Vers une nouvelle ère impériale, vers un nouveau Japon
En toute franchise : une plongée intimiste dans le cœur du prince héritier Fumihito, le frère de l’empereur
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Dans le nouveau livre Akishino-no-miya d’Emori Keiji, le prince héritier Fumihito se confie. Le titre de l’ouvrage, basé sur le nom officiel du prince (Fumihito d’Akishino), revient sur 37 entretiens entre le frère de l’empereur actuel et le journaliste entre 2017 et janvier 2022. Emori Keiji écrivait auparavant pour le journal Mainichi Shimbun. Il a commencé à couvrir les sujets relatifs à la famille impériale il y a plus de 30 ans grâce à un lien avec feu Kawashima Tatsuhiko, professeur émérite à l’Université Gakushûin et père de la princesse Kiko, épouse du prince Fumihito. Ce livre apporte un point de vue sur ce membre d’ordinaire plutôt direct de la famille impériale japonaise.
Être un père avant d’être un prince
Le prince Fumihito a à plusieurs reprises tenu des propos francs et sincères qui sont loin d’avoir fait l’unanimité au sein de la population nippone. Ces dernières années ont été marquées par les événements liés au mariage de sa fille, la princesse Mako avec un ancien camarade de classe, Komuro Kei.
Tout a commencé en mai 2017 lorsque le jeune couple a annoncé ses fiançailles. Le prince héritier y a alors apporté son soutien du fond du cœur. (Voir notre article : Les noces de Mako : ce que révèle ce mariage « sans précédent » pour une princesse impériale)
Cette union signifiait cependant le départ de la princesse Mako de la famille impériale (selon la Loi de la maison impériale, en se mariant avec un roturier, une princesse doit renoncer à son statut impérial). S’est alors posée la question suivante : comment le couple parviendra-t-il à subvenir à ses besoins ? Dans un entretien de juin 2017, le prince Fumihito s’est dit optimiste quant à leur avenir. Il a laissé entendre que le mari de sa fille pourrait continuer d’exercer en tant qu’assistant juridique dans un cabinet d’avocats et que sa fille pourrait aussi chercher un travail. Il a également suggéré qu’ils préfèrent un loyer plus modéré, dans une préfecture voisine, bien moins onéreux qu’à Tokyo. « C’est à eux de construire leur vie avec leurs propres moyens. » a-t-il déclaré sans ambages.
Ces propos font clairement comprendre que pour le prince héritier, le mariage est laissé à la seule discrétion du couple. Cependant, peu après l’annonce des fiançailles, la presse a révélé des problèmes financiers impliquant la mère du futur marié. En conséquence, le mariage a été reporté de deux ans jusqu’à ce que ce problème soit résolu. Inquiété, le prince Fumihito a rencontré Komuro et sa mère à plusieurs reprises, les invitant vivement à clarifier l’affaire auprès de la population. L’affaire toujours en suspens, en avril 2018, Komuro est parti pour étudier aux États-Unis.
Le prince Fumihito s’est retrouvé pris au dépourvu par la tournure des événements, s’interrogeant sur les projets de sa fille et de son fiancé. L’attention insistante portée par les médias au couple au cours des deux années suivantes, jusqu’à leur mariage en octobre 2021, le préoccupait, tout comme la question de l’abdication de son père l’empereur Akihito. (Voir notre article : Chronologie des principaux événements qui ont mené à l’abdication de l’empereur)
Vive réaction au sein des partis conservateurs
En août 2016, un message vidéo de l’empereur où il fait part de son souhait d’abdiquer provoque une onde de choc au Japon. La Loi de la maison impériale ne prévoit pas d’abdication : il doit régner jusqu’à sa mort. L’empereur Akihito s’est dit contre l’idée d’un empereur âgé, « symbole de l’État », dont la condition physique ne lui permettrait plus d’exercer ses fonctions. Deux ans après la diffusion de la vidéo, Fumihito a fait part de son soutien au monarque.
Le prince héritier a confié avoir eu connaissance des intentions de l’empereur « bien avant » la diffusion du message vidéo ; son père lui avait en effet « fait part de son inquiétude de ne plus pouvoir, en tant que symbole de l’État, remplir ses fonctions ». Se plaçant d’un point de vue humain, le prince héritier a déclaré qu’il est « tout à fait naturel qu’une personne atteignant un certain âge soit autorisée à prendre sa retraite et à passer les années qui lui restent comme elle le souhaite. Cela est valable pour n’importe quelle personne et l’empereur n’est pas une exception ».
Fumihito était convaincu que l’opinion publique serait favorable à l’instauration d’un âge pour se retirer du trône du Chrysanthème. Cependant, la sphère conservatrice, elle, voyait les choses différemment. Quand la question de l’abdication a été abordée lors des auditions du conseil consultatif du gouvernement, des journalistes et des universitaires conservateurs n’ont pas caché leur mécontentement, ne laissant que peu de place à la réflexion.
Pour eux, comme le veut la tradition, l’empereur doit rester sur le trône toute sa vie. Et si l’âge rendait difficile l’accomplissement de ses devoirs en homme d’État, le monarque pouvait simplement se décharger de certaines responsabilités et se concentrer sur ses prières pour la paix et le bien-être des citoyens, en restant au palais.
Cette position a suscité des interrogations chez le prince Fumihito : « Que proposent-ils dans le cas où l’empereur serait frappé d’incapacité totale et ne pourrait même plus partager ses messages avec son peuple ? » Tout en reconnaissant l’importance des prières pour la paix et la sécurité, l’empereur se doit d’apparaître en public, affirmant qu'« il n’en est pas moins essentiel qu’il rencontre la population et qu’il soit à son écoute, afin d’être proche d’elle dans ses pensées ».
Pour l’auteur du livre, un empereur qui « ne fait que prier » n’aurait pas de présence en tant que personnalité publique. Fumihito et lui sont d’avis que le règne de l’empereur émérite Akihito, aujourd’hui âgé de 88 ans, a été celui d’un homme actif, qui s’est toujours tenu aux côtés du peuple.
Une vie étouffante
Le livre Akishino-no-miya met en lumière la position de Fumihito sur les restrictions des libertés de la vie impériale. À ce titre, ce dernier n’a jamais caché son aversion pour le carcan qui est le sien depuis son plus jeune âge. S’il accepte le fait que son statut en tant que membre de la famille impériale lui permette d’assurer ses besoins matériels, et ce avec l’argent du contribuable nippon, il fait tout de même remarquer que cette situation le prive de libertés que d’aucuns considèrent comme normales. « Je suis entouré d’assistants quoi que je fasse. Si vous demandiez leur avis à une dizaine de personnes, je suis certain que toutes trouveraient ma vie étouffante. » Et le prince héritier de poursuivre, « des quelques libertés qu’il me reste, la liberté de pensée est, pour moi, la plus chère ».
L’auteur du livre évoque ensuite la particularité de la situation du prince héritier. À l’instar d’autres membres héréditaires de la famille impériale, tous les aspects de sa vie, depuis sa naissance, sont pour ainsi dire déterminés par son statut impérial. Il fait par ailleurs remarquer que pour les spécialistes du droit constitutionnel japonais, cette situation est le prix à payer de la royauté, une sorte de compromis, de « compensation » pour les limites imposées aux libertés personnelles du prince héritier et des autres membres de la famille impériale. Toutefois, Fumihito s’interroge sur cette situation d’un point de vue humain. Pour lui, la dignité de l’homme exige que les membres de la maison impériale soient autorisés à exercer leur libre arbitre tout comme n’importe quel autre personne, notamment en ce qui concerne des sujets importants, tels que celui de l’abdication.
Une cérémonie impériale avec l’argent du contribuable
Peu avant l’intronisation de l’empereur Naruhito, en 2019, Fumihito a fait les gros titres des journaux en remettant pour la première fois en question le financement public, avec l’argent du contribuable, du Daijô-sai, ou cérémonie des récoltes, un événement central du processus d’intronisation, compte tenu de sa forte nature religieuse. Le livre Akishino-no-miya apporte des éléments de réponse à cette question délicate. S’adressant aux journalistes à l’automne 2018 peu avant son 53e anniversaire, Fumihito a révélé qu’il avait émis des réserves auprès du Grand intendant de l’Agence de la maison impériale, sur l’utilisation des fonds publics à cet effet. Toutefois, celui-ci aurait fait « la sourde oreille » à ses suggestions.
Fumihito explique qu’il a proposé de réduire l’ampleur de la cérémonie pour en faire un « événement en comité restreint, privé », plus en accord avec les ressources de la famille impériale. Il insiste par ailleurs sur le fait que ses propos n’étaient pas dirigés contre la décision du gouvernement de financer l’événement. Pour lui, ce serait plutôt la faute de l’Agence de la maison impériale. « La cérémonie du Daijô-sai n’est pas une cérémonie publique. Elle concerne la famille impériale. » « Mais l’Agence de la maison impériale n’a pas daigné une seule seconde prendre cet élément en compte. C’est pourquoi, j’ai utilisé l’expression “faire la sourde oreille”. Elle a refusé l’idée même d’y accorder une quelconque réflexion. »
L’auteur du livre laisse entendre que les divergences d’opinions de Fumihito avec l’Agence de la maison impériale proviennent de l’adhésion sans concession de cette dernière à la situation telle qu’elle a toujours été et de son refus catégorique de débattre avec la famille impériale de la gestion de ses affaires.
Une couverture médiatique « scandaleuse »
Les médias se sont faits de plus en plus présents, relayant par exemple abondamment les divers développement des fiançailles de la princesse Mako. Dans le livre, Fumihito s’en prend à la presse, lui reprochant ses larges latitudes avec les faits réels. « Des conversations sont imprimées et d’autres informations sont présentées comme si le journaliste en avait glané tous les détails de première main. Mais ce qui apparaît dans la presse est souvent très éloigné de la réalité. »
Cependant, résigné, le prince héritier n’a d’autre choix que de tempérer ce sentiment d’indignation. « Mon approche est d’ignorer toutes les calomnies même les plus flagrantes. Pointer du doigt une erreur dans un paragraphe ne fait que donner du crédit au reste de ce qui est écrit. Et les réseaux ne font qu’exacerber ce problème. Il est vrai que j’ai vu des choses atroces d’écrites, mais qu’y puis-je ? »
Une réincarnation en mouton
Dans son livre Akishino-no-miya, Emori Keiji aborde également l’esprit ludique du prince Fumihito. « Si je devais me réincarner, je pense que je voudrais renaître sous la forme d’un mouton pour pouvoir passer mes journées à mâcher de l’herbe… oui, je pense que ça serait amusant. » L’affinité du prince pour cet animal date de l’époque où il était dans ses premières années d’école primaire. Il avait alors un mouton dans l’enceinte du palais d’Akasaka, où il habitait.
Dans la préface du livre, l’auteur écrit que bien que le prince soit souvent incompris, l’ouvrage, lui, a justement pour objectif de clarifier les controverses et de présenter le prince Fumihito en tant membre clef de la famille impériale, qui avec son épouse la princesse héritière Kiko et le couple impérial Naruhito et Masako, s’efforcent de donner un nouveau visage à la maison impériale pour l’ère Reiwa, qui a commencé en 2019. Comme beaucoup de choses associées au prince Fumihito, cependant, l’ouvrage a fait l’objet de nombreuses controverses depuis sa publication à la mi-mai on peut ainsi par exemple lire dans certains articles que l’empereur Naruhito n’aurait pas été informé avant la publication de l’ouvrage. Une telle critique non justifiée en ligne lui a fait mauvaise presse, ce qui est doublement regrettable car elle se sert du livre pour répandre une mauvaise image de la famille impériale.
(Photo de titre : le prince héritier Fumihito s’exprime lors d’une cérémonie de remise de prix de l’Association de la sylviculture du Japon, le 8 mars 2022. Jiji)