Le renouveau régional au Japon

Revitaliser les régions japonaises : un programme rémunéré qui rencontre le succès auprès des jeunes

Société Région

Doi Emiko [Profil]

En 2009, les municipalités du Japon ont mis en place un programme permettant aux gens de la ville d’aller habiter en province pendant un à trois ans afin d’en faire la promotion tout en recevant un salaire. Et si ce nouveau lieu de vie leur sied, il est possible de s’y installer définitivement. Aujourd’hui, ce projet de revitalisation des régions s’avère de plus en plus populaire, notamment parmi les jeunes. Portraits de deux participants qui ont réussi leur transition.

Ayano, une polyvalente gérante d’une auberge de jeunesse

La ville de Nasushiobara, à un peu plus d’une heure de Tokyo en Shinkansen, est connue pour ses sources thermales. Il suffit ensuite de prendre le train local pour une seule station et de descendre à Kuroiso. C’est là que Toyoda Ayano, 31 ans, est la propriétaire de « Matinée », une auberge de jeunesse à trois minutes à pied de la gare.

« Durant mes études en sociologie à l’université Rikkyô, je voyais souvent des articles au sujet du Programme de Revitalisation des régions. Puisque même des étudiants étaient acceptés, j’ai pris la décision de postuler pendant ma dernière année, quand je n’avais plus que ma thèse à écrire. Pourquoi ai-je fait le choix de Nasushiobara ? Parce que c’est un peu à mi-chemin entre la ville et la campagne, et les transports y sont pratiques. Ça me semblait bien équilibré comme option. »

Toyoda Ayano, à l’entrée de son auberge de jeunesse
Toyoda Ayano, à l’entrée de son auberge de jeunesse

Un projet du nom de Arts 369 Project a été mis en place le long de la route préfectorale 369 qui mène de Kuroiso à la station thermale d’Itamuro. Parmi les lieux qui attirent l'œil se trouvent un espace d’art contemporain dédié aux œuvres de Nara Yoshitomi, le 1988 CAFE SHOZO, situé au sein d’une maison traditionnelle japonaise, dont les fans viennent de tout le Japon, un disquaire qui appartient à B.D. KILLA TURNER, artiste connu de street music, et la boulangerie artisanale Kanel Bread. À l’époque, de nouvelles enseignes continuaient à s’ouvrir et Ayano a pensé que ça pourrait être intéressant de s’installer ans le coin.

D’octobre 2014 à septembre 2017, Ayano a œuvré à la promotion du tourisme dans le cadre du Programme de Revitalisation régionale. Pendant cette période, elle a fait venir une vlogueuse américaine à Nasushiobara et a contribué à faire de la publicité pour la ville sur le réseau social LINE, que beaucoup de Japonais utilisent. Elle a aussi fait partie de l’équipe qui a établi l’Office de tourisme de Nasushiobara. Elle s’est mariée il y a trois ans et son époux continue à travailler dans l’informatique à Tokyo bien qu’il ait transféré son adresse officielle à Kuroiso. Il partage donc sa vie entre Tokyo et Kuroiso,

Pendant ses études, Ayano a pris une année sabbatique et s’est lancée pour un tour du monde. « Lors de mon séjour en Israël, je me suis rendue compte à quel point les auberges de jeunesse aidaient les voyageurs à se sentir en sécurité et à rencontrer les gens du pays, et les résidents de la région pouvaient aussi promouvoir leurs activités par ce biais. Je me suis dit que j’aimerais bien créer ce genre d’endroit. »

La vue d’une des chambres à l’étage
La vue d’une des chambres à l’étage

L’idée d’une auberge de jeunesse était un projet personnel. Elle y a travaillé en dehors de ses heures de bureau. Elle en parlait toutefois souvent à ses collègues et à son entourage, qui se sont ainsi mis à l’informer quand il y avait des locaux à louer et des clients potentiels à présenter. Dans le cadre de son activité officielle, elle interagissait avec des gens qu’elle n’aurait pas pensé rencontrer, tels des agriculteurs ou des producteurs laitiers, et elle s’est rendue compte qu’elle avait développé énormément de contacts.

La cuisine communale au premier étage de l’auberge de jeunesse d’Ayano
La cuisine communale au premier étage de l’auberge de jeunesse d’Ayano

Le rez-de-chaussée de son auberge est un espace où sont exposées des œuvres du festival Art 369. Au premier étage se trouve une grande pièce en tatami et une cuisine communale où les clients peuvent apprendre à se connaître. Deux autres chambres en tatami spacieuses sont situées au deuxième étage. Ayano rénove l’intérieur elle-même petit à petit pour donner aux ranma (imposte décorée), portes coulissantes shôji , tatami et futon un aspect plus contemporain. Le lieu est particulièrement apprécié par les équipes de tournage et les séminaires universitaires.

Les ranma embellissent les chambres en tatami du deuxième étage.
Les ranma embellissent les chambres en tatami du deuxième étage.

En plus de son auberge de jeunesse, Ayano fait aussi un peu de consulting et travaille comme tutrice à domicile. « Bien que l’auberge reste ma source principale de revenus, j’aime bien faire autre chose aussi. En fait je construis ma vie à mon goût, et je la partage avec les autres. »

Une révolution tranquille dans les campagnes

Shiikawa Shinobu pense que même si les participants ne font pas le choix de s’installer définitivement dans une région donnée, cette expérience crée un lien avec elle et leur donne envie de la soutenir.

Partout au Japon, il ne reste plus assez de monde dans les régions. « Les gens de la ville pensent qu’ils ne peuvent pas vivre ailleurs, et ils se trompent quand ils pensent qu’on peut tout acheter avec de l’argent . » Pendant ses années au ministère, Shiikawa a vécu dans les préfectures de Shimane et Miyazaki. « Les gens de la ville ne s’en rendent pas compte, mais tous les problèmes d’alimentation, d’eau, et même de personnel, sont liés aux régions. Il sonne l’alarme quand il dit « si on ne protège pas les régions, c’est tout le Japon qui en souffrira à la longue ».

« Si les familles rurales s’installent en ville en emmenant les grands-parents aussi, il ne reste plus de famille en province. Mais en même temps, c’est assez inquiétant de partir tout seul. Ce programme propose à ceux qui hésiteraient à se lancer de les épauler pendant trois ans, avec des revenus garantis, et un vrai soutien au niveau du travail et du logement. »

De plus en plus de personnes sont à la recherche d’un mode de vie différent et souhaiteraient effectuer un travail dont ils pourront être fiers. Ils s’interrogent donc sur un déménagement hors des grandes villes. Pour Shiikawa, quand les jeunes urbains s’intègrent dans les régions, ils provoquent un profond changement d’optique chez les locaux qui s’intéressent aux nouveaux-venus plus jeunes. Ces personnes dynamiques mettent en valeur les ressources de ces régions et provoquent une sorte de « révolution tranquille ».

(Photo de titre : Hashimoto Rei, à gauche, et Toyoda Ayano © Sawano Shin’ichirô)

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Doi EmikoArticles de l'auteur

Rédactrice, éditrice et coordinatrice à Nippon.com. Elle a auparavant travaillé pour le bureau de Tokyo du groupe de presse américain spécialisé dans les journaux et les publications Internet Knight Rider (racheté en 2006 par l’entreprise de presse écrite américaine McClatchy Company).

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