
PANTA, légende du rock japonais, nous raconte un demi-siècle d’expérience musicale
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Un groupe « excessif » qui se remémore Woodstock
La scène rock japonaise suit les mêmes tendances que l’Occident, avec quelques années de retard : après le rockabilly dans les années 50 et le Group Sounds dans la deuxième moitié des années 60, à l’aube des années 70, le rock est fermement implanté dans l’Archipel. Fondé en décembre 1969, le groupe Zunô Keisatsu et ses quatre membres, avec PANTA au chant et à la guitare et TOSHI à la batterie et aux percussions, en est l’une des formations emblématiques. Son nom est tiré d’une chanson de Frank Zappa, Who Are the Brain Police ?
Les membres fondateurs de Zunô Keisatsu, PANTA et TOSHI (à droite) ©2020 ZK PROJECT
« 1969, c’était une année incroyable. Il y a eu Woodstock, c’était un moment de changements profonds ; avec le recul, on voit qu’en réalité, c’était la fin de cette période prônant la paix et l’amour. Zunô Keisatsu s’est lancé à l’heure où, dans le monde entier, les mouvements protestataires étaient en perte de vitesse. C’est sans doute pour cela qu’on nous a trouvés très excessifs. »
Un demi-siècle plus tard, le mot « excès » colle toujours à la peau de Zunô Keisatsu. Le documentaire « zk/Zunô Keisatsu 50 – le pouls du futur » (zk/Zunô Keisatsu 50 – Mirai he no kodô, réalisé par Suenaga Ken) revient, à travers les témoignages des membres du groupe et de leur entourage, sur le chemin de cette légende du rock japonais, de sa création à sa séparation et ses divers retours sur scène.
Laisser tomber le blues pour un rock indécent
L’une de ces anecdotes légendaires est une affaire de masturbation, au tout début du groupe. Lors de sa participation au Nichigeki Western Carnival, un événement annuel qui rassemblait les grands groupes musicaux à la mode, PANTA a fait mine de se masturber sur scène, le sexe à l’air, un incident dont l’hebdomadaire à scandale Heibon Punch a fait ses choux gras et qui a largement fait connaître le groupe. Dans le film, cet incident est évoqué avec nostalgie par les piliers du mouvement Group Sounds de l’époque.
PANTA se rappelle ses nombreuses frasques sur scène : « En faisant du rock, je ne voulais pas être en reste par rapport à l’Occident. » À force d’écouter les groupes de l’époque influencés par la musique afro-américaine, comme les Rolling Stones ou le Spencer Davis Group, il découvre le blues, dont il tombe amoureux ; cependant, il se demande si c’est bien ce genre de musique qu’il est appelé à faire.
« À l’âge de 18 ans, je me suis demandé que faire de cette musique. Ce n’était pas juste de la pop, mais une musique née de l’histoire de la ségrégation raciale aux États-Unis. J’ai appris que les Noirs amenés d’Afrique comme esclaves faisaient exprès de mal articuler, pour que les blancs ne comprennent pas les paroles de leurs chansons. À quoi cela aurait-il rimé qu’un gamin asiatique fasse du blues, essaie de les imiter ? C’est pour ça que j’ai tourné le dos à cette musique que j’adorais pourtant. »
C’est ainsi qu’en 1969, à l’âge de 19 ans, PANTA fonde Zunô Keisatsu pour secouer la scène musicale japonaise – alors dominée par la pop nationale et les ballades traditionnelles – avec un rock dépouillé de tout ce qui pourrait rappeler le blues, un rock qui n’imite pas l’Occident.
« Au commencement était le Verbe. Il y a d’abord les paroles, auxquelles viennent s’ajouter la mélodie et le rythme. Donc, à quoi bon chanter dans un anglais que personne ne comprend ? Quand on fait du rock en japonais, les mots viennent tout seuls, les insultes fusent. »
Malgré des paroles parfois scabreuses, la veine littéraire de PANTA se fait sentir. Ses chansons reflètent également souvent la situation politique de l’époque. « Déclaration de guerre révolutionnaire mondiale » (Sekai kakumei sensô sengen), qui reprend telles quelles des parties du manifeste de la Ligue communiste japonaise – Faction Armée rouge, « Le poème du soldat de l’Armée rouge » (Sekigun heishi no shi) et « Prenez les armes » (Jû o tore) : ces trois titres, surnommés « la trilogie révolutionnaire », ont connu à l’époque un succès retentissant auprès des étudiants et des activistes de gauche.
Interdiction de vente et séparation
Dans une formation minimaliste, avec PANTA à la guitare et TOSHI au bongo, le groupe se produit dans les festivals de rock qui fleurissent alors au Japon, dans les fêtes universitaires et les rassemblements politiques. Leur premier album, un live de ces concerts, sort en mars 1972 avec pour jaquette un montage photo célèbre : le suspect du fameux casse des 300 millions de yens déguisé en policier.
Mais alors que le mois précédent, la prise d’otages du chalet Asama avait secoué le Japon, les paroles de la « trilogie révolutionnaire » posent problème et le disque est retiré de la vente. Le deuxième album, paru deux mois plus tard, subit le même sort au bout d’un mois. La troisième tentative sera la bonne : en octobre sort enfin ce qui sera le premier album de la discographie du groupe, désormais mieux connu pour son image scandaleuse que pour sa musique.
« Se battre continuellement contre l’étiquette qu’on lui colle, c’est le destin de l’artiste. On s’est produit dans de multiples fêtes universitaires, mais des années plus tard encore, on ne pouvait pas finir le concert sans chanter “Déclaration de guerre révolutionnaire mondiale”. Ce n’est pourtant pas un tube qu’on répète à tout bout de champ, en réalité, cette chanson aurait dû être chantée une seule fois, lors d’une réunion politique dans la salle de concert en plein air du parc Hibiya. Après, on a passé trois ans à essayer de correspondre à cette image et c’était dur ; on s’est séparés le dernier jour de l’année 1975. »
TOSHI (à droite) et PANTA, compagnons de route depuis 50 ans ©2020 ZK PROJECT