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Moriyama Daidô : un photographe aux yeux de « chien errant »

Images Art

Iizawa Kotaro [Profil]

Moriyama Daidô parcourt les rues comme un chien errant en prenant des instantanés qui laissent une forte impression à ceux qui les voient. De concert avec des gens comme Araki Nobuyoshi, il est cité comme l’un des maîtres photographes du Japon contemporain. Pourquoi son œuvre est-elle tenue en si haute estime ?

L’observation de l’interaction entre la lumière et l’ombre

À partir du début des années 1970, le radicalisme de Moriyama et de Nakahira, qui trouvait une toile de fond adéquate dans la montée des protestations contre la révision du Traité de sécurité nippo-américain, perdit peu à peu son élan avec le reflux rapide de la « saison des politiques » au Japon. Quoiqu’il fît, Moriyama ne semblait pas en mesure de susciter la moindre réaction et, à mesure qu’il luttait pour se faire reconnaître, le sentiment qu’il s’était perdu en chemin le gagnait. À la fin des années 1970, il vivait cloîtré chez lui, prisonnier d’un lieu où il ne pouvait quasiment prendre aucune photo. Dans cet état d’effondrement physique et mental, l’événement qui le ramena au monde de la photographie fut le début d’une série intitulée Hikari to kage (Lumière et ombre) dans Shashin jidai (L’âge de la photographie), une revue créée en 1982 et consacrée principalement à Araki Nobuyoshi.

Hikari to kage 1 (hana) (« Lumière et ombre 1 : fleur », 1981). (© Daidô Moriyama Photo Foundation)
Hikari to kage 1 (hana) (« Lumière et ombre 1 : fleur », 1981). (© Daidô Moriyama Photo Foundation)

Moriyama a publié « Lumière et ombre » sous forme de collection en 1982.
Moriyama a publié « Lumière et ombre » sous forme de collection en 1982.

Les photos de « Lumière et ombre », publiées sous forme de collection en 1982, représentaient des motifs rencontrés par Moriyama en entrecroisant la lumière et l’ombre, en commençant par une pivoine qu’il avait photographiée par hasard près de chez lui. Revenu à son point de départ, il prenait et tirait des clichés tout simples d’objets primordiaux considérés comme basiques depuis la naissance de la photographie, et retrouvait suffisamment de confiance en lui-même pour reprendre son parcours de photographe. Dans son livre Mémoires d’un chien, publié en 1984, cette époque lui inspire la réflexion suivante : « Je me tenais dans la lumière avec mon appareil photographique, sans plus penser à rien. Sous mes yeux se trouvait mon ombre. C’était suffisant... puis je me suis mis en marche vers une époque où j’avais l’intention de ne plus jamais rester à l’arrêt. »

En plus de « Lumière et ombre », le journal Photography Age a publié toute une série de travaux aussi ambitieux qu’expérimentaux de Moriyama : Tokyo (1982-84), Nakaji e no tabi (Voyage à Nakaji, 1984-85), Documentary (1985-86) et Utsukushii shashin no tsukurikata (Comment faire de belles photos, 1986-88). Ces œuvres allaient plus tard être publiées sous forme de collections autonomes de photos. Il a passé les années 1988 et 1989 à Paris, où il rêvait d’ouvrir une galerie. Ce rêve ne devait pas se réaliser, mais d’autres projets ont eu une heureuse issue, par exemple les photos qu’il fit de Marrakech, l’ancienne capitale du Maroc.

Des instantanés rayonnants

Dans les années 1960, les activités photographiques de Moriyama ont pris de la vitesse et se sont considérablement élargies. Entre 1993 et 1997, le fabricant de vêtements Hysteric Glamour, avec à sa tête Kitamura Nobuhiko, a publié trois recueils de photos baptisés Daido Hysteric ayant pour thèmes des objets de rue (1993), des foules urbaines (1994) et des scènes d’Osaka, la ville où Moriyama avait vécu pendant son enfance (1997). Ces livres de grand format, comptant chacun plus de 300 pages, imprégnés de l’expérience accumulée par Moriyama en termes d’instantanés de rue, ont constitué une série qu’on est en droit de considérer comme le point culminant de son œuvre à cette époque.

Deux des volumes Daido Hysteric publiés dans les années 1990.
Deux des volumes Daido Hysteric publiés dans les années 1990.

Au nombre des œuvres majeures de Moriyama figure aussi sa collection Shinjuku, réalisée en 2002. Shinjuku est un quartier que Moriyama aimait photographier depuis son séjour à Tokyo en 1961 — un endroit où, en se mêlant aux foules et en rencontrant toutes sortes de gens, il se sentait stimulé dans son travail de photographe. Ces « grands faubourgs et quartiers chauds » ont été regroupés dans un recueil de 600 pages et 524 photographies. Dans les années 1990 et 2000, il a aussi commencé à passer pas mal de temps à l’étranger, et publié les collections Buenos Aires (2005), Hawaii (2007) et Saô Paulo (2009). En regardant ces collections, on voit que Moriyama est animé par une conviction qui le pousse à saisir des tranches de vie, dans le style qui est le sien, partout dans le monde.

Les collections Shinjuku, Buenos Aires et Hawaii révèlent un artiste qui se sent de plus en plus chez lui partout dans le monde.
Les collections Shinjuku, Buenos Aires et Hawaii révèlent un artiste qui se sent de plus en plus chez lui partout dans le monde.

Un chien errant en vadrouille dans un monde interconnecté

L’impulsion créative de Moriyama n’a rien perdu de sa force, et son cursus international continue de progresser alors même qu’il est devenu septuagénaire. Lors de son exposition en solo « Daido Tokyo » (Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris), deux œuvres ont particulièrement impressionné les visiteurs : Tokyo Color, une photo en couleur prise avec un appareil numérique, et Inu to ami taitsu (Chien et collant en résille), un cliché puissant en noir et blanc.

Images célèbres de l'exposition de 2016 « Tokyo Color », 2008-2015. (© Daidô Moriyama Photo Foundation)
Images célèbres de l’exposition de 2016 « Tokyo Color », 2008-2015. (© Daidô Moriyama Photo Foundation)

Pourquoi l'œuvre de Moriyama est-elle tenue en si haute estime ? Peut-être est-ce parce que l’ensemble de ses photos, qui recouvre plus d’un demi-siècle de prises de vues, offre un condensé des « expériences de rue » de chacun d’entre nous. Ces photos, mystérieuses et porteuses d’un frisson dû au fait qu’on ne sait pas ce qui va suivre, sont toujours imprégnées de la lumière et de l’ombre de paysages urbains en quelque sorte nostalgiques. Ce sont des enregistrements visuels susceptibles d’être partagés par bien des gens, quelques soient leur pays d’origine et la génération à laquelle ils appartiennent.

(Photo de titre : « Kiroku no. 19 » [Enregistrement no. 19], 2011, représente Moriyama à droite en train de prendre une photo. © Daidô Moriyama Photo Foundation. Remerciements à la Galerie Ishii et à Photobook Diner Megutama.)

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Iizawa KotaroArticles de l'auteur

Critique photographique. Lauréat du Prix Suntory des Arts et des Lettres pour Bienvenue au musée de la photographie (Kodansha Gendai Shinsho) et du Prix annuel de la Société japonaise de photographie pour La photographie d’art et son époque (Chikuma Shobô). Membre du jury pour divers concours photographiques et organisateur d’expositions.

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