
GO Journal – Interviews de para-athlètes
Devenir un leader malgré ses faiblesses : Ike Yukinobu, capitaine de l’équipe de rugby-fauteuil
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Il est temps de prendre une grande respiration
— Avec la pandémie qui sévit depuis 2020, les 18 derniers mois ont été difficiles pour tous les athlètes qui s’étaient préparés pour les Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo. Comment cela s’est-il passé pour vous ?
Ike Yukinobu J’ai commencé par ressentir une peur qui n’avait pas de nom. Au début, je n’avais qu’une idée très vague du danger réel du coronavirus, je ne savais pas s’il fallait craindre quelque chose ou pas. Évidemment, on devient nerveux, mais cette période m’a rappelé à quel point il est précieux de pouvoir faire les choses que je considérais comme allant de soi, de pouvoir se maintenir en bonne santé, moi, ma famille, mes amis…
— Ces 18 mois vous ont-ils apporté quelque chose de positif, au moins ?
I.Y. J’avais programmé le pic de ma condition physique pour août 2020, il a fallu que je revois totalement ma copie. Après Rio en 2016, je m’étais dit : il faut juste prendre une grande respiration jusqu’en 2020. Pour le coup, cela m’a fait une très grande respiration !
— Pouvez-vous développer le sens de cette métaphore ?
I.Y. J’en ai profité pour établir des priorités et trier les choses qui sont vraiment importantes pour moi, me réévaluer et dresser un nouveau plan. Jusqu’à présent, je passais tellement de temps à jouer au rugby que je n’avais pas de temps à passer avec ma famille. J’ai deux fils de 14 et 11 ans, mais je n’ai assisté qu’à un ou deux événements scolaires, comme les journées sportives, car elles coïncidaient souvent avec des compétitions ou des stages d’entraînement. Avec la crise sanitaire, je peux passer plus de temps avec mes enfants, c’est comme des vacances d’été pour moi. J’ai fait des choses que je n’avais pas pu faire jusqu’alors dans ma vie, comme nettoyer un peu autour de la maison, ou passer un permis bateau pour pouvoir aller pêcher, ce que j’adore. Aussi, j’ai la mauvaise habitude de me concentrer sur les mauvaises choses, alors j’ai décidé de me tourner davantage sur les choses positives et tout ce que je vais pouvoir faire dorénavant dans ma vie.
— Il n’est pas toujours facile d’être positif comme vous, de nombreuses personnes restent à souffrir.
I.Y. Le premier mois a été le plus compliqué pour moi aussi, parce que la réalité ne s’est pas imposée tout de suite. J’ai mis du temps à trouver le côté positif des choses. Je suis du genre à me dire que c’est juste au moment où ma vie commence à prendre une bonne direction que soudain tout s’effondre... J’ai perdu mes amis et ma liberté physique dans un accident de voiture, je suis resté en vie, c’est tout. En deux ans et demi j’ai subi plus de 40 opérations. À chaque fois, on me disait « c’est la dernière », ou « tout se joue avec cette opération »… et en fin de compte, les résultats n’étaient pas exactement ceux qu’on espérait et il fallait en faire une autre derrière. Je n’en voyais pas la fin et chaque fois, j’étais anéanti. Puis j’ai commencé à jouer au basket-fauteuil, et au moment où j’ai été présélectionné dans l’équipe nationale japonaise, j’ai participé à un stage d’entraînement, je voyais les choses se dégager, tout à coup on m’a découvert un anévrisme à la cheville, il a fallu que j’arrête complétement le sport pendant un moment. Puis j’ai eu une fracture de fatigue qui a mis trois ans à guérir. Ces expériences m’ont appris à devenir prudent quand les choses commencent à marcher trop bien.
— Quelles sont les difficultés qu’il vous a fallu affronter avec la crise sanitaire ?
I.Y. Lors de la décision de reporter l’événement de 2020, nous avons immédiatement échangé nos opinions et réagi à celles des autres sur le tchat de l’équipe. Il était important de partager ce que nous pensions à ce moment-là, et moi aussi j’ai partagé mes réflexions avec tout le monde. Certains en ont été démoralisés et n’ont toujours pas remonté la pente. Mais en tout cas, sur le coup, je crois que c’est ce qu’il fallait faire. Chacun a son propre rythme, et vous ne pouvez pas forcer les gens à être motivés, c’est totalement contre-productif. D’autre part, ce sont tous des athlètes de haut niveau puisqu’ils sont dans l’équipe nationale, alors, en tant que capitaine, je n’ai forcé personne à communiquer ni encouragé personne, d’aucune façon particulière.
Qu’est-ce qu’un leader ?
— Vous êtes capitaine de l’équipe nationale depuis 2014. Votre conception de cette fonction a-t-elle changé entre temps ?
I.Y. Je lis beaucoup de livres sur le leadership, c’est un sujet qui me passionne. Mais personnellement, je pense que le leader idéal est quelqu’un qui a le sens de la justice et qui écoute tout le monde sans discrimination, tout en conservant son propre cœur, sa propre façon de penser. Un capitaine trop actif, qui fait tout par lui-même n’est pas en mesure d’éduquer ceux qui l’entourent ou d’exprimer un jugement sur les actions des autres. Il ne suffit pas d’être le meilleur de l’équipe pour être un bon capitaine.
— Ce talent de leader, était-ce déjà quelque chose que vous possédiez dans votre enfance ?
I.Y. Je crois que j’ai toujours été celui qui prenait l’initiative entre les amis. J’étais déjà capitaine dans l’équipe de basket au collège, et même quand j’ai joué au basket-fauteuil. Mais ce n’est pas une attitude fixe que j’ai toujours eue. J’ai lu des livres, j’ai intégré des attitudes que j’ai trouvé intéressantes chez des leaders que j’ai croisés.
— Concernant la liste des 12 sélectionnés des Jeux de Tokyo, peut-on dire que par rapport à ceux de Rio, les différences d’âge entre les joueurs sont plus prononcées ?
I.Y. Je pense que nous avons trouvé une sélection de 12 joueurs possédant énormément de caractère en termes de style de jeu. C’est vrai, l’écart d’âge est assez important, avec de plus en plus de jeunes. Ils ont encore un peu tendance à se restreindre devant leurs aînés hors du terrain, mais je veux créer une atmosphère où les jeunes joueurs peuvent dire librement tout ce qu’ils ressentent, c’est important pour eux de souligner les choses que les vétérans n’ont pas remarquées. Ce sont eux qui vont porter l’équipe au-delà des Jeux de Tokyo, je veux qu’ils se mettent encore plus en avant.
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