Films et séries à l’affiche

« Look Back » : un film d’animation qui capture la joie et la souffrance de la créativité artistique

Cinéma Anime Manga/BD

Le manga à succès de Fujimoto Tatsuki, Look Back, qui met en lumière les luttes internes des artistes, a récemment été adapté en film d’animation.

Le monde du mangaka Fujimoto Tatsuki

(© Fujimoto Tatsuki / Shûeisha, © 2024 Look Back Production Committee)
(© Fujimoto Tatsuki / Shûeisha, © 2024 Look Back Production Committee)

Fujimoto Tatsuki est notamment connu pour son manga Chainsaw Man (édité en français chez Kazé), un succès mondial avec 26 millions d’exemplaires imprimés à travers le monde. Son dernier arc narratif, « Public Safety Saga », s’est achevé en 2020. Mais à la surprise de tous, avant de lancer la suite de la série, Fujimoto a dit qu’il souhaitait d’abord sortir une histoire indépendante intitulée Look Back. Cette annonce a suscité une grande attente chez les fans et les professionnels du secteur : quel genre d’histoire le créateur à succès allait-il offrir au monde cette fois-ci ?

Look Back se concentre sur deux jeunes femmes essayant de devenir mangakas. Fujino est une écolière qui gagne l’estime de ses camarades pour un manga en quatre cases publié dans le journal de l’école. Pleine de fierté, elle minimise son travail acharné en prétendant qu’il ne lui a fallu que cinq minutes pour le dessiner. L’autre protagoniste est Kyômoto, une camarade de classe qui refuse de sortir de chez elle et d’aller en cours. Lorsqu’elle tombe par hasard sur le manga de Fujino dans le journal, elle est dévorée de jalousie face à son talent.

Fujino et Kyômoto finissent par se rencontrer, deviennent de véritables âmes sœurs et décident de travailler ensemble sur un nouveau manga. Le duo partage le rêve de devenir des mangakas professionnelles mais se heurte à des réalités difficiles et à des obstacles inattendus en chemin.

Cette nouvelle histoire de passage à l’âge adulte entre deux jeunes filles prend des tournants captivants. (© Fujimoto Tatsuki / Shûeisha, © 2024 Look Back Production Committee)
Cette nouvelle histoire de passage à l’âge adulte entre deux jeunes filles prend des tournants captivants. (© Fujimoto Tatsuki / Shûeisha, © 2024 Look Back Production Committee)

Il est clair que cette histoire est profondément personnelle pour Fujimoto. Les deux protagonistes, Fujino et Kyômoto, partagent chacune un des idéogrammes de son nom. L’établissement dans lequel il a étudié, l’Université des Arts et du Design du Tôhoku, fait une apparition, et le manga de Fujino Shark Kick semble être une variation de la série qui a marqué les débuts de Fujimoto, à savoir Fire Punch.

Lors de la promotion de l’adaptation animée de Look Back, Fujimoto a déclaré que cette œuvre représentait pour lui une tentative « d’accepter quelque chose qu’il ne pouvait pas auparavant ». Le réalisateur du film, Oshiyama Kiyotaka, affirme qu’il s’est senti « en résonance » avec Fujimoto en lisant ce manga.

La solitude, la douleur et le plaisir de la création

Le réalisateur Oshiyama a fait ses débuts en tant qu’animateur sur des projets d’envergure tels que Evangelion : 2.0 You Can (Not) Advance (2009), Arrietty, le petit monde des chapardeurs (2010), et Le vent se lève (2013). Pour Look Back, il a cumulé les fonctions de concepteur des personnages, de directeur de l’animation et d’animateur. Il a lui-même dessiné une grande partie du film, en s’appropriant le trait distinctif de Fujimoto pour transposer à l’écran la passion des créatifs.

Au début du film, la caméra effectue un panoramique allant d’une lune partiellement cachée par des nuages vers la lumière qui émerge des maisons, puis qui se concentre sur une chambre sombre, où une jeune fille dessine au crayon sous une lampe de bureau. Elle travaille, stoppe son mouvement pour réfléchir, puis se remet à dessiner. Un miroir sur le bureau capte l’expression de son visage, révélant ses véritables sentiments.

Cette séquence d’ouverture n’apparaît pas dans le manga original de Fujimoto. Mais cette scène d’une créatrice livrant une bataille solitaire avec une page sur son bureau, dans une quiétude introspective, pose rapidement le ton du film. Cette lutte est ce qui bouleverse le cœur de Fujino lorsqu’elle rencontre Kyômoto, et la raison de sa joie lorsque cette dernière apprécie son travail. Et c’est quelque chose à laquelle notre apprentie mangaka ne peut échapper alors qu’elle continue de dessiner inlassablement.

Le film dévoile les batailles auxquelles sont confrontées ceux qui veulent faire de l’animation. (© Fujimoto Tatsuki / Shûeisha, © 2024 Look Back Production Committee)
Le film dévoile les batailles auxquelles sont confrontées ceux qui veulent faire de l’animation. (© Fujimoto Tatsuki / Shûeisha, © 2024 Look Back Production Committee)

Le film est une adaptation fidèle du manga, mettant en avant les luttes, les joies et la solitude de ceux qui créent. Les différences avec le manga se trouvent dans des changements subtils dans la structure de l’histoire ou dans les dialogues. Kawai Yuumi, qui prête sa voix à Fujino, et Yoshida Mizuki, qui interprète Kyômoto, rendent si bien les émotions délicates de ces jeunes créatrices encore immatures qu’il est difficile de croire qu’il s’agit de leurs débuts en tant qu’actrices de doublage professionnelles.

La capacité de l’animation à tisser le temps

D’innombrables mangas ont été adaptés en films live ou en animations. Ce qui rend Look Back unique, c’est son approche de la représentation du temps. Cet aspect, impossible à transcrire sur le papier, distingue le film du manga en ajoutant une nouvelle profondeur à l’histoire.

Un élément clé est le temps que Fujino passe à dessiner sur son bureau, et celui qu’elle passe à marcher, déprimée par le talent de Kyômoto. C’est aussi le moment où Kyômoto sort précipitamment de chez elle lorsque Fujino s’y présente à l’improviste, et l’instant où Kyômoto danse sous la pluie, baignée dans le plaisir d’avoir vu son talent reconnu.

Tous ces moments sont représentés en cadres fixes dans le manga. Mais le pouvoir de l’animation est de combler les interstices, permettant aux scènes de prendre vie, touchant le cœur des spectateurs de manière exaltante et satisfaisante.

La bande-son de Haruka Nakamura est utilisée avec un grand effet dramatique. (© Fujimoto Tatsuki / Shûeisha, © 2024 Look Back Production Committee)
La bande-son de Haruka Nakamura est utilisée avec un grand effet dramatique. (© Fujimoto Tatsuki / Shûeisha, © 2024 Look Back Production Committee)

Le charme des films en prises de vue réelles réside dans leur capacité à capturer des moments inattendus par hasard. L’animation, créée image par image, manque de cette spontanéité. Il peut y avoir des accidents heureux dans le processus de dessin, mais les personnages et leurs expressions, les scènes et décors, ainsi que le flux temporel qui relie le tout, sont le fruit d’un travail méticuleux, motivé par une vision et une passion.

Le film représente une fusion des visions créatives de Fujimoto, qui a imaginé l’histoire, et d’Oshiyama, qui l’a dotée d’un sens du temps à travers sa mise en scène. Il n’est pas étonnant que cette collaboration ressemble à celle de Fujino et Kyômoto au sein du drame qui les lie. L’histoire de ces deux personnages, avec leurs pulsions créatives incessantes et leurs conflits, symbolise les luttes que rencontrent tous les hommes et les femmes qui consacrent leur vie au dessin, que ce soit sur la page, sur l’écran ou ailleurs.

Les énergies terrifiantes de la création

Couverture du manga original (© Fujimoto Tatsuki / Shûeisha)
Couverture du manga original (© Fujimoto Tatsuki / Shûeisha)

La création et la créativité ne sont pas toujours des forces positives. Le génie de Look Back réside dans sa représentation de forces brutes déchaînées par l’acte créatif à travers l’histoire de deux filles talentueuses. Les mondes et les produits qu’elles font naître n’ont peut-être aucune utilité pratique en eux-mêmes, mais ils possèdent le pouvoir de changer la vie des autres. Cette énergie peut entraîner certains dans un abîme terrifiant.

Depuis la sortie du manga original, de nombreuses discussions ont porté sur certains aspects de l’histoire qui rappellent l’attaque incendiaire meurtrière contre les studios de Kyoto Animation en juillet 2019. Lorsque Fujimoto a déclaré que cette œuvre représentait pour lui un effort « pour accepter quelque chose qu’il ne pouvait pas auparavant », cela suggère que l’histoire n’est pas simplement une exploration personnelle, c’est également une tentative de réconcilier la relation entre la création et la société. C’est peut-être pour cela que la seconde moitié du film est si captivante. L’incapacité de Fujimoto à accepter la tragédie du début du manga donne encore plus de profondeur au drame.

Et cela ne tient pas seulement au fait que ce film est le fruit du travail de nombreuses mains. Comme je l’ai écrit, il traite le flux du temps de Fujino et de Kyômoto avec une habileté que le manga seul ne pouvait pas atteindre, jusque dans les moindres détails. Chaque instant s’y montre particulièrement précieux : une fois passé, il ne peut jamais revenir. L’impact émotionnel du climax est quelque chose que seul un film, avec son flux temporel particulier, peut offrir.

La force, mais également la limite du manga, réside dans la capacité du médium à découper le temps en moments distincts, en cadres et en pages. Ce travail sur la temporalité a été sublimé tout au long du film, depuis ses premiers instants jusqu’à son inévitable conclusion. Malgré sa durée particulièrement courte (moins d’une heure), le sens du temps dans le film est exquis : on tient ici un nouveau chef-d'œuvre né du travail d’un des mangakas les plus talentueux de notre époque.

(© Fujimoto Tatsuki / Shûeisha, © 2024 Look Back Production Committee)
(© Fujimoto Tatsuki / Shûeisha, © 2024 Look Back Production Committee)

Bande-annonce

(Photo de titre © Fujimoto Tatsuki/Shūeisha; © 2024 Look Back Production Committee)

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