Comment la famille impériale japonaise est amputée d’une partie de ses membres après la guerre

Histoire

Saitô Katsuhisa [Profil]

Peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, sous l’occupation américaine, la famille impériale japonaise a été amputée de 11 branches collatérales constituées de 51 membres. Pour nombre des personnes exclues, ce nouveau statut de citoyen ordinaire a été une rude épreuve. Récemment, on a parlé de réintégrer les branches supprimées en vue de regarnir les rangs de la famille impériale.

Vendre pour survivre

De grands changements attendaient pourtant les anciens membres de la famille impériale. Fushimi Hiroaki, qui avait 15 ans en 1947, quand il a été privé de son statut impérial, et en a aujourd’hui 90, rapporte ce souvenir dans un livre qu’il a écrit :

« Nous avons dû payer un impôt faramineux, d’un montant sans précédent, et la compensation exceptionnelle que nous avons reçue avait été décidée unilatéralement et n’a pas tardé à fondre. Tant et si bien que les anciens membres de la famille impériale ont dû vendre leurs biens pour survivre. Les terres de ma branche sont devenues l’hôtel New Otani, et celles de la branche Takeda-no-miya le Grand Prince Hotel Takanawa. Mais certaines branches avaient vécu sur des terres appartenant au ministère de la Maison impériale. La branche Kaya, par exemple, a vraiment dû se battre pour s’en sortir. »

Fushimi a aussi remarqué qu’un certain nombre des nouveaux citoyens ordinaires avaient perdu leurs avoirs du fait de leur inexpérience du monde des affaires, ou parce qu’ils avaient été escroqués par des malfaiteurs.

L’hôtel New Otani, construit sur un terrain appartenant jusque-là à la branche Fushimi. (Pixta)
L’hôtel New Otani, construit sur un terrain appartenant jusque-là à la branche Fushimi. (Pixta)

La branche Higashikuni a elle aussi traversé une période houleuse après la guerre. Juste après que le prince Naruhiko, l’ancien Premier ministre, est devenu un citoyen ordinaire sous le nom de Higashikuni Naruhiko, il a été banni de la fonction publique, de concert avec 10 autres anciens membres de la famille impériale qui avaient servi dans l’armée. Il a tenté sa chance dans la vente d’aliments et d’antiquités, et pendant un temps tenu un café au marché noir à Shinjuku, mais toutes ces tentatives ont échoué. Il a même fondé sa propre religion, appelée Higashikuni-kyô.

En 1946, alors qu’il avait 30 ans, le fils aîné, Morihiro, a échoué à l’examen d’entrée à l’Université de Tokyo. Cet échec était un signe des changements en cours. Comme son père, Il a été victime des purges après avoir été exclu de la famille impériale en raison de ses liens avec l’armée. Devenu citoyen ordinaire, il a suivi des cours à l’université et pris un emploi dans une entreprise.

Morihiro avait épousé la princesse Shigeko, fille aînée de l’empereur Hirohito, en 1943. Le bruit court que, pour renflouer les finances de la famille, il arrivait à la princesse de travailler aux pièces et de faire la queue lors des soldes devant les boutiques locales. Sa déclaration, rapportée par une revue, selon laquelle ces temps difficiles lui avaient permis de connaître pour la première fois le bonheur a elle aussi suscité beaucoup de commentaires. Toujours est-il, que cela ait ou non un lien avec les changements survenus dans son mode de vie, qu’elle est décédée d’un cancer à l’âge précoce de 35 ans, laissant derrière elle cinq enfants. Ses parents, le couple impérial, ont éprouvé tant de peine qu’ils ont rompu avec la tradition en assistant aux funérailles d’un « citoyen ordinaire ».

Restaurer le statut impérial ?

Même après leur sortie de la famille impériale, les membres des anciennes branches collatérales sont restés en contact. Un groupe appelé Kikuei Shinbokukai, fondé pour promouvoir l’amitié, se réunit épisodiquement. C’est ainsi, par exemple, qu’une assemblée de ses membres s’est tenue en 2014 pour célébrer le 80e anniversaire de l’empereur Akihito.

Les anciens membres de la famille impériale se retrouvent également lors d’événements tels que l’anniversaire de l’empereur ou les cérémonies du Nouvel An, et ils ont assisté aux funérailles de l’empereur Hirohito. En ces occasions, ils sont positionnés derrière la famille impériale, mais devant les représentants de la population, Premier ministre y compris.

On parle maintenant de réhabiliter les branches déchues pour faire en sorte que la famille impériale ait suffisamment de membres pour assurer la succession et s’acquitter de ses fonctions officielles. Qu’en pensent les membres de ces branches ? Lors d’une réunion budgétaire qui s’est tenue en mars 2021, le Secrétaire général du cabinet Katô Katsunobu a dit qu’il ne leur avait pas posé la question et qu’il n’entrait pas dans ses projets de le faire. Dans ces circonstances, on ne sait pas vraiment quel accueil ils feraient au renouvellement de leur statut impérial.

Dans un livre récent, Fushimi Hiroaki, aborde ce sujet sans retenue. « Si sa majesté impériale me donnait l’ordre de réintégrer la famille, ou si l’État me le demandait, je pense que je devrais le faire. » Mais il a également dit qu’il ne serait pas possible de devenir soudain un prince impérial.

75 années se sont écoulées depuis que les branches collatérales ont perdu le statut impérial. Certains de leurs membres sont indéniablement âgés, mais les descendants de ceux que visait l’initiative initiale de 1947 sont nés citoyens ordinaires et ont grandi comme tels. Ce serait beaucoup leur demander que d’attendre d’eux qu’ils s’intègrent de but en blanc dans la famille impériale. Tel est, semble-t-il le sens du message de Fushimi Hiroaki.

Il n’en reste pas moins que la famille impériale peut se trouver confrontée à une situation où les pressions liées à son rétrécissement ne lui laissent que deux options : soit réhabiliter les branches déchues, de façon à continuer de cantonner la succession aux descendants masculins de la lignée impériale masculine, soit autoriser les princesses ayant des liens étroits de parenté avec l’empereur à monter sur le trône.

(Photo de titre : le prince Naruhiko, au premier plan, avec son nouveau gouvernement, sur une photo commémorative datant du 17 août 1945. Kyôdô)

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Saitô KatsuhisaArticles de l'auteur

Journaliste. Né à Tokyo en 1951. Diplômé du département politique et économie de l’université de Waseda. Il intègre le quotidien Yomiuri Shimbun où il s’occupe de la rubrique justice d’une part, et, de 1986 à 1989, devient envoyé spécial auprès de l’Agence de la maison impériale. Free-lance depuis 2016.

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