Sugihara Chiune : un agent de renseignements japonais au secours des Juifs d’Europe

Histoire

Saitô Katsuhisa [Profil]

Le diplomate Sugihara Chiune est connu pour avoir émis des milliers de visas pour des réfugiés juifs, auxquels il a permis d’échapper aux horreurs des nazis en Europe. Il apparaît désormais qu’il s’est acquitté de cette tâche tout en continuant de faire scrupuleusement son métier d’agent de renseignements pour l’empire du Japon, en rédigeant des rapports sur les événements en Europe de l’Est et en informant Tokyo au jour le jour sur l’évolution de la situation dans la région.

Garder un œil sur la menace soviétique

En ce qui concerne les visas que Sugihara procurait aux réfugiés en opposition aux consignes de son propre pays, l’explication la plus courante consiste à dire qu’il voulait aider les Juifs victimes du régime nazi en Allemagne. Mais Shiraishi observe que nombre de Juifs parmi ceux qu’il a aidés faisaient partie de la population des territoires passés sous contrôle soviétique qui souffraient de l’antisémitisme depuis l’époque des tsars. Et de fait, les avancées récentes de la recherche historique effectuée en Lituanie montrent clairement que la majorité des Juifs qui avaient fui la Pologne pour se réfugier en Lituanie après la partition de leur pays entre les Allemands et les Soviétiques provenaient des territoires sous contrôle soviétique.

Formellement, l’annexion de la Lituanie par les Soviétiques est intervenue le 3 août 1940, alors que Sugihara était encore pleinement impliqué dans ses activités d’émission de visas de transit. « À l’époque, les atrocités commises par Hitler n’étaient pas la seule préoccupation de Sugihara », observe Shiraishi. « Il était aussi très attentif à la menace que représentaient les forces de Staline. C’est, me semble-t-il, après avoir été témoin de la cruauté des Soviétiques, évidente dans l’annexion des pays baltes, qu’il a pris la décision de procurer des visas aux réfugiés juifs même s’ils ne remplissaient pas les conditions requises par les autorités japonaises – possession de fonds suffisants pour le voyage, obtention préalable d’une autorisation d’émigration fournie par un pays d’accueil... »

Dresser un portrait exhaustif du héros

Il est difficile d’appréhender la vraie nature de Sugihara Chiune. Il est resté fidèle à la loi d’airain du travail de renseignements – un agent ne parle jamais de ses activités – et n’a laissé aucun journal ou autre écrit exposant en détail ses pensées ou ses actions.

Shiraishi Masaaki souligne que le dernier document mis en lumière, qui témoigne du dévouement avec lequel il se consacrait aux tâches de renseignements, ne porte nullement atteinte à la renommée que lui valent ses actions en d’autres domaines. « Le Sugihara que nous voyons dans ce télégramme n’est pas la négation du Sugihara que nous connaissions auparavant. Lorsque nous voyons en lui, non seulement un humaniste d’une trempe exceptionnelle, mais encore un talentueux agent de renseignements, l’image que nous nous forgeons de lui se clarifie et devient tout simplement celle d’un homme vivant dans une époque tumultueuse. »

En vérité, les faits et gestes de Sugihara prennent un sens plus profond lorsqu’on les examine dans le contexte du paysage historique au sein duquel ils se sont produits.

(Note : les déclarations de Shiraishi Masaaki relèvent de son opinion personnelle et ne représentent pas la position officielle du ministère japonais des Affaires étrangères. Photo de titre : photo signée de Sugihara Chiune à l’âge de 36 ans, prise en 1936 et jointe à sa demande de passeport diplomatique ; à droite, liste de 2 139 récipiendaires de visas de transit émis par Sugihara au consulat de Kaunas, en Lituanie. Photos avec l’aimable autorisation du ministère des Affaires étrangères)

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Saitô KatsuhisaArticles de l'auteur

Journaliste. Né à Tokyo en 1951. Diplômé du département politique et économie de l’université de Waseda. Il intègre le quotidien Yomiuri Shimbun où il s’occupe de la rubrique justice d’une part, et, de 1986 à 1989, devient envoyé spécial auprès de l’Agence de la maison impériale. Free-lance depuis 2016.

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