo

Le système « sankin kôtai », ou comment manifester son allégeance au shogun en temps de paix

Histoire

Durant l’époque d’Edo (1603-1868), sous le régime des shogun Tokugawa, les seigneurs féodaux ont été tenus de résider tour à tour dans la capitale et dans leur fief, en vertu du système du « service en alternance », appelé sankin kôtai. Le voyage pouvait prendre plusieurs semaines et se composait d’un impressionnant cortège, coûteux en personnel et en argent.

Une parade militaire peu justifiée en temps de paix

Les dépenses liées au service en alternance consistaient essentiellement en frais de personnel. La première image qui vient à l’esprit quand on parle du sankin kôtai, c’est celle de l’imposant cortège qui suivait chaque seigneur féodal dans ses déplacements. Bien que le pays fût en paix, il s’agissait d’une véritable parade militaire réunissant un grand nombre de guerriers équipés de lances (yari) et d’arquebuses (teppô) qui n’avaient pourtant guère de chances d’être utilisées. Car l’objectif de toute cette mise en scène était avant tout de renforcer le prestige des daimyô.

Une fois les préparatifs du voyage terminés, les guerriers et le reste du cortège prenaient le chemin de la capitale shogunale et ils marchaient pendant des jours à travers le pays. Et quand ils venaient d’une région éloignée, le périple durait parfois plusieurs semaines. Les frais engagés devaient être énormes que ce soit en termes de personnel, d’hébergement pendant le trajet ou de séjour à Edo.

L’image ci-dessous représente une partie du cortège du septième daimyô du fief de Tsuyama situé dans l’ancienne province de Mimasaka (nord-est de la préfecture actuelle d’Okayama). L’action se situe en 1818, au moment où il revient de la capitale shogunale. Le seigneur est au centre de la rangée du milieu, dans son palanquin. Sur la partie de gauche de la rangée du haut, il y a des guerriers armés d’arquebuses et sur celle de droite, des archers. Cette œuvre, peinte en 1884, fait partie d’un ensemble de cloisons mobiles opaques (fusuma) composé de sept panneaux dont chacun mesure 0,95 mètre sur 1,91 mètre. Elle met en scène 812 personnages sur une longueur totale de quelque 13 mètres. Plus de 600 kilomètres séparaient le fief de Tsuyama d’Edo et le cortège du daimyô effectuait le trajet aller et retour à pied avec armes et bagages.

Cinquième panneau du « Retour du daimyô de Tsuyama dans son fief après l’augmentation de son revenu à 100 000 koku » (Jûman goku gokazô go hatsu gonyûkoku otomo tate no zu), un  ensemble de sept cloisons coulissantes peint en 1884. Matsudaira Naritaka (1788-1838), le septième daimyô de Tsuyama est dans son palanquin, au centre de la rangée du milieu. Il rentre triomphalement dans son fief après un séjour à Edo où son revenu a été à nouveau porté à 100 000 koku de riz. (0,95 m. x 1,91 m). (Avec l’aimable autorisation du Musée municipal de Tsuyama)
Cinquième panneau du « Retour du daimyô de Tsuyama dans son fief après l’augmentation de son revenu à 100 000 koku » (Jûman goku gokazô go hatsu gonyûkoku otomo tate no zu), un ensemble de sept cloisons coulissantes peint en 1884. Matsudaira Naritaka (1788-1838), le septième daimyô de Tsuyama est dans son palanquin, au centre de la rangée du milieu. Il rentre triomphalement dans son fief après un séjour à Edo où son revenu a été à nouveau porté à 100 000 koku de riz. (0,95 m. x 1,91 m). (Avec l’aimable autorisation du Musée municipal de Tsuyama)

Des guerriers soucieux de rehausser leur prestige

Le système du sankin kôtai est en général présenté comme l’expression d’une volonté délibérée des shogun Tokugawa d’affaiblir leurs vassaux et leurs fiefs en leur imposant des dépenses somptuaires énormes et d’empêcher toute rébellion dans les provinces. Mais les choses ne sont pas aussi simples qu’on pourrait le croire.

Le gouvernement militaire d’Edo a en effet recommandé à plusieurs reprises aux daimyô d’éviter de s’engager dans des frais excessifs dans le cadre du service en alternance. Et les vassaux du shogun n’ont pas forcément suivi ses instructions parce que pour eux, les déplacements accompagnés d’un somptueux cortège à travers l’Archipel et la vie dispendieuse qu’ils menaient à Edo étaient l’occasion de rehausser leur prestige et de montrer qu’il ne fallait pas les considérer comme d’obscurs guerriers de province.

(Photo de titre : le premier d’un ensemble de sept panneaux de portes coulissantes intitulé « Retour du daimyô de Tsuyama dans son fief après l’augmentation de son revenu à 100 000 koku » [Jûman goku gokazô go hatsu gonyûkoku otomo tate no zu]. Les personnages représentés sur la gauche de la rangée du haut font partie de l’avant-garde du cortège partie cinq jours plus tôt pour s’occuper des problèmes d’hébergement. Le palanquin situé au centre de la rangée du milieu est celui de l’intendant des finances préposé aux transports terrestres. Avec l’aimable autorisation du Musée municipal de Tsuyama)

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histoire Edo samouraï Tokugawa Ieyasu sankin kôtai

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