Le renouveau régional au Japon
Revitaliser les régions japonaises : un programme rémunéré qui rencontre le succès auprès des jeunes
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S’installer en province : une mission rémunérée qui a du succès
Depuis plusieurs années, de nombreux articles et séries télévisées parlent de Japonais qui partent s’installer en province, et c’est notamment parmi les jeunes que l’on constate un engouement croissant pour une vie loin des grandes villes.
Avec le soutien financier du ministère des Affaires intérieures et des Communications, le Programme de Revitalisation des régions propose aux gens de la ville de passer entre un et trois ans en province à travailler à la redynamisation des villages, à leur promotion touristique, au développement de leur agriculture ou même à la préservation de leur culture. L’idée de s’y installer définitivement. La somme change selon les régions, mais des revenus d’un maximum de 4,8 millions de yens par an et par personne (environ 34 000 euros) sont garantis grâce à des allocations fiscales spéciales. Pendant cette période, la région devient leur résidence officielle et ils ont l’obligation d’utiliser les réseaux sociaux ou des blogs pour présenter leurs activités sur le terrain.
Le Programme de Revitalisation régionale a démarré en 2009. Seul 89 personnes ont postulé la première année, mais le nombre est passé à 257 l’année suivante et, à partir de la quatrième année, les demandes ont augmenté de 30 à 50 % par an et ont atteint 6 015 personnes en 2021, Les jeunes sont nombreux, et 70 % des postulants ont entre 20 et 30 ans, avec 40 % de femmes.
Il faut aussi noter que vers la fin mars 2022, 65 % de ceux qui avaient participé au programme, à savoir 5 281 personnes, avaient fait le choix de s’installer définitivement dans la région à la fin de leur contrat. Parmi eux, certains ont repris des commerces traditionnels tels que la fabrication du saké et du washi, des auberges ryokan, ou des marchands de sauce soja. Même des étrangers, 140 au total et venant d’Afrique du Sud, Chine, Hongrie, Costa Rica et autres, ont profité de l’offre et se consacrent à des activités variées.
Shiikawa Shinobu, le fonctionnaire d’État qui a eu l’idée du projet de revitalisation des régions, explique que « les jeunes de nos jours ont des valeurs qui sont beaucoup plus diversifiées ». Shiikawa a fait partie du tout premier Comité pour la promotion des régions et a été à la tête de la direction des finances locales du ministère des Affaires intérieures et des Communications. Il est maintenant directeur du Centre pour la revitalisation des régions. Quand le ministère l’a chargé de mettre en place ce programme, il s’est entretenu avec des organismes et des personnes ayant des expériences variées, y compris d’autres ministères, l’Agence de coopération internationale du Japon (JICA) ainsi que des bénévoles qui avaient travaillé à l’étranger. C’est en ayant recours à un système d’allocations fiscales spéciales qu’il a pu établir un projet sur plusieurs années, là ou une subvention simple du gouvernement n’aurait été valable que pour un an.
Ce désir des jeunes japonais de quitter la ville prend de l’importance depuis 2014 environ. « Une génération qui n’a jamais connu de période économique faste est arrivée à l’âge adulte en se posant naturellement des questions. C’est le résultat de plus de 20 ans sans croissance forte », note Shiikawa.
La revitalisation s’effectue parfois même dans le sens le plus strict du mot. L’arrivée d’un bébé chez un jeune couple dans la commune d’Irokawa (préfecture de Wakayama) y a marqué la première naissance depuis 38 ans. Second exemple, une Japonaise de l’université de Tôhoku s’est installée dans un village de Tsushima (préfecture de Nagasaki), où tous les habitants avaient plus de 70 ans et y a fait venir des jeunes par le biais de son établissement. Elle s’est mariée et a eu des enfants mais continue à travailler à la revitalisation de la région.
L’arrivée de Rei, un jeune plein d’énergie au service d’une exploitation de vignes
Dans le cadre de cet article, nous avons interviewé deux personnes qui se sont installées dans la préfecture de Tochigi grâce au programme.
À deux heures au nord de Tokyo, la petite ville de Mashiko est surtout connue pour sa poterie d’un style particulier. Hashimoto Rei, âgé de 27 ans, est arrivé dans cette commune pour donner un coup de main à un cultivateur de raisin sans successeur. Originaire de Hokkaidô, au nord, il avait fait des études d’ergonomie et trouvé du travail dans l’informatique à Tokyo. Passionné d’agriculture, il est tombé sur une annonce d’un producteur de raisins à Tochigi qui cherchait un repreneur dans une zone faisant partie du projet de revitalisation régionale. Une vingtaine d’exploitations autour de Mashiko cultivent du raisin, des poires, des pommes et des myrtilles, et environ 80 % n’ont personne pour prendre la relève.
Rei s’est inscrit au Programme de Revitalisation en mai 2020. Il travaille depuis dans une exploitation sous serre, prenant soin de vignes d’au moins 25 ans d’âge.
Fujisawa Satoko, la propriétaire de ces vignes, raconte que ses enfants ont trouvé du travail ailleurs et n’étaient pas en position de reprendre l’exploitation. Le raisin était une activité partielle pour les Fujisawa qui travaillaient aussi en usine. « Quant mon mari est tombé malade, il s’est rendu à la mairie avec l’intention de liquider le vignoble, mais le maire a trouvé tellement dommage d’abandonner une aussi belle exploitation qu’il lui a proposé de chercher un repreneur. » Son mari s’est éteint le lendemain... Elle raconte avec un sourire comment Rei fait tout le travail, et taille même les vignes tout seul. « Je suis tellement reconnaissante. Il est jeune et déborde d’énergie ! »
La routine quotidienne de Rei est loin d’être facile. Levé avant 5 heures, il arrive à la serre à 6 heures. À 7 heures, il part livrer du raisin dans un marché de produits régionaux. Il travaille jusqu’à 17 heures. Durant la période des vendanges entre mi-août et début octobre, il ne prend aucun jour de repos. Au printemps, il éclaircit les bourgeons sur les vignes. Puis vient le rognage qui contrôle la pousse. Une fois les bourgeons fleuris, il les pulvérise d’une phytohormone appelée gibbérelline pour que les raisins poussent sans pépins. Quand ils arrivent à une certaine taille, il enlève ceux qui risquent d’être écrasés. Rei raconte en riant : « Je m’occupe de plus de 10 000 pieds sur palis avec le nez en l’air et je finis par en avoir des torticolis ! »
Rei a aussi effectué une formation d’un an au Collège d’agriculture de la préfecture de Tochigi, à Utsunomiya. « On a chacun notre lopin de terre qu’on cultive. On décide de tout, comment répartir les dépenses, etc. C’est le genre d’opportunité qu’on a rarement en formation. Et comme tout est sous la direction de la mairie, il y a des gens pour vous aider. Bien sûr, chacun est responsable de ses erreurs. À nous de prendre la décision d’utiliser des pesticides ou pas, et si oui, lesquels. Ça peut faire un peu peur, mais c’est agréable d’avoir autant d’autonomie. »
Pour l’instant, Rei reçoit un salaire mensuel de la municipalité, mais cela ne durera que jusqu’en avril prochain. Ses revenus risquent de rester problématiques pendant un moment... Il voudrait bien déménager et quitter le logement social où il habite, et louer une vielle maison japonaise avec davantage de place.
Rei voudrait d’abord pouvoir gagner sa vie dans cette exploitation. Transformer les grappes invendables en jus de raisin, cultiver des kakis et des figues à différentes périodes de l’année… Bref, il a des projets plein les yeux.
Ayano, une polyvalente gérante d’une auberge de jeunesse
La ville de Nasushiobara, à un peu plus d’une heure de Tokyo en Shinkansen, est connue pour ses sources thermales. Il suffit ensuite de prendre le train local pour une seule station et de descendre à Kuroiso. C’est là que Toyoda Ayano, 31 ans, est la propriétaire de « Matinée », une auberge de jeunesse à trois minutes à pied de la gare.
« Durant mes études en sociologie à l’université Rikkyô, je voyais souvent des articles au sujet du Programme de Revitalisation des régions. Puisque même des étudiants étaient acceptés, j’ai pris la décision de postuler pendant ma dernière année, quand je n’avais plus que ma thèse à écrire. Pourquoi ai-je fait le choix de Nasushiobara ? Parce que c’est un peu à mi-chemin entre la ville et la campagne, et les transports y sont pratiques. Ça me semblait bien équilibré comme option. »
Un projet du nom de Arts 369 Project a été mis en place le long de la route préfectorale 369 qui mène de Kuroiso à la station thermale d’Itamuro. Parmi les lieux qui attirent l'œil se trouvent un espace d’art contemporain dédié aux œuvres de Nara Yoshitomi, le 1988 CAFE SHOZO, situé au sein d’une maison traditionnelle japonaise, dont les fans viennent de tout le Japon, un disquaire qui appartient à B.D. KILLA TURNER, artiste connu de street music, et la boulangerie artisanale Kanel Bread. À l’époque, de nouvelles enseignes continuaient à s’ouvrir et Ayano a pensé que ça pourrait être intéressant de s’installer ans le coin.
D’octobre 2014 à septembre 2017, Ayano a œuvré à la promotion du tourisme dans le cadre du Programme de Revitalisation régionale. Pendant cette période, elle a fait venir une vlogueuse américaine à Nasushiobara et a contribué à faire de la publicité pour la ville sur le réseau social LINE, que beaucoup de Japonais utilisent. Elle a aussi fait partie de l’équipe qui a établi l’Office de tourisme de Nasushiobara. Elle s’est mariée il y a trois ans et son époux continue à travailler dans l’informatique à Tokyo bien qu’il ait transféré son adresse officielle à Kuroiso. Il partage donc sa vie entre Tokyo et Kuroiso,
Pendant ses études, Ayano a pris une année sabbatique et s’est lancée pour un tour du monde. « Lors de mon séjour en Israël, je me suis rendue compte à quel point les auberges de jeunesse aidaient les voyageurs à se sentir en sécurité et à rencontrer les gens du pays, et les résidents de la région pouvaient aussi promouvoir leurs activités par ce biais. Je me suis dit que j’aimerais bien créer ce genre d’endroit. »
L’idée d’une auberge de jeunesse était un projet personnel. Elle y a travaillé en dehors de ses heures de bureau. Elle en parlait toutefois souvent à ses collègues et à son entourage, qui se sont ainsi mis à l’informer quand il y avait des locaux à louer et des clients potentiels à présenter. Dans le cadre de son activité officielle, elle interagissait avec des gens qu’elle n’aurait pas pensé rencontrer, tels des agriculteurs ou des producteurs laitiers, et elle s’est rendue compte qu’elle avait développé énormément de contacts.
Le rez-de-chaussée de son auberge est un espace où sont exposées des œuvres du festival Art 369. Au premier étage se trouve une grande pièce en tatami et une cuisine communale où les clients peuvent apprendre à se connaître. Deux autres chambres en tatami spacieuses sont situées au deuxième étage. Ayano rénove l’intérieur elle-même petit à petit pour donner aux ranma (imposte décorée), portes coulissantes shôji , tatami et futon un aspect plus contemporain. Le lieu est particulièrement apprécié par les équipes de tournage et les séminaires universitaires.
En plus de son auberge de jeunesse, Ayano fait aussi un peu de consulting et travaille comme tutrice à domicile. « Bien que l’auberge reste ma source principale de revenus, j’aime bien faire autre chose aussi. En fait je construis ma vie à mon goût, et je la partage avec les autres. »
Une révolution tranquille dans les campagnes
Shiikawa Shinobu pense que même si les participants ne font pas le choix de s’installer définitivement dans une région donnée, cette expérience crée un lien avec elle et leur donne envie de la soutenir.
Partout au Japon, il ne reste plus assez de monde dans les régions. « Les gens de la ville pensent qu’ils ne peuvent pas vivre ailleurs, et ils se trompent quand ils pensent qu’on peut tout acheter avec de l’argent . » Pendant ses années au ministère, Shiikawa a vécu dans les préfectures de Shimane et Miyazaki. « Les gens de la ville ne s’en rendent pas compte, mais tous les problèmes d’alimentation, d’eau, et même de personnel, sont liés aux régions. Il sonne l’alarme quand il dit « si on ne protège pas les régions, c’est tout le Japon qui en souffrira à la longue ».
« Si les familles rurales s’installent en ville en emmenant les grands-parents aussi, il ne reste plus de famille en province. Mais en même temps, c’est assez inquiétant de partir tout seul. Ce programme propose à ceux qui hésiteraient à se lancer de les épauler pendant trois ans, avec des revenus garantis, et un vrai soutien au niveau du travail et du logement. »
De plus en plus de personnes sont à la recherche d’un mode de vie différent et souhaiteraient effectuer un travail dont ils pourront être fiers. Ils s’interrogent donc sur un déménagement hors des grandes villes. Pour Shiikawa, quand les jeunes urbains s’intègrent dans les régions, ils provoquent un profond changement d’optique chez les locaux qui s’intéressent aux nouveaux-venus plus jeunes. Ces personnes dynamiques mettent en valeur les ressources de ces régions et provoquent une sorte de « révolution tranquille ».
(Photo de titre : Hashimoto Rei, à gauche, et Toyoda Ayano © Sawano Shin’ichirô)