
Crise de la communication au Japon : disons stop à un langage vide de sens et rempli de superficialité
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Un langage devenu superficiel : une tendance inquiétante
Quand je constate les histoires de scandales et de harcèlement qui font l’actualité ces dernières années, je sens souvent un courant inquiétant les parcourir. J’imagine que beaucoup d’autres observateurs ont le même sentiment.
De même, en regardant les conférences de presse et autres relatives à ces affaires dramatiques, je perçois une diminution qualitative du langage utilisé. Nous nous dirigeons vers l’emploi de mots qui ne permettent pas de communiquer efficacement. Superficiellement, les réponses correspondent aux questions, et les orateurs ont tendance à s’excuser à plusieurs reprises. Cependant, le langage employé ne transmet pas le sens qu’il devrait avoir en soi.
La langue est le véhicule utilisé pour exprimer les différentes règles et accords établis pour gérer la société humaine. Ceux-ci vont du plus solennel au plus intime – des lois et traités des États aux promesses envers les individus – mais tous sont fondés sur le maintien de l’ordre basé sur une compréhension partagée de la signification exprimée par le langage utilisé. Aujourd’hui, cependant, je crains que cette prémisse fondamentale ne soit menacée.
Quatre conditions pour un véritable dialogue entre deux individus
Les Grecs de l’Antiquité identifiaient les êtres humains comme les seuls animaux à posséder ce qu’ils appelaient le logos. Ce terme dérive du verbe legein, qui signifiait à l’origine « cueillir » ou « rassembler », et implique ainsi de mettre de l’ordre dans les choses éparses. Aujourd’hui, le logos est couramment traduit par « mot », mais il comporte également un large éventail de nuances : raison, cause, explication, loi, ordre, sens, motif et rationalité. Un échange de logos entre deux personnes est un dialogos, ou dialogue.
Deux personnes peuvent avoir une conversation sans qu’il s’agisse d’un véritable dialogue, qui nécessite quatre conditions à remplir pour être établi : il est nécessaire que les deux parties (1) reconnaissent la personne à qui elles parlent comme « autre », (2) veuillent en savoir plus sur lui ou sur elle, (3) recherchent un changement mutuel par le dialogue, et (4) puissent garder les considérations de rang hors de la discussion.
La première de ces conditions, à savoir reconnaître son homologue comme étant autre que soi-même, est la plus délicate. J’ai écrit « autre » plutôt que « une autre personne » parce que je voulais souligner à quel point l’autre participant est une entité inconnue. Nous avons tendance à traiter les autres comme des extensions de nous-mêmes, et nous pensons souvent que ce qui est évident pour nous doit aussi l’être pour ceux à qui nous parlons. En conséquence, nous sous-estimons la possibilité de malentendus dans la conversation. Cependant, chaque individu utilise la langue légèrement différemment, et nous ne pouvons parvenir à une forme de communication approximative que par une vérification informelle des mots de chacun.
La deuxième condition est de s’intéresser aux autres. Si nous ne sommes satisfaits que de nos propres sentiments et valeurs et que nous ne pouvons pas les voir de manière relative, alors nous ne parviendrons pas à développer cet intérêt. Une incapacité à relativiser fait qu’il devient même impossible de reconnaître l’existence de « l’autre ». Nous n’avons donc aucun désir d’entendre ce que pourrait dire « l’autre ». En d’autres termes, l’idée de rechercher le dialogue ne se pose pas.
Le troisième point, le changement mutuel, nécessite une flexibilité des deux côtés. Le motif du dialogue vient de l’humilité intellectuelle – la reconnaissance du fait que les perceptions et les valeurs de chacun peuvent être étroites ou immatures –, de la curiosité et du désir de s’améliorer, qui fait aspirer à élargir ses horizons en rencontrant l’inconnu.
Et quatrièmement, garder le rang en dehors de la discussion est une question de vision de base des êtres humains. Ceux qui se considèrent supérieurs pensent rarement qu’il est nécessaire d’écouter les pensées et les sentiments de leurs supposés inférieurs. Il est peu probable que les personnes ayant une vision hiérarchique de la société se réjouissent de la communication ouverte qui caractérise le dialogue. Et si quelqu’un qu’ils considèrent comme inférieur tente d’exprimer une opinion franche, ces personnes seraient susceptibles de répondre avec indignation, de réprimander l’orateur pour son impertinence et de lui dire : « Vous feriez mieux de rester à votre place ! »
En résumé, le dialogue requiert de faire preuve de réceptivité. Les participants doivent reconnaître et respecter leur « altérité » mutuelle, s’ouvrir les uns aux autres et partager leurs mondes, à la recherche d’expériences qu’ils n’ont pas pu vivre seuls.