Shodô, l’art de la calligraphie au Japon

Une vie avec la trisomie : un portrait intime de la calligraphe Kanazawa Shôko bénie par l’amour d’une mère

Art Cinéma

Doi Emiko [Profil]

Le talent de la calligraphe Kanazawa Shôko est reconnu au Japon et dans le monde depuis 2005. Un documentaire nous dépeint sa vie mais aussi celle de sa mère Yasuko et ses combats pour surmonter au quotidien les difficultés liées à la trisomie. Le film est une ode à la vie, à l’amour, et à la persévérance.

Faire le « vide »

Le documentaire déborde de scènes émouvantes où l’on voit Shôko le pinceau à la main. Avant ses démonstrations en public, elle s’agenouille toujours en seiza pour adresser une prière à l’esprit de son père décédé. Après un silence feutré où quelque chose d’intangible semble descendre sur elle, la calligraphe s’empare du lourd pinceau qu’elle fait courir sur le papier sans le moindre effort apparent. « Je veux juste rendre les gens heureux. », dit-elle. Même devant un public nombreux, elle dit n’avoir jamais eu le trac.

Yoshida Masamichi est à la tête du temple Kenchô-ji à Kamakura. Il décrit Shôko et son travail comme l’exemple même de ce que les adeptes du zen cherchent à atteindre par leurs pratiques de méditation. « La plupart du temps quand on fait de la calligraphie, on est comme sous pression car on veut écrire les idéogrammes du mieux possible. Shôko ne semble pas être dans cet état d’esprit. Dans ses calligraphies se reflète parfaitement ce “vide” (mushin) dont seule est capable une personne totalement plongée dans le moment présent, libérée de toute colère, peur ou ego. »

Shôko calligraphie dans la salle de prière du temple Ryôun-ji. (© Masterworks)
Shôko calligraphie dans la salle de prière du temple Ryôun-ji. (© Masterworks)

De nombreuses personnalités du bouddhisme japonais ont été impressionnées par les calligraphies de Shôko. L’un de ses plus grands admirateurs est Kimiya Kôshi, un moine du temple Ryôun-ji à Hamamatsu (préfecture de Shizuoka), où tous les ans a lieu une exposition des œuvres de Shôko. Kimiya ne tarit pas d’éloges : « Ses calligraphies illustrent parfaitement le concept de sunyata, ou vacuité, qui est l’essence du Sutra du cœur. Elles sont si inspirées qu’on dirait qu’elles ont été calligraphiées par un bouddha. » Au Ryôun-ji, la salle de prière principale a été aménagée pour pouvoir accueillir l’immense version du Sutra du cœur que Shôko a réalisée pour ses trente ans. Avec ses 4 mètres de haut et ses 18 mètres de long, on dit que c’est « le plus grand Sutra du cœur du monde ».

De l’empathie pour les enfants

Shôko a calligraphié dans certains des lieux saints les plus célèbres du Japon : des temples bouddhistes qui ont marqué l’histoire comme le Hôryû-ji et le Tôdai-ji à Nara, le Ken’nin-ji à Kyoto ou le Kenchô-ji à Kamakura, mais elle a aussi officié à Ise, le plus important de tous les sanctuaires shinto du pays. Lorsqu’elle calligraphie dans des temples ou des sanctuaires aussi célèbres, les séances sont souvent publiques et il n’est pas rare de voir des parents et leurs enfants trisomiques parmi les spectateurs.

Une calligraphie de Shôko exposée au temple Ken’nin-ji à Kyoto à côté du célèbre trésor national peint par Tawaraya Sôtatsu représentant les dieux du vent et du tonnerre. (Avec l’aimable autorisation du Ken’nin-ji)
Une calligraphie de Shôko exposée au temple Ken’nin-ji à Kyoto à côté du célèbre trésor national peint par Tawaraya Sôtatsu représentant les dieux du vent et du tonnerre. (Avec l’aimable autorisation du Ken’nin-ji)

De l’espoir plein les yeux, de jeunes mères écoutent Yasuko parler. Shôko est assise non loin sur le tatami, elle caresse doucement la tête des bébés et des enfants, ou les prend dans ses bras.

« Quand un enfant commence à pleurer, on se demande bien sûr quoi faire pour qu’il cesse et sèche ses larmes. Mais Shôko, elle, s’approche et caresse la tête de l’enfant. Elle est submergée d’empathie et verse elle-même des larmes avec lui. », explique le révérend Kimiya. « Au-delà de ses merveilleuses calligraphies, elle a beaucoup à nous apprendre sur l’empathie et la bonté. »

Ce que l’avenir réserve

Le monde de l’art ne tarit pas d’éloges sur le travail de Shôko. « Il ne fait aucun doute qu’elle est une véritable artiste. », déclare Miyata Ryôhei, le sculpteur sur métal qui a été président de l’Université des arts de Tokyo et commissaire de l’Agence pour les affaires culturelles. Pour Senju Hiroshi, un peintre de style Nihonga (peinture classique japonaise) basé à New York qui a lui-même créé d’immenses œuvres pour de célèbres temples comme le Kongôbu-ji au Kôyasan (préfecture de Wakayama), la calligraphie du « Sutra du cœur empreint de larmes » de Shôko dégage « la même force qui émane du travail de sculpteurs comme Constantin Brâncuşi et Noguchi Isamu ».

À la fin du documentaire, Senju explique que les calligraphies de Shôko sont exactement le type d’œuvres dont notre époque a besoin tant dans nos sociétés, la vie semble parfois s’atrophier, se flétrir et crouler sous le poids de l’anxiété et du stress. Pour ceux qui ont vu Shôko calligraphier, ces propos sont aussi rafraîchissants que l’éclaboussure s’échappant d’une de ces célèbres cascades peintes dont Senju a le secret.

Le film vaut la peine d’être vu, ne serait-ce que pour entendre Senju encourager et faire l’éloge sa cadette et son message aura certainement un impact sur les spectateurs, il leur donnera envie de suivre Shôko et de s’enthousiasmer pour les œuvres incroyables qu’elle nous réserve et continuera certainement de nous donner dans les années à venir.

Shôko et sa mère en prière avant une démonstration de calligraphie dans la salle du Ryôun-ji, ornée du « plus grand Sutra du cœur du monde » calligraphié par Shôko. (© Masterworks)
Shôko et sa mère en prière avant une démonstration de calligraphie dans la salle du Ryôun-ji, ornée du « plus grand Sutra du cœur du monde » calligraphié par Shôko. (© Masterworks)

Kanazawa Shôko

Kanazawa Shôko

Née à Tokyo en 1985. Calligraphe connue sous le nom de Shôran. A commencé à apprendre la calligraphie avec sa mère, dès l’âge de cinq ans. Première exposition personnelle intitulée Shôko, sho no sekai (Shôko, le monde de l’écriture) en 2005, à Tokyo. A ensuite présenté ses œuvres dans des temples bouddhiques prestigieux notamment le Kenchôji de Kamakura, le Kenninji de Kyoto et le Tôdaiji de Nara. À l’étranger, elle a exposé pour la première fois à New York en 2015 et la même année, elle a eu droit à deux expositions personnelles dans les villes tchèques de Pilsen et de Prague. Auteur, en collaboration avec sa mère, de plusieurs ouvrages dont Tamashii no sho : Kanazawa Shôko sakuhinshû(L’écriture de l’âme : recueil des œuvres de Kanazawa Shôko) et Umi no uta, yama no koe : Shoka Kanazawa Shôko inori no tabi (Chant de la mer, voix de la montagne : l’itinéraire spirituel de la calligraphe Kanazawa Shôko).

(© Masterworks)
(© Masterworks)

« Vivre ensemble : Kanazawa Shôko, calligraphe» (Tomo ni ikiru : Shoka Kanazawa Shôko)

  • Réalisé par Miyazawa Masaaki, 2023
  • Produit par Kamata Yûsuke, © Masterworks
  • Durée : 79 minutes
  • Site web (en japonais uniquement) : https://Shôko-movie.jp

Bande-annonce

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Doi EmikoArticles de l'auteur

Rédactrice, éditrice et coordinatrice à Nippon.com. Elle a auparavant travaillé pour le bureau de Tokyo du groupe de presse américain spécialisé dans les journaux et les publications Internet Knight Rider (racheté en 2006 par l’entreprise de presse écrite américaine McClatchy Company).

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