Comment la famille impériale japonaise est amputée d’une partie de ses membres après la guerre
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Un prince impérial devient Premier ministre pour 54 jours
Le 15 août 1945, l’empereur Hirohito a annoncé la reddition du Japon aux forces alliées, et le gouvernement du Premier ministre Suzuki Kantarô a démissionné, mais la fin de la Seconde Guerre mondiale n’était pas entérinée pour autant. Le mécontentement continuait de gronder au sein des forces armées, et l’empereur souhaitait désigner, pour lui succéder à la tête de l’État, quelqu’un qui serait en mesure de mettre un point final à la guerre.
La personne de son choix, le prince Naruhiko, issu de l’une des branches collatérales de la famille, s’était montré hostile à la guerre, en précisant toutefois qu’il s’était également opposé à l’engagement de la famille impériale dans la vie politique et avait tout d’abord refusé le poste de Premier ministre. C’est, semble-t-il, l’air épuisé de l’empereur Hirohito qui a convaincu Naruhiko d’accepter le poste.
Il a écrit dans son journal intime : « J’ai réalisé qu’il m’incombait au premier chef, en tant que citoyen japonais et membre de la famille impériale ayant toujours bénéficié d’un traitement favorable, de faire tout mon possible pour surmonter cette crise sans précédent. »
L’empereur Hirohito décida de faire appel aux membres de la famille impériale pour diffuser le message que la guerre était finie. Les princes qui accomplissaient leur service militaire furent chargés de faire passer le mot au sein des forces armées japonaises à l’étranger.
Une fois Premier ministre, le prince Naruhiko a appelé tous les citoyens japonais à la repentance. Toutefois, quand le quartier général du commandant en chef des puissances alliées a ordonné la destitution du ministre de l’intérieur et de hauts gradés de la police, il a donné sa démission pour protester contre ce qu’il considérait comme une ingérence dans les affaires intérieures. Il n’est resté en fonction que 54 jours.
Le recours aux purges et à l’imposition
Au mois de décembre de la même année, le QG a ordonné l’arrestation de personnes soupçonnées de crimes de guerre, dont le prince Morimasa, qui avait été maréchal dans l’armée. Morimasa fut incarcéré à la prison de Sugamo pour crimes de guerre de classe A. Certains ont jugé que cela constituait une menace à l’encontre de la famille impériale, bien qu’il ait été libéré au bout de quatre mois sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui.
En janvier 1946, le QG a déclenché une purge de la fonction publique qui ciblait, entre autres, les militaristes et les partisans de la guerre. Les informations selon lesquelles trois frères de l’empereur Hirohito et le prince Naruhiko figuraient parmi les 15 membres de la famille impériale affectés par cette purge ont choqué la nation. Ils figuraient sur la liste pour la simple raison qu’ils avaient servi dans l’armée, mais en fin de compte, la purge les a épargnés.
Les finances de la famille impériale se sont elles aussi trouvées sous les feux de la rampe. Le QG a ordonné l’ouverture d’une enquête sur le montant total des avoirs détenus par chacun des membres, afin qu’ils soient soumis au taux d’imposition le plus élevé, qui avait été porté à 90 %. Selon les calculs, le montant total des avoirs de l’empereur Hirohito atteignait 3,7 milliards de yens (un chiffre qu’il faut multiplier par un coefficient supérieur à 100 pour obtenir son équivalent en valeur actuelle), et 90 % de ce montant ont été versés dans les caisses de l’État au titre de l’impôt sur le capital. La branche Fushimi-no-miya possédait quant à elle des avoirs pour un montant de 7,9 millions de yens, qui ont été imposés au taux de 85 % après déduction des dettes.
La nouvelle Constitution a été promulguée en novembre 1946, et l’empereur Hirohito a réuni les membres de la famille impériale appartenant aux branches collatérales (liées à lui par des liens éloignés) pour leur annoncer qu’il allait être contraint de les priver de leur statut impérial. L’article 88 de la Constitution disait que « Tous les biens de la famille impériale appartiendront à l’État », si bien que la famille impériale ne disposait plus des ressources financières nécessaires à l’entretien de 11 branches collatérales. (Voir notre article : La Constitution japonaise et ses particularités)
51 membres exclus de la famille impériale
La décision formelle d’exclure de la famille impériale 51 de ses membres appartenant à 11 branches collatérales, dont 26 hommes susceptibles d’accéder au trône, a été prise lors d’une réunion qui s’est tenue en octobre 1947. Le Premier ministre Katayama Tetsu a déclaré qu’il n’y avait alors aucune raison de s’inquiéter pour la succession. Après la réduction, les deux fils de l’empereur Hirohito, dont le futur empereur Akihito, ses trois frères cadets et un neveu resteraient en lice.
Parmi les 51 personnes exclues de la famille, 40 ont reçu une compensation exceptionnelle, à laquelle ceux qui avaient un dossier militaire n’ont pas eu droit. Le coût total de ces versements s’est élevé à 47,5 millions de yens.
Lors d’un repas pris quelques jours plus tard en compagnie des personnes qui quittaient la famille, l’empereur Hirohito a exprimé le souhait que les liens entre tous restent chaleureux, puisque rien n’avait changé dans leurs relations.
Vendre pour survivre
De grands changements attendaient pourtant les anciens membres de la famille impériale. Fushimi Hiroaki, qui avait 15 ans en 1947, quand il a été privé de son statut impérial, et en a aujourd’hui 90, rapporte ce souvenir dans un livre qu’il a écrit :
« Nous avons dû payer un impôt faramineux, d’un montant sans précédent, et la compensation exceptionnelle que nous avons reçue avait été décidée unilatéralement et n’a pas tardé à fondre. Tant et si bien que les anciens membres de la famille impériale ont dû vendre leurs biens pour survivre. Les terres de ma branche sont devenues l’hôtel New Otani, et celles de la branche Takeda-no-miya le Grand Prince Hotel Takanawa. Mais certaines branches avaient vécu sur des terres appartenant au ministère de la Maison impériale. La branche Kaya, par exemple, a vraiment dû se battre pour s’en sortir. »
Fushimi a aussi remarqué qu’un certain nombre des nouveaux citoyens ordinaires avaient perdu leurs avoirs du fait de leur inexpérience du monde des affaires, ou parce qu’ils avaient été escroqués par des malfaiteurs.
La branche Higashikuni a elle aussi traversé une période houleuse après la guerre. Juste après que le prince Naruhiko, l’ancien Premier ministre, est devenu un citoyen ordinaire sous le nom de Higashikuni Naruhiko, il a été banni de la fonction publique, de concert avec 10 autres anciens membres de la famille impériale qui avaient servi dans l’armée. Il a tenté sa chance dans la vente d’aliments et d’antiquités, et pendant un temps tenu un café au marché noir à Shinjuku, mais toutes ces tentatives ont échoué. Il a même fondé sa propre religion, appelée Higashikuni-kyô.
En 1946, alors qu’il avait 30 ans, le fils aîné, Morihiro, a échoué à l’examen d’entrée à l’Université de Tokyo. Cet échec était un signe des changements en cours. Comme son père, Il a été victime des purges après avoir été exclu de la famille impériale en raison de ses liens avec l’armée. Devenu citoyen ordinaire, il a suivi des cours à l’université et pris un emploi dans une entreprise.
Morihiro avait épousé la princesse Shigeko, fille aînée de l’empereur Hirohito, en 1943. Le bruit court que, pour renflouer les finances de la famille, il arrivait à la princesse de travailler aux pièces et de faire la queue lors des soldes devant les boutiques locales. Sa déclaration, rapportée par une revue, selon laquelle ces temps difficiles lui avaient permis de connaître pour la première fois le bonheur a elle aussi suscité beaucoup de commentaires. Toujours est-il, que cela ait ou non un lien avec les changements survenus dans son mode de vie, qu’elle est décédée d’un cancer à l’âge précoce de 35 ans, laissant derrière elle cinq enfants. Ses parents, le couple impérial, ont éprouvé tant de peine qu’ils ont rompu avec la tradition en assistant aux funérailles d’un « citoyen ordinaire ».
Restaurer le statut impérial ?
Même après leur sortie de la famille impériale, les membres des anciennes branches collatérales sont restés en contact. Un groupe appelé Kikuei Shinbokukai, fondé pour promouvoir l’amitié, se réunit épisodiquement. C’est ainsi, par exemple, qu’une assemblée de ses membres s’est tenue en 2014 pour célébrer le 80e anniversaire de l’empereur Akihito.
Les anciens membres de la famille impériale se retrouvent également lors d’événements tels que l’anniversaire de l’empereur ou les cérémonies du Nouvel An, et ils ont assisté aux funérailles de l’empereur Hirohito. En ces occasions, ils sont positionnés derrière la famille impériale, mais devant les représentants de la population, Premier ministre y compris.
On parle maintenant de réhabiliter les branches déchues pour faire en sorte que la famille impériale ait suffisamment de membres pour assurer la succession et s’acquitter de ses fonctions officielles. Qu’en pensent les membres de ces branches ? Lors d’une réunion budgétaire qui s’est tenue en mars 2021, le Secrétaire général du cabinet Katô Katsunobu a dit qu’il ne leur avait pas posé la question et qu’il n’entrait pas dans ses projets de le faire. Dans ces circonstances, on ne sait pas vraiment quel accueil ils feraient au renouvellement de leur statut impérial.
Dans un livre récent, Fushimi Hiroaki, aborde ce sujet sans retenue. « Si sa majesté impériale me donnait l’ordre de réintégrer la famille, ou si l’État me le demandait, je pense que je devrais le faire. » Mais il a également dit qu’il ne serait pas possible de devenir soudain un prince impérial.
75 années se sont écoulées depuis que les branches collatérales ont perdu le statut impérial. Certains de leurs membres sont indéniablement âgés, mais les descendants de ceux que visait l’initiative initiale de 1947 sont nés citoyens ordinaires et ont grandi comme tels. Ce serait beaucoup leur demander que d’attendre d’eux qu’ils s’intègrent de but en blanc dans la famille impériale. Tel est, semble-t-il le sens du message de Fushimi Hiroaki.
Il n’en reste pas moins que la famille impériale peut se trouver confrontée à une situation où les pressions liées à son rétrécissement ne lui laissent que deux options : soit réhabiliter les branches déchues, de façon à continuer de cantonner la succession aux descendants masculins de la lignée impériale masculine, soit autoriser les princesses ayant des liens étroits de parenté avec l’empereur à monter sur le trône.
(Photo de titre : le prince Naruhiko, au premier plan, avec son nouveau gouvernement, sur une photo commémorative datant du 17 août 1945. Kyôdô)