Comprendre l’importance de l’axe cerveau-intestin : un scientifique japonais explique

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Parmi les champs d’exploration les plus fascinants de la recherche médicale d’aujourd’hui figure la relation entre l’intestin et le cerveau, notamment en ce qui concerne le rôle des bactéries intestinales et leur impact sur la santé physique et comportementale. Le professeur Fukudo Shin, du Centre de la science du cerveau de l’Université du Tôhoku, nous fait part de ses observations sur l’étonnant axe cerveau-intestin, inspirées de ses recherches pionnières sur le syndrome du côlon irritable (SCI).

Fukudo Shin FUKUDO Shin

Professeur, Département de médecine comportementale, École de médecine de l’Université du Tôhoku. À l’issue d’études de troisième cycle effectuées au Centre médical de l’Université Duke et dans d’autres établissements, il est entré en 1988 à l’École universitaire de médecine de la faculté du Tôhoku, où il s’est spécialisé en médecine psychosomatique. Auteur de « Les sensations viscérales : la mystérieuse connexion cerceau-intestin » (Naizô kankaku — Nô to chô no fushigina kankei) et de nombreux articles de journaux.

La thèse de l’intestin comme « premier cerveau »

Équipé de son propre système nerveux, l’intestin est à l’évidence beaucoup plus qu’un organe digestif. Le professeur Michael Gershon, de l’Université Columbia, est l’inventeur de la célèbre formule « deuxième cerveau », employée pour désigner le système nerveux entérique. La thèse que soutient Fukudo est que, du point de vue de l’évolution, l’intestin est en fait le premier cerveau. « Lorsque les organismes multicellulaires ont fait leur apparition sur terre, il y a quelques centaines de millions d’années, le premier organe qui ait pris forme a été l’intestin », observe-t-il. Progressivement, un système nerveux s’est développé autour du tractus gastro-intestinal primitif. L’hydre d’eau douce (photo ci-après) est un exemple vivant d’animal qui fonctionne sans cerveau, puisqu’elle se contente d’un tube digestif entouré d’un réseau neural.

Fukudo estime probable que des déséquilibres chimiques à l’intérieur de l’intestin, provoqués entre autres par des changements survenus dans le microbiote, puissent générer de l’inflammation et même des transformations morphologiques dans le cerveau. Les travaux scientifiques ont mis en évidence le rôle des déséquilibres intestinaux dans un large éventail de pathologies, depuis les allergies et l’asthme jusqu’à l’autisme, la maladie de Parkinson et la maladie d’Alzheimer.

Hydractiniidae (Pixta)
Hydractiniidae (Pixta)

Pour maintenir en bonne santé l’axe cerveau-intestin

Ceci étant, comment comment faire pour maintenir son axe cerveau-intestin en bonne santé?

Fukudo commence par le cerveau et recommande un régime alimentaire riche en fibres et pauvre en hydrates de carbone et additifs raffinés, en accordant une place importante aux fruits et légumes de saison et aux aliments fermentés. Il a personnellement vu des cas où un changement de régime avait complètement modifié la donne.

Beaucoup de médicaments risquent de perturber l’équilibre microbien naturel des intestins. Fukudo déconseille notamment l’usage excessif des antibiotiques.

Il souligne aussi l’importance de prendre chaque jour un bon petit déjeuner, une pratique favorable à la régularité de nos modes de vie. « Je sais qu’il y a beaucoup d’enfants qui sautent le petit déjeuner, pour éviter de devoir à aller à la selle à l’école. Nos enseignants doivent adopter une attitude plus saine vis-à-vis des fonctions corporelles naturelles, telles que la défécation, de façon à ce que les enfants cessent de les percevoir comme quelque chose d’embarrassant. » Dormir suffisamment, s’accorder des pauses, effectuer régulièrement de l’exercice sont aussi des habitudes propices à la bonne santé de l’axe cerveau-intestin.

En se fondant sur sa propre expérience, Fukudo pense que la meilleure chose qu’on puisse faire pour prévenir et soulager le SCI est de prendre conscience du stress dans notre vie quotidienne et d’en parler autour de nous plutôt que de le refouler en notre for intérieur. De ce point de vue, la thérapie cognitivo-comportementale est riche de promesses en tant qu’outil permettant de soulager les symptômes du SCI et d’améliorer globalement la qualité de la vie. Au bout du compte, recourir à un traitement intégré corps-esprit est la solution la plus sensée pour remédier à un dysfonctionnement de l’axe cerveau-intestin.

Les symptômes du SCI sont bien réels et peuvent avoir un effet débilitant. Pourtant, jusque récemment, les gens qui en souffraient n’avaient pas grand-chose à attendre en termes de sympathie ou de compréhension, et encore moins de traitement efficace. Aujourd’hui, le traitement du SCI et d’autres pathologies suscite de nouveaux espoirs, grâce aux progrès spectaculaires accomplis par la science de l’interaction cerveau-intestin.

(Interview et texte de Doi Emi, de Nippon.com. Photo de titre : Pixta)

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