Histoire de l’environnement japonais à l’époque moderne

Sacrifice et compassion : les relations entre les Japonais et les animaux

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Ishi Hiroyuki [Profil]

On trouve des sépultures à la mémoire des animaux aux quatre coins de l’Archipel, reflet d'une sensibilité japonaise emplie de compassion pour ces êtres. D’une loi interdisant la consommation de viande dès le VIIe siècle à l’actuelle question de l’euthanasie, le Japon a toujours eu une relation extrêmement étroite avec les animaux.

À la mémoire du sacrifice des baleines

Autre exemple de la volonté japonaise de rendre hommage aux animaux, les kujira-baka, des monuments érigés dans l’enceinte de temples locaux à la mémoire des baleines capturées. Cette pratique, unique au Japon, était courante dans les villages de pêcheurs qui dépendaient de la chasse à la baleine. Lors d’un récent voyage retraçant la vie de la poétesse Kaneko Misuzu, originaire d’un village de pêcheurs de la préfecture de Yamaguchi, j’ai eu l’occasion de visiter le musée des baleines de Nagato dans la ville du même nom. J’ai été particulièrement ému par la tombe des baleines située dans l’enceinte du temple bouddhique Kôgan-ji.

Un monument à la mémoire des baleines sur l'île d’Ômijima, Nagato, dans la préfecture de Yamaguchi. (© Aflo)
Un monument à la mémoire des baleines sur l’île d’Ômi-jima, dans la préfecture de Yamaguchi (Photo : Aflo)

Les premières tombes de baleines auraient vu le jour en tant que symbole du regret et de la compassion ressentis par les chasseurs japonais de ce mammifère marin, pour leur progéniture et pour les fœtus de baleines, victimes collatérales de la mise à mort de leur mère. Ainsi, plus de 70 baleines reposeraient dans cette sorte de mausolée à Nagato. Encore aujourd’hui, de nombreux visiteurs s’y rendent et déposent de l’encens, bien que la baleine ne soit plus chassée dans la plupart des pays du monde.

En plus de cette grande tombe à la mémoire des baleines, le temple Kôgan-ji abrite une collection de tablettes mortuaires dédiées à ce mammifère marin et des registres de décès répertoriant les espèces, les dates et les lieux de capture, les noms bouddhiques donnés à titre posthume à 242 baleines, ainsi que les noms des équipes de chasse à la baleine. Ces créatures sont honorées de la même manière que leurs homologues humains.

Kaneko Misuzu (1903–1930) est née et a vécu à Senzaki, qui fait maintenant partie de la ville de Nagato, jusqu’à sa mort. À l’époque, Senzaki était un village de pêcheurs dont l’une des principales ressources était la chasse à la baleine. Certains des poèmes de Kaneko Misuzu évoquent les baleines, tels que « Kujira hôe » (L’oraison funéraire de la baleine). Kaneko Misuzu décrit dans ce poème l’honneur rendu à l’animal et le sentiment de gratitude ressenti pour son grand sacrifice.

(Voir également notre article : Le Japon reprend la chasse à la baleine : voir au-delà de la polémique)

Il y a des monuments dédiés aux baleines un peu partout au Japon. Celui-ci est situé au sanctuaire Kagata à Shinagawa, Tokyo. (Photo : Aflo)
Il existe des monuments dédiés aux baleines un peu partout au Japon. Celui-ci est situé au sanctuaire Kagata, à Shinagawa, Tokyo. (Photo : Aflo)

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Ishi HiroyukiArticles de l'auteur

Journaliste et scientifique spécialisé dans l’environnement. Après un bref passage au comité de rédaction du Asahi Shimbun, il a été consultant principal pour le Programme des Nations unies pour l’environnement à Nairobi et à Bangkok. Il a également occupé des chaires d’enseignement supérieur dans les instituts de hautes études des Universités de Tokyo et de Hokkaido, été ambassadeur du Japon en Zambie et conseiller auprès de l’Agence japonaise de coopération internationale et des conseils d’administration du Centre régional de l’environnement pour l’Europe centrale et orientale (CRE) à Budapest, ainsi que de la Société ornithologique du Japon. Auteur de divers ouvrages, dont Chikyû kankyô hôkoku (Rapport sur l’environnement mondial), Kilimandjaro no yuki ga kiete iku (La disparition des neiges du Kilimandjaro) et Watashi no chikyû henreki – Kankyô hakai no genba o motomete (Mes voyages à travers le monde pour étudier la destruction de l’environnement).

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