« Desert of Namibia » : Yamanaka Yôko, la jeune prodige du cinéma japonais, tient ses promesses
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Naissance d’une étoile de la réalisation
Les amateurs de cinéma japonais connaissent bien Kawai Yuumi qui tient le haut de l’affiche et fait parler d’elle depuis 2022. On ne peut pas en dire autant de Yamanaka Yôko, la réalisatrice du Desert of Namibia, sorti en 2024 où joue la jeune première.
Avec Desert of Namibia, Yamanaka Yôko signe son véritable premier long métrage. Il sort sept ans après Amiko, (2017) que Yamanaka avait produit elle-même et qui avait été salué dans le monde entier. Six mois seulement après son bac, Yamanaka, alors âgée de 19 ans, écrivait son premier scénario. Sans se soucier de son inexpérience, elle aura passé six mois à constituer une équipe, faire passer des castings, tourner et monter son film.
Yamanaka n’a que 20 ans quand Amiko est sélectionné au Festival du film japonais Pia, une compétition récompensant les films indépendants et qui sert souvent de rampe de lancement aux jeunes réalisateurs.
Tourné à un rythme aussi effréné que son calendrier de production a été brusque, Amiko remporte finalement deux récompenses au Festival : le prix du public et le prix Hikari TV. Or ce dernier prix couronne les films ayant fait un usage innovant des dernières technologies et de modes d’expression originaux, « sortant du cadre ».
Alors qu’Amiko se fait une réputation à l’étranger, la critique du monde entier fait bon accueil à Yamanaka qui est la plus jeune réalisatrice à avoir jamais participé au Forum de la Berlinale, l’un des plus grands festivals de cinéma au monde. Sakamoto Ryûichi, le regretté compositeur, qui avait pu visionner le film à New York, avait confié avoir été fortement impressionné, il disait avoir hâte de découvrir les prochaines œuvres de la jeune réalisatrice.
La singularité, la force et la fougue des cinéastes indépendants disparaissent souvent s’ils réalisent un premier film à visée commerciale avec une équipe et un casting professionnels. Mais rien de tout cela pour Desert of Namibia. En passant dans la cour des grands, la réalisatrice n’a rien perdu de sa flamme. Après la projection en première mondiale à la Quinzaine des cinéastes de la 77e édition du Festival international du film de Cannes au début de 2024, son film a remporté le prix de la critique (prix Fipresci).
Après Kurosawa Kiyoshi pour Pulse et Hamaguchi Ryûsuke pour Drive My Car, elle est la sixième cinéaste de nationalité japonaise à décrocher le prestigieux prix de la critique. À 27 ans, Yamanaka est la plus jeune réalisatrice à avoir remporté ce prix. L’industrie cinématographique japonaise a enfin trouvé son enfant terrible de la caméra.
Une héroïne de cinéma nouvelle tendance
La réalisatrice et l’actrice principale ont en partage l’histoire d’une très belle rencontre. Il y a sept ans, Yamanaka a reçu une lettre de Kawai qui était alors en dernière année de lycée, la jeune fille lui écrivait combien Amiko lui avait donné envie de devenir actrice, elle lui disait combien elle aimerait jouer un jour dans l’un de ses films. L’ascension de la jeune actrice l’a certainement influencée, Yamanaka l’a vue année après année gagner en expérience et en assurance. Avec Desert of Namibia le rêve est devenu réalité.
Yamanaka a écrit son nouvel opus en pensant à Kawai. Quand le projet a pris forme, les deux femmes ont compris combien l’alchimie prenait, un nouveau format d’héroïne de film est né tout naturellement de leur partenariat artistique.
Le personnage principal est une jeune femme de 21 ans répondant au nom de Kana (Kawai Yuumi). On la retrouve dans un café car une de ses amies souhaitait lui parler d’un sujet sérieux. Songeuse, Kana se laisse distraire par les voix qui l’entourent. Indifférente au sort de son amie, elle n’est pas du tout à l’écoute mais, son interlocutrice finit malgré tout de lui raconter toute son histoire.
Quand vient le moment de se dire au revoir, son amie lui dit ne pas vouloir rester seule, Kana qui n’a pas le cœur de la laisser tomber, l’emmène dans un club où de jeunes hommes proposent leurs services. Mais Kana quitte rapidement les lieux. Elle laisse son amie derrière elle, car elle a rendez-vous avec un jeune homme qui l’attend non loin de là.
C’est une liaison naissante, Kana et Hayashi (Kaneko Daichi) passent du bon temps puis se séparent. Kana retourne alors chez son petit ami Honda (Satô Kan’ichirô). Au matin, la magie de la nuit précédente s’est dissipée, Kana se rend à son travail à bicyclette en tirant sur une petite cigarette. Elle travaille dans un salon de beauté spécialisé dans l’épilation. Fidèle à sa routine habituelle, elle échange des banalités avec ses clients. La journée s’achève bientôt.
Une oasis et sa fontaine, sur le point de déborder
Les vingt premières minutes d’introduction suffisent à captiver le public qui goûte déjà les moindres faits et gestes de Kana. Au fil des péripéties et des hasards de la vie, on voit par la suite évoluer ses relations. Le reste du film est traversé de suspense, mais les aléas du quotidien rongent psychologiquement Kana de l’intérieur. Les amants sont constamment en butte avec le monde qui les entoure et qui menace leur temps et leur espace. Kana sort et se mêle aux autres mais elle se sent bombardée de mots, de gestes et de regards auxquels elle peine à donner sens. À bien y regarder, elle distingue tout autour d’elle des signes de dépravation. Plus on decouvre le for interieur de la jeune femme, plus on voit se dessiner entre des événements apparemment sans lien les uns avec les autres une logique subtile. Dans Desert of Namibia, Yamanaka nous décrit avec finesse l’évolution du paysage émotionnel de son personnage.
Le sens des dialogues du film est rarement facile à saisir. À l’instar de tout ce que l’on se dit au quotidien, les reparties n’ont pour autre fonction que de pousser l’interlocuteur à réagir. Pour Kana, ces interactions sont juste un moyen de passer le temps. Ses émotions, floues et comme suspendues en l’air, finissent par exploser et dégénérer en violence.
Dans Desert of Namibia, la palette émotionnelle est d’une richesse exceptionnelle et beaucoup d’autres films paraissent médiocres en comparaison. Ces affects qui ne peuvent passer par des pleurs, des sourires ou des cris, restent à tourbillonner sans cesse dans les cœurs. Grâce à son utilisation magistrale de dialogues simples, son attention aux expressions du visage et sa maîtrise de la caméra, Yamanaka fait sentir au public cette complexité et nous en montre les moindres fluctuations.
La narration permet au public de pénétrer dans les profondeurs du cœur de Kana, même si on ressent un petit effet repoussoir quand entre en jeu son inimitable sens de l’humour. Le film met à distance et fait exploser le carcan de la société japonaise moderne. Il fait souffler un air si rafraîchissant que beaucoup y verront le meilleur film sur le passage à l’âge adulte jamais sorti depuis des lustres. Original et mystérieux, il a le pouvoir d’émouvoir les foules. La venue de Yamanaka Yôko et de Kawai Yuumi dans le monde du cinéma japonais est un cadeau, leur deux talents décortiquent et éclairent la société moderne comme jamais.
Le film
- Réalisateur, scénariste : Yamanako Yôko
- Casting : Kawai Yuumi, Kaneko Daichi, Satô Kan’ichirô, Shintani Yuzumi, Nakajima Ayumu
- Année : 2024
- Site officiel : https://happinet-phantom.com/namibia-movie/
Bande-annonce
(Photo de titre © 2024 Desert of Namibia Production Committee)