Histoire de l’environnement japonais à l’époque moderne

Sacrifice et compassion : les relations entre les Japonais et les animaux

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Ishi Hiroyuki [Profil]

On trouve des sépultures à la mémoire des animaux aux quatre coins de l’Archipel, reflet d'une sensibilité japonaise emplie de compassion pour ces êtres. D’une loi interdisant la consommation de viande dès le VIIe siècle à l’actuelle question de l’euthanasie, le Japon a toujours eu une relation extrêmement étroite avec les animaux.

Les humains, éléments de la nature

Nakamura Teiri, professeur émérite de l’Université Risshô, avait fait remarquer que dans les fameux Contes de Grimm, 67 épisodes concernent la transformation d’un humain en animal, contre seulement 6 décrivant un animal se changeant en humain. En revanche, la collection Nihon mukashi banashi (« Vieux contes du Japon ») contient 42 histoires d’êtres humains se transformant en animal et 92 d’animaux se transformant en être humain.

Si la magie est essentielle à l’acte de transformation dans les contes de fées de Grimm, c’est tout le contraire dans Nihon mukashi-banashi. Pour Nakamura Teiri, cela prouve l’existence de liens forts entre les humains et les animaux dans le folklore japonais qui ne se retrouve pas en Occident, où au contraire, ils sont clairement différenciés.

Au Japon, les tanuki (chien viverrin) prennent une forme humaine, le légendaire héros  Yamato Takeru est ressuscité sous la forme d’un cygne et dans le conte populaire Tsuru no ongaeshi (« La Grue reconnaissante »), une grue prend la forme d’une femme pour remercier son bienfaiteur humain. Il y a donc une fluidité dans les transformations de l’animal en l’humain (et inversement), un sentiment d’égalité où toute notion de supériorité est totalement absente. C’est peut-être là une manifestation du sentiment japonais d’unité, d’identification et d’intégration avec la nature.

Tuer ou laisser souffrir ?

Dans les années 1950, un incident majeur a contribué à raviver la conscience de la forte affinité japonaise pour les animaux. En 1956, la première équipe de chercheurs du Japon mit le cap sur l’Antarctique à bord du navire Sôya (voir notre article lié). Le groupe était accompagné de 22 huskies Sakhaline, dont deux nommés Taro et Jiro. Les chercheurs devaient passer la saison hivernale à la base antarctique de Shôwa jusqu’à l’arrivée de la deuxième équipe. Mais, ils furent surpris par le mauvais temps, contraints de quitter les lieux, laissant derrière eux 15 des chiens.

En janvier 1959, l’hélicoptère de la troisième équipe de recherche repère deux chiens vivants à l’ancienne base de Shôwa. Un des hommes de cette expédition m’a dit plus tard qu’il avait eu peur d’approcher les chiens au début parce qu’il pensait qu’ils étaient devenus sauvages et qu’ils pouvaient donc être dangereux. Il a été confirmé par la suite que les deux chiens étaient Taro et Jiro, et qu’ils étaient les seuls survivants parmi les 15 chiens. Les deux chiens rescapés firent les gros titres des journaux nippons, suscitant un sentiment de liesse générale. Partout dans le pays, des pierres commémoratives et des statues furent érigées à la mémoire de ces chiens. Une chanson a même été écrite en leur honneur.

En 1983, le film Antarctica (Nankyoku monogatari), mettant en vedette les deux animaux miraculés Taro et Jiro, a attiré plus de 12 millions de spectateurs, ce qui lui a valu le meilleur box-office de l’année. Un remake est même sorti aux États-Unis en 2006 sous le nom de Eight Below (en français : Antartica, prisonniers du froid).

Le livre Inutachi no nankyoku (« Les chiens de l’Antarctique ») a été écrit par Kikuchi Tôru, alors membre de l’expédition antarctique. Il se souvient que le Sôya a été littéralement inondé de télégrammes s’indignant contre la cruelle décision d’abandonner les chiens. Certains d’entre eux étaient très virulents : « Ne tuez pas des membres de l’expédition qui ne peuvent pas s’exprimer eux-mêmes », ou « Vous devez les ramener, quoi qu’il arrive » ou encore « Comment osez-vous oublier ce que vous devez à ces chiens ? Si vous les abandonnez, c’est vous qui ne devriez pas rentrer chez vous. » pouvait-on lire...

Il y avait même des gens qui insistaient sur le fait qu’il aurait été plus humain de tuer les chiens que de les abandonner à leur triste sort. Ce point de vue était particulièrement répandu chez des personnes originaires de pays occidentaux et des Japonais qui avaient voyagé à l’étranger. En fait, l’équipe aurait prévu d’euthanasier les chiens, mais à court de temps, ces derniers ont été tout simplement laissés sur place.

Cependant, la plupart des Japonais s’opposent fermement à l’euthanasie, qu’ils perçoivent comme un meurtre, ce qui est parfois lourd de conséquences. Autour de l’île d’Okinawa et de celles d’Ogasawara par exemple, des écosystèmes délicats se sont retrouvés perturbés, car les lapins, les chèvres et les chats abandonnés y prolifèrent à un rythme alarmant. Plutôt que de les tuer, un grand nombre de personnes réclament encore à l’heure actuelle leur capture et leur apprivoisement.

Suite > L’euthanasie au Japon

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Ishi HiroyukiArticles de l'auteur

Journaliste et scientifique spécialisé dans l’environnement. Après un bref passage au comité de rédaction du Asahi Shimbun, il a été consultant principal pour le Programme des Nations unies pour l’environnement à Nairobi et à Bangkok. Il a également occupé des chaires d’enseignement supérieur dans les instituts de hautes études des Universités de Tokyo et de Hokkaido, été ambassadeur du Japon en Zambie et conseiller auprès de l’Agence japonaise de coopération internationale et des conseils d’administration du Centre régional de l’environnement pour l’Europe centrale et orientale (CRE) à Budapest, ainsi que de la Société ornithologique du Japon. Auteur de divers ouvrages, dont Chikyû kankyô hôkoku (Rapport sur l’environnement mondial), Kilimandjaro no yuki ga kiete iku (La disparition des neiges du Kilimandjaro) et Watashi no chikyû henreki – Kankyô hakai no genba o motomete (Mes voyages à travers le monde pour étudier la destruction de l’environnement).

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