Films et séries à l’affiche

« Au pays des cerfs » : un regard en profondeur sur les rituels du sanctuaire Suwa Taisha

Cinéma Région

Matsumoto Takuya [Profil]

Le complexe de sanctuaires de Suwa Taisha, dans la préfecture de Nagano, est célèbre pour son festival Onbashira, qui a lieu tous les six ans. Dans son dernier film, une réalisatrice de documentaires se penche sur des aspects moins connus de ce culte ancien en mettant l’accent sur les pratiques religieuses propres à la région.

Hiro Riko HIRO Riko

Réalisatrice de documentaires. Elle a commencé à filmer alors qu’elle effectuait des séjours au Népal en tant qu’étudiante, et faisait l’expérience de la vie dans une communauté montagnarde de l’Himalaya. Depuis lors, elle s’intéresse aux thèmes de la nature et de la prière dans ses films, dont Himalaya shôfu ni natta megami-tachi (Les déesses prostituées de l’Himalaya) et Shônen to koyagi no daibôken : Himalaya-goe 300 nichi shio no michi (La grande aventure d’un garçon et de sa chèvre : 300 jours dans l’Himalaya sur la route du Sel), son premier long métrage projeté en salle.

Remettre en vigueur un rituel caché

Lors du ontô-sai, on étalait une peau de cerf sur une estrade sur laquelle allait s’asseoir un jeune garçon. Celui-ci, appelé ôhôri, était considéré comme un dieu vivant, faisant l’objet d’un culte depuis les temps anciens en tant qu’incarnation de la divinité Suwa Myôjin.

 Le ôhôri tel qu’on le voit dans le documentaire.
Le ôhôri tel qu’on le voit dans le documentaire.

Le Maemiya est doté d’un pavillon principal honden, mais cet édifice est relativement récent, puisqu’il ne date que de l’ère Shôwa (1926-1989). On dit que le site a été un lieu de purification où le ôhôri demandait à l’esprit de descendre dans son corps. Cet esprit, appelé Mishaguji, est l’objet de culte de la tradition Suwa et, en dépit des diverses théories existant à ce sujet, la véritable identité de Mishaguji reste un mystère.

Au dire de Hiro Riko, « les gens de Suwa voient Mishaguji comme une force dotée d’une sorte de rôle ou de pouvoir en matière de stimulation du cercle de la vie. Je ne suis pas une savante, et mon film n’a pas pour objet d’apporter une réponse à la question de la nature de Mishaguji. Ce que je souhaite faire, en fait, c’est aller au fond de la question de la raison de la place si essentielle que le cerf occupe dans les rites du Suwa Taisha et de ce qu’il représente dans ce contexte ».

L’existence de rituels sacrés célébrés tout au long de l’année est attestée, mais certaines de ces cérémonies ne se déroulent plus. L’une d’entre elles est le mimuro shinji, célébré pendant trois mois à partir du 22 décembre du calendrier luni-solaire. Le ôhôri, figure centrale du rite, était accompagné par de jeunes garçons messagers des kami, qui se retiraient dans une grotte appelée mimuro pour accomplir le rituel.

Reconstitution d’une représentation donnée dans le mimuro.
Reconstitution d’une représentation donnée dans le mimuro.

La représentation donnée pendant ce rituel a été reconstituée dans le film, en se fondant sur les recherches effectuées par Miyajima Ryûsuke, spécialiste de l’histoire des arts du spectacle au moyen-âge, qui a étudié les rares documents parvenus jusqu’à nous sur le sujet en vue d’interpréter le spectacle sous un jour nouveau.

« Miyajima effectue des recherches dans la région des montagnes de Shizuoka qui s’étend de Suwa jusqu’à la rivière Tenryû. Des traces de la culture subsistent dans des zones éloignées et, bien qu’il n’y en ait peut-être pas à Suwa, les arts hérités de Suwa se sont perpétués ailleurs dans la région, et je lui ai donc demandé de reconstituer une représentation en se basant sur toutes les informations qu’il pourrait trouver, aussi fragmentaires fussent-elles. »

Durant le mimuro shinji, les villageois se rassemblaient dans la grotte pour manger de la viande de cerf, boire du saké et offrir aux kami des chants et des danses humoristiques destinés à les distraire. Les messagers divins, vêtus de robes rouges caractéristiques, prenaient aussi part à l’événement.

Messagers divins en train de manger pendant le rituel.
Messagers divins en train de manger pendant le rituel.

« Le spectacle reconstituait le cycle annuel de la riziculture, souligne Hiro. Les messagers divins hébergeaient dans leurs corps une nouvelle vie, à laquelle ils donnaient naissance lors d’un rituel de régénération. Les messagers quittaient la grotte à la fin de l’hiver, pour revenir à la surface comme l’esprit du riz. Célébré au début du printemps, le ontô-sai constitue une fête anticipée présageant l’abondante récolte attendue en automne. »

Dans le film, les rituels du Suwa Taisha, porteurs du mélange de chasse et d’agriculture caractéristique de la tradition Suwa, nous offrent une vue inaltérée de croyances qui continuent d’exister aujourd’hui.

« Les gens de Suwa ne sont pas les seuls à adresser des prières à la force invisible de la nature et au cercle de la vie. Les Japonais ont toujours eu ce genre de sensibilité, mais diverses raisons, ayant à voir, entre autres, avec la topographie, font que cette croyance est restée forte dans le bassin de Suwa. J’espère que les gens qui verront le film se souviendront que nous avons tous été jadis membres de la même communauté. »

(Toutes les photos : © Visual Folklore Inc. 2025. Photo de titre : la cérémonie ontô-sai célébrée à Suwa Taisha, dans le documentaire Shika no kuni.)

Shika no kuni, « Au pays des cerfs »
Shika no kuni, « Au pays des cerfs »

Le film

  • Titre anglais : Sacred Deer: Guardians of the Harvest
  • Réalisatrice : Hiro Riko
  • Producteur : Kitamura Minao
  • Année : 2025
  • Site officiel : https://shikanokuni.vfo.co.jp/

Bande-annonce

Tags

film nature riz histoire sanctuaire festival shinto animal cérémonie documentaire Nagano rizière

Matsumoto TakuyaArticles de l'auteur

Rédacteur et éditeur à Nippon.com depuis juillet 2011, notamment en charge du cinéma. Installé en France de 1995 à 2010, il a travaillé pour une agence de traduction avant de devenir rédacteur en chef adjoint de la publication gratuite France Zappa destinée à la communauté japonaise en France, puis rédacteur en chef du magazine Bonzour.

Autres articles de ce dossier