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Un réalisateur japonais pour une équipe de production française : « L’infirmière », de Fukada Kôji

Culture Cinéma

Watanabe Reiko [Profil]

En plus de jouir d’un impressionnant palmarès de prix, le réalisateur Fukada Kôji est nommé chevalier des Arts et Lettres par le gouvernement français en 2018. Son film, L’infirmière (Yokogao), sorti au Japon en juillet 2019 et en France en août 2020, est sa troisième coproduction franco-japonaise. Nous avions donc plein de questions à poser M.Fukada...

Fukada Kôji FUKADA Koji

Né en 1980 à Koganei, préfecture de Tokyo. Diplômé de la faculté des Lettres de l’Université Taishô. Il intègre le cours de fiction à la Film School de Tokyo en 1999. En 2010, son film Hospitalité remporte le Prix Perspective du film japonais au Festival international du film de Tokyo. En 2013, Au revoir l’été remporte La Montgolfière d’Or (Grand Prix) et le Prix du Jeune Jury du Festival des Trois Continents à Nantes. En 2015, Sayonara est sélectionné en compétition officielle au Festival international du film de Tokyo. En 2016, Harmonium remporte le Prix du Jury de la section « Un certain regard » à Cannes. En 2018, il est nommé chevalier des Arts et Lettres du gouvernement français. Après avoir lui-même écrit la novelisation de plusieurs de ses films, Harmonium en 2016, et L’homme qui venait de la mer en 2018, il met en scène son dernier roman, Yokogao (publié chez Kadokawa).

La société face aux coupables

—— D’où vous est venue l’idée de cette histoire ?

F.K.  Le concept de départ était de faire un film avec Tsutsui Mariko comme actrice principale. Je le lui avais proposé avant même d’écrire la première ligne de script et elle avait accepté l’idée. Et j’avais comme image un film où elle serait poursuivie et mise en danger psychologiquement (rires), quand l’idée d’une histoire où le protagoniste est impliqué dans le meurtre d’une personne très proche de lui m’est venue à l’esprit. Je pense que pour les spectateurs, c’est plus facile de se sentir embarqué dans une histoire de cette façon, plutôt que si j’avais directement désigné un criminel.  

©2019 YOKOGAO FILM PARTNERS & COMME DES CINEMAS
©2019 L’infirmière FILM PARTNERS & COMME DES CINEMAS

—— Dans ce film, le personnage d’Ichiko, interprété par Tsutsui Mariko, est une infirmière a domicile modèle, qui bénéficie de la confiance totale de tous ceux qui l’approchent. Quand soudain, suite à une trahison qui prend la forme d’une information déformée, elle se retrouve attaquée de toute part. Ce qui est horrible, c’est que cela peut arriver à peu près à n’importe qui.

F.K.  Les critiques étrangères reprochent souvent aux films japonais leur « maigreur sociale ». Pas seulement le cinéma d’ailleurs, la fiction au Japon est souvent critiquée pour son niveau enfantin. Le thème de la « réalisation de soi », ou « la recherche d’un sens à sa vie » suffit pour faire une œuvre, même si le personnage a déjà 30 ans. Ça, à l’étranger, c’est bon pour les films d’adolescents, et en toile de fond vous avez souvent la pauvreté, le racisme, ou l’immigration. La fiction japonaise s’attache trop aux questions d’identité intérieure, et néglige de définir les problèmes sociaux sous-jacents. Pourtant il n’y a pas de construction d’un moi véritable sans une prise d’indépendance par rapport au contexte, et moi, je veux faire des films fortement connectés au monde entier.

©2019 YOKOGAO FILM PARTNERS & COMME DES CINEMAS
©2019 L’infirmière FILM PARTNERS & COMME DES CINEMAS

—— Pour cette histoire, notre héroïne Ichiko est attaquée par les médias, car injustement considérée comme coupable.

F.K.  Je suis né dans les années 80, j’ai assisté en temps réel aux grandes affaires criminelles de l’époque, comme les tueurs Miyazaki Tsutomu et Sakakibara Seito ou l’attentat de la secte Aum. À chaque fois les familles des coupables et leurs proches sont devenus la cible des médias. Certes, les médias n’ont diffusé que des informations correctes, mais cela a causé de graves dégâts à ces personnes comme chez les victimes. J’ai eu envie de traiter cela, non pas à la façon d’un pamphlet social, mais comme un motif en toile de fond.

©2019 YOKOGAO FILM PARTNERS & COMME DES CINEMAS
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—— Un aveu quelconque d’une personne proche vous expose brutalement au regard de la société, c’est une expérience devenue courante dans le monde d’aujourd’hui. D’où vous est venue une telle idée ?

F.K.  De tout petits décalages se transforment en affaires énormes, c’est quotidien. Autrement dit, les plus grosses affaires éclatent non pas parce que les mauvais font des choses détestables, mais parce que tout le monde peut se retrouver dans cette situation. Je pense qu’on ne peut pas tracer une ligne nette de ce point de vue qui distinguerait les coupables des victimes. Même si je vous accorde qu’il faudrait peut-être que je me fasse psychanalyser pendant le processus de création (rires). Mais quand on y réfléchit, le motif de la proximité se trouve par nature au centre du rapport entre victimes et criminels, et de toute affaire qui devient un phénomène social. Ce que je voulais réellement peindre dans ce film, au bout du compte, c’est la question de la solitude humaine, le fait que même seul, nous devons tout de même continuer à vivre. Et en se plongeant au fin fond de cette question, en regroupant tous les éléments qui constituent ce sujet, cela a formé cette histoire.

©2019 YOKOGAO FILM PARTNERS & COMME DES CINEMAS
©2019 L’infirmière FILM PARTNERS & COMME DES CINEMAS

—— La performance de Tsutsui Mariko est absolument remarquable.

F.K. Je me permets de dire que cette fois-ci, je me suis bien amusé de peindre librement sur une toile blanche qu’est Tsutsui Mariko. Quand une actrice atteint ce niveau de talent, elle peut tout faire, quoi qu’il y ait écrit sur le scénario. D’ailleurs, c’est un aspect capital de l’écriture du scénario. Ce que vous pouvez exprimer dans un film est limité au talent de vos acteurs. Mais du moment que Madame Tsutsui était partante, je savais que je pouvais lui faire faire à peu près tout ce que je voulais. Par exemple, lui dire de marcher à quatre pattes ou de se teindre les cheveux en vert… (rires). Je me suis un peu trop laissé aller au sadisme du metteur en scène, mais j’ai tout de même l’impression d’avoir pu me divertir avec une actrice exceptionnelle !

©2019 YOKOGAO FILM PARTNERS & COMME DES CINEMAS

(Photos : Hanai Tomoko, sauf mention contraire. Interview : Watanabe Reiko)

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Le film

  • Acteurs et actrices : Tsutsui Mariko, Ichikawa Mikako, Ikematsu Sôsuke, Sudô Ren, Ogawa Miyu, Fukikoshi Mitsuru  
  • Réalisateur / Scénariste : Fukada Kôji
  • Distribution : Kadokawa
  • Année de production : 2019
  • Production : Japon et France
  • Durée : 111 minutes
  • Site officiel en japonais : yokogao-movie.jp

Bande-annonce

Tags

France culture cinéma

Watanabe ReikoArticles de l'auteur

Après une expérience professionnelle dans une société de distribution de films et un journal, elle devient journaliste indépendante. Ses domaines principaux sont le cinéma, l’art, la musique, la littérature, la gastronomie, la mode et le design.

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