Films à l’affiche

Un ex-otage de l’attaque de la résidence de l’ambassadeur du Japon au Pérou nous raconte

Cinéma Culture

Le film américain Bel Canto, interprété par Julianne Moore et Watanabe Ken, est l’adaptation d’un best-seller inspiré de faits réels, à savoir la crise des otages de l’ambassade du Japon au Pérou qui s’est déroulée sur quatre mois fin 1996, une affaire qui a secoué la communauté internationale. À l’occasion de la sortie du film au Japon, nous avons rencontré Ogura Hidetaka, ancien diplomate et ex-otage.

Ogura Hidetaka OGURA Hidetaka

Professeur au département de langues étrangères de l’université Kanagawa, spécialiste en relations internationales (en particulier en théorie des pays de l’hémisphère sud), histoire de la pensée en Amérique latine et théorie des cultures hispanophones. Né en 1951 à Osaka. Il entre en 1986 au ministère des Affaires étrangères,puis intègre le bureau de l’Amérique du Sud et Centrale et est posté à Cuba, au Pérou et au Mexique jusqu’à sa démission en 1998. Il enseigne à l’université Kanagawa depuis 2010. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels « Le dialogue brisé – réexamen de la crise de l’ambassade japonaise au Pérou » (Fûsatsu sareta taiwa – perû nihon taishi kôtei senkyo jiken saikô, Heibonsha, 2000), « L’image du "cœur de la réforme" dans l’hémisphère sud – vers la possibilité d’un mouvement social du 21e siècle » (Gurôbaru sausu ni okeru henkaku shutai zô – 21 seikigata shakai undô no kanôsei, Yôransha, 2018).

La mort des guérilleros

Le 22 avril 1997, un peu après 15 heures, plusieurs explosions ont retenti. Les forces spéciales de l’armée péruvienne avaient lancé l’assaut. Ogura Hidetaka était à l’étage, dans le bureau qui lui servait de chambre, où il lisait un livre, allongé. Un guérillero a jeté un coup d’œil dans la pièce, mais il est reparti sans tirer une seule balle. Quand M. Ogura a quitté la résidence, guidé par le commando, il a vu plusieurs membres du MRTA à qui l’on passait les menottes.

Des otages quittent la résidence par un escalier de service, le 22 avril 1997 à Lima au Pérou (Jiji)
Des otages quittent la résidence par un escalier de service, le 22 avril 1997 à Lima au Pérou. (Jiji Press)

« Je n’ai assisté à aucune exécution sommaire. Mais j’ai vu des guérilleros être arrêtés, vivants. Pourtant, il a ensuite été dit qu’ils étaient morts en combattant. J’ai témoigné de ce que j’avais vu, mais les membres de l’armée et des services de renseignement nationaux ont violemment contesté mes déclarations. Aujourd’hui encore, quand on tape mon nom en alphabet dans un moteur de recherche sur Internet, on trouve de nombreux résultats en espagnol diffamatoires à mon encontre. »

Cette affaire a été portée devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme, qui a conseillé qu’elle soit jugée non par un tribunal militaire mais par la justice civile ; la cour suprême péruvienne a rejeté l’accusation d’exécution, pour insuffisance de preuves. Un jugement sans doute difficile à accepter pour Ogura Hidetaka après la mort cruelle des jeunes gens avec qui il avait discuté et vécu au quotidien durant quatre mois. C’est son ambivalence face à la fin de cette affaire qui l’a poussé à quitter le ministère des Affaires étrangères en décembre 1998.

« Il m’est arrivé de débattre avec les membres du MRTA. La Guerre froide avait pris fin et, dans le monde entier, les mouvements d’extrême gauche étaient en recul. C’était pareil au Pérou. La couche sociale qui les avait autrefois soutenus n’existait plus. Pourquoi ne pas devenir une organisation légale, ce qui leur aurait permis de récolter des soutiens ? Leur leader, Cerpa, m’a répondu que j’avais peut-être raison sur le plan théorique, mais que cela leur était impossible face à Fujimori. Continuer à affirmer, à la fin du XXe siècle, que seuls les travailleurs pouvaient constituer le cœur de la transformation sociale montrait sans doute leurs limites. »

Des otages japonais soulagés après leur libération ; au centre, en chemise noire, Ogura Hidetaka, le 22 avril 1997 à Lima au Pérou (Jiji)
Des otages japonais soulagés après leur libération ; au centre, en chemise noire, Ogura Hidetaka, le 22 avril 1997 à Lima au Pérou. (Jiji Press)

Le film Bel Canto est sorti en septembre 2018 aux États-Unis. En général, les films américains sont projetés en Amérique latine six mois plus tôt qu’au Japon, mais d’après des amis d’Ogura Hidetaka, celui-ci n’a pas encore été montré au Pérou. On peut imaginer que l’armée et son entourage s’y sont opposés.

« J’espère que ce film sera l’occasion pour de nombreuses personnes de s’intéresser à cette affaire, ainsi qu’à la politique et à l’histoire de l’Amérique de Sud qui la sous-tendent. Avec le recul, je me rends compte que ces semaines passées aux côtés des guérilleros m’ont permis d’éprouver dans ma chair la marche du temps, de comprendre les limites de la lutte marxiste. Et les limites du ministère des Affaires étrangères, aussi... La classe ouvrière s’est diversifiée. En l’absence de l’émergence d’une diversité de nouveaux acteurs au cœur d’une révolution sociale, le monde ne changera pas. Les mouvements épars qu’on voit émerger depuis 2010 en prennent la voie, me semble-t-il. Seul le Japon est en retard. Les gens y sont certainement trop conservateurs. »

(Texte et interview de Matsumoto Takuya, de Nippon.com)

©2017 BC Pictures LLC All rights reserved.
©2017 BC Pictures LLC All rights reserved.

Le film

  • Acteurs et actrices : Julianne Moore, Watanabe Ken, Kase Ryô, Christophe Lambert
  • Réalisateur : Paul Weitz
  • Basé sur l’œuvre d’Ann Patchett
  • Année de production : 2017
  • Durée : 101 minutes
  • Site officiel

Bande-annonce

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