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Autodestruction dans « Broken Rage », de Kitano Takeshi

Cinéma

Inagaki Takatoshi [Profil]

Pour son vingtième long métrage en tant que réalisateur, Kitano Takeshi explore un nouveau territoire : le contenu directement diffusé en streaming. Avec Broken Rage, une production originale d’Amazon, il propose une approche expérimentale autour de l’autodestruction de son protagoniste, tout en opérant un retour à ses racines de comédien.

Pourquoi Broken Rage ?

(© 2025 Amazon Content Services LLC ou ses affiliés.)
(© 2025 Amazon Content Services LLC ou ses affiliés.)

Le protagoniste de cette histoire est un tueur à gages nommé Nezumi, incarné par le réalisateur lui-même, Kitano Takeshi. Réputé pour éliminer ses cibles sans faute sur ordre d’un mystérieux « M », il est désormais dans le collimateur de la police. Les détectives Inoue (Asano Tadanobu) et Fukuda (Ômori Nao) l’arrêtent, avant de lui proposer un marché : il sera relâché en échange d’une infiltration dans un réseau de trafic de drogue lié à la pègre.

D’une durée de 66 minutes, Broken Rage est le plus court des films de Kitano, et sa particularité réside dans la manière dont les deux moitiés du film racontent la même histoire, mais de deux façons radicalement différentes. La première moitié est un thriller policier à suspense typiquement « kitanien », tandis que la seconde est une parodie burlesque de la première. L’œuvre a été présentée en avant-première lors de la 81e édition du Festival international du film de Venise, dans une confidentialité absolue, laissant le public abasourdi face à la vision de Kitano.

Les détectives Inoue (Asano Tadanobu, à gauche) et Fukuda (Ômori Nao) proposent à Nezumi un marché pour démanteler un réseau de contrebande. (© 2025 Amazon Content Services LLC ou ses affiliés)
Les détectives Inoue (Asano Tadanobu, à gauche) et Fukuda (Ômori Nao) proposent à Nezumi un marché pour démanteler un réseau de contrebande. (© 2025 Amazon Content Services LLC ou ses affiliés)

Le titre, Broken Rage, évoque la célèbre série Outrage de Kitano. La première moitié, avec son intrigue sérieuse et tendue, s’en approche clairement, mais la touche finale la rapproche davantage de films plus anciens comme Sonatine (1993) ou Aniki, mon frère (2000). Cela dit, comparé aux précédents films de Kitano, la structure, le déroulement de l’intrigue et les dialogues paraissent quelque peu plats.

La deuxième moitié vient encore perturber l’énergie de la première. On frôle le niveau d’un sketch d’émission de variétés. Bien que l’histoire de base soit la même, le film ne se contente pas de rejouer le même script en mode comédie : la progression narrative est réécrite avec des gags et des blagues outrancières. Il semble que Kitano ait choisi cette structure en pensant à ses fans de toujours, ceux qui l’aiment en tant que comédien, pour leur offrir une expérience résolument « à la Beat Takeshi ».

Nezumi aux côtés de Kaneshiro (à droite), chef du gang qu’il infiltre, et de son bras droit Tomita (à gauche). (© 2025 Amazon Content Services LLC ou ses affiliés)
Nezumi aux côtés de Kaneshiro (à droite), chef du gang qu’il infiltre, et de son bras droit Tomita (à gauche). (© 2025 Amazon Content Services LLC ou ses affiliés)

Les deux facettes du réalisateur

En tant que cinéaste, Kitano Takeshi oscille entre deux styles créatifs majeurs : le film policier narratif et un style plus avant-gardiste, perturbateur. Ce film semble appartenir à la seconde catégorie, dans la lignée de Takeshis’ (2005) ou Glory to the Filmmaker ! (2007). Mais il s’en distingue par la manière explicite dont il met en avant son autre visage : celui de Beat Takeshi, le comique.

En ce sens, Broken Rage est peut-être l’œuvre où ces deux Takeshi collaborent le plus étroitement, bien plus que dans Takeshis’, où le réalisateur et le comédien finissaient par se confondre après s’être rencontrés à l’écran. Vingt ans après la sortie de ce film, il est possible que Kitano ait simplement acquis une plus grande maîtrise d’une production aussi tranchante.

Dans le rôle de Nezumi, Kitano expose à l’écran son corps vieillissant, avant de le lancer contre des objets, en criant « Aïe ! » comme dans un sketch télévisé à l’ancienne. Sa capacité à tourner en dérision le passage du temps et sa propre vieillesse constitue l’un des charmes majeurs de ce film, indépendamment de sa valeur cinématographique.

Nezumi encerclé par les forces spéciales de la police. (© 2025 Amazon Content Services LLC ou ses affiliés)
Nezumi encerclé par les forces spéciales de la police. (© 2025 Amazon Content Services LLC ou ses affiliés)

En y repensant, on peut déceler des prémices de cette approche dans le précédent film de Kitano, Kubi (2023). Adapté de son propre roman historique, il avait alors choisi de déconstruire l’intrigue pour mieux mettre en valeur la comédie et la violence, dans une mise en scène proche du sketch. Les prestations d’Asano Tadanobu et Ômori Nao renforçaient ce choix, et l’on sent que leurs rôles sont également essentiels ici. Nakamura Shidô, autre figure de Kubi, livre ses répliques avec toute l’énergie d’un fils d’ouvrier des rues de Tokyo, à la manière de Kitano dans Outrage.

Et comme pour Kubi, le moteur principal de ce film réside sans conteste dans les performances des acteurs. À la différence de son prédécesseur, cependant, celui-ci assume pleinement une volonté de « destruction ». Il a donc fallu un sens aigu de l’équilibre pour éviter que le film ne s’effondre complètement. Pour Asano, c’est aussi l’occasion de montrer toute l’étendue de son talent, après sa performance primée aux Golden Globes dans Shôgun.

Les détectives Inoue et Fukuda malmènent Nezumi. (© 2025 Amazon Content Services LLC ou ses affiliés)
Les détectives Inoue et Fukuda malmènent Nezumi. (© 2025 Amazon Content Services LLC ou ses affiliés)

Kitano déclare à propos de cette œuvre : « Ce film étant destiné au streaming sur écran de télévision plutôt qu’au cinéma, je me suis permis de tester de nouvelles choses. » Il ajoute l’avoir monté « en pensant à quelqu’un allongé chez lui en train de regarder, et le film a fini très court. »

Autrement dit, Broken Rage est devenu une œuvre d’art et d’essai pour Kitano Takeshi / Beat Takeshi, fondée sur sa compréhension de la télévision en tant que vétéran de cet humour télévisé bien spécifique. Ainsi, cette deuxième collaboration avec Amazon met en lumière sa réflexion approfondie sur la manière dont l’œuvre cinématographique, dans l’univers du streaming, équivaut désormais à la télévision.

Bande-annonce

(Photo de titre : © 2025 Amazon Content Services LLC ou ses affiliés)

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    film cinéma Kitano Takeshi

    Inagaki TakatoshiArticles de l'auteur

    Rédacteur et éditeur. Spécialisé dans le cinéma étranger, il écrit sur des sujets très divers, critiques, chroniques et interviews, pour de nombreux médias, livres, magazines, brochures de cinéma et médias en ligne. Il effectue également des recherches et des consultations pour des productions théâtrales nationales et, ces dernières années, il a participé à la production de « La cloche de Pandore » (Pandora no kane, mise en scène par Sugihara Kunio) et à certaines œuvres de la compagnie théâtrale Kinoshita Kabuki.

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