
Sankin kôtai : vérités et idées reçues sur le service en alternance à l’époque d’Edo
Le système « sankin kôtai », ou comment manifester son allégeance au shogun en temps de paix
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Une forme d’allégeance propre à l’époque d’Edo
À l’époque, le Japon comptait quelque trois cents fiefs (han) dont chacun était constitué par un territoire d’une valeur d’au moins dix mille koku attribué par le shogun à un seigneur féodal, le daimyô. Le koku est une ancienne unité de mesure équivalant à environ cent cinquante kilogrammes de riz.
Avant la mainmise du clan Tokugawa sur le Japon, les guerriers s’étaient déjà emparés du pouvoir à deux reprises en instaurant un gouvernement militaire, pendant les périodes agitées de Kamakura (1185-1333) et de Muromachi (1333-1568). Les daimyô faisaient allégeance au shogun en place en lui apportant leur soutien lors des nombreux conflits armés qui ravageaient régulièrement le pays. Mais à partir du moment où il a été unifié par les Tokugawa, l’Archipel a vécu en paix durant plus de deux siècles et demi. C’est alors que se rendre à Edo (Tokyo), demander audience au shogun et séjourner un certain temps sur place est devenu la nouvelle manière rituelle pour les vassaux de manifester leur loyauté. Ce type de « visite » a pris le nom de sankin. Le premier caractère san (参) désigne un déplacement effectué avec respect en direction d’un supérieur, tandis que le second kin (勤) implique la notion de devoir. Ce système de « service en alternance » était appelé sankin kôtai.
Quand Tokugawa Ieyasu (1542-1616) a mis en place son gouvernement militaire en 1603, le château d’Edo est devenu le centre politique et administratif du pays où il donnait audience à ses vassaux, tel un « souverain au milieu de sa cour ». (Voir notre article : Tokugawa Ieyasu et la fondation du shogunat d’Edo)
Tokugawa Ieyasu : un souverain entouré par sa cour
On pense que le système du sankin kôtai a commencé à partir de 1615, après que Tokugawa Ieyasu eut étendu son contrôle sur la totalité du Japon en réduisant à néant le clan des Toyotomi à proximité du château d’Osaka. (Voir notre article : Le Japon de Toyotomi Hideyoshi : l’État mis sous contrôle)
On sait en effet par des documents de la famille Satake que jusqu’en 1617, le daimyô du fief d’Akita a passé six mois de l’année dans son domaine et le restant à Edo. Conformément à la volonté de Tokugawa Ieyasu de faire du château d’Edo le centre politique du pays, il manifestait sa loyauté envers le shogun en séjournant six mois par an dans sa capitale. Et il devait sans doute en aller de même pour les autres fiefs.
La durée du service en alternance a toutefois changé, un an plus tard. La nouvelle fréquence du sankin kôtai est devenue d’un an à Edo suivi d’un an dans le fief. À l’époque, rien n’avait encore été strictement codifié à cet égard et le comportement des daimyô relevait du désir de montrer au shogun qu’on se pliait à ses volontés. Mais les choses ont pris ensuite une tout autre tournure en particulier après la disparition de Tokugawa Ieyasu, en 1616.
La promulgation de lois régissant l’activité des samouraïs
Le système du sankin kôtai n’a été officiellement promulgué qu’en 1635. Cette année-là, Tokugawa Iemitsu (1604-1651), le troisième shogun, a modifié les « Lois fondamentales régissant l’activité des guerriers » Buke shohatto) édictées en 1615 par son prédécesseur, Tokugawa Hidetada (1579-1632). Le nouveau texte spécifiait explicitement que « chaque année, à la quatrième lune, les daimyô et les propriétaires de petits domaines (shômyô) devaient venir “servir en alternance” à Edo. »
Ainsi, un daimyô arrivé à Edo à la quatrième lune restait sur place jusqu’à la troisième lune de l’année suivante où il rentrait dans son fief. Il était alors remplacé par un autre daimyô venu assurer la relève à la quatrième lune. Et ainsi de suite. Les seigneurs féodaux étaient donc tenus de se relayer au service du shogun et de ce point de vue, le sankin kôtai a pris dès lors le caractère d’une obligation.
Ce manuscrit fait partie des archives de la famille Tokuyama Môri, seigneurs du fief de Tokuyama dans l’ancienne province de Suô (actuelle préfecture de Yamaguchi). Il contient une copie d’une des « Lois fondamentales régissant l’activité des guerriers » (Buke shohatto) promulguées par le gouvernement d’Edo. En l’occurrence l’ordonnance édictée en 1635 par le troisième shogun Tokugawa Iemitsu (1604-1651) qui a fait du sankin kôtai une obligation pour les seigneurs féodaux. (Avec l’aimable autorisation des archives de la préfecture de Yamaguchi)
Le système du service en alternance a ensuite fait l’objet de plusieurs réformes au cours des quelque deux siècles et demi qu’a duré l’époque d’Edo. La plus importante a eu lieu en 1722, du temps de Tokugawa Yoshimune (1684-1751). Le huitième shogun a réparti les fiefs en quatre groupes, réduit le temps du séjour à Edo à six mois et porté celui passé en province à un an et demi. Ce faisant, il a allégé le poids financier que représentait le sankin kôtai pour les daimyô.
Mais ces mesures ne furent pas suffisantes pour redresser la situation économique des nombreux fiefs mis en difficulté par les dépenses énormes occasionnées par le service en alternance.