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« L’affaire Winny » : l’histoire vraie d’un Japonais programmeur de génie qui choisit de se battre

Cinéma Technologie

Matsumoto Takuya [Profil]

L’internet est devenu un outil essentiel de notre vie quotidienne à tous. Et pourtant, le haut débit et les connexions permanentes n’existent que depuis une petite vingtaine d’années. À cette époque s’est produit justement un incident qui marquera l’histoire de l’internet japonais. Un développeur de logiciels de partage de fichiers est arrêté. Le film Winny relate l’ensemble de l’affaire, en particulier la reconstitution réaliste du procès en appel contre le programmeur Kaneko Isamu. Nous nous sommes entretenus avec le réalisateur, Matsumoto Yûsaku.

Matsumoto Yûsaku MATSUMOTO Yūsaku

Né en 1992 dans la préfecture de Hyôgo. Il commence à réaliser des films dès son entrée au Visual Arts College d’Osaka. Son premier long métrage professionnel en indépendant est réalisé en 2019 Noise Noise, qui est officiellement invité dans de nombreux festivals internationaux et connaît une sortie en salle remarquée à New York et San Francisco. En 2022, il fait ses débuts dans le cinéma commercial avec Zenbu, Boku no Sei (« Tout est de ma faute »). Parmi ses autres œuvres figurent les courts métrages Bagmati River (2022) et Made in Japan (2018), une série dramatique, etc. Son troisième long métrage, Winny, est sorti en mars 2023.

Pourquoi et comment décide-t-on de se battre ?

Son premier long métrage indépendant, Noise Noise, datait de 2017. Le film présentait un portrait très cru des idoles underground, de lycéennes, de livreurs en statut précaire qui suivent une formation continue en parallèle, 8 ans après les meurtres en aveugle dans le quartier d’Akihabara. Lors d’une projection en avant-première, Matsumoto a rencontré l’alpiniste Kuriki Nobukazu.

« C’est lui qui a soutenu mon rêve de faire d’autres films. Je l’ai rencontré lors d’une projection, et il m’a invité à l’accompagner sur l’Everest. J’ai répondu à la légère, croyant qu’il s’agissait d’une blague, mais nous y sommes vraiment allés (rires). »

En 2018, Matsumoto a donc accompagné l’équipe de Kuriki pour filmer un documentaire sur l’ascension de l’Everest. Cependant, non seulement il a dû rentrer plus tôt que prévu pour raison de santé, mais il n’a jamais plus revu son ami : renonçant à sa huitième tentative, Kuriki a fait une chute mortelle lors de la descente, à l’âge de 35 ans.

L’année suivante, comme une manière de faire son deuil, Matsumoto est retourné au Népal et a tourné un court métrage de 29 minutes, Bagmati River, déjà avec la participation au scénario de Kishi Kentarô, le directeur de la photographie qu’il retrouvera dans Winny. Kishi aussi est un fervent alpiniste et avait suivi Kuriki pour gravir l’Everest.

Winny, c'est aussi l'histoire d’une amitié entre Kaneko Isamu et Dan Toshimitsu. (© Comité de production de Winny, 2023)
Winny, c’est aussi l’histoire d’une amitié entre Kaneko Isamu et Dan Toshimitsu. (© Comité de production de Winny, 2023)

Le projet Winny coïncide avec ce moment où les deux amis, Matsumoto et Kishi, tentent de repartir après la perte de Kuriki, leur ami commun. Quand ils tombent sur le projet Winny, ils découvrent le personnage de Kaneko Isamu, lui aussi un génie dans son domaine, qui suivait sa propre voie sans se soucier des critiques du public.

« Vous n’avez peut-être pas tort. Je n’y avais pas pensé, mais effectivement, il y a peut-être des similitudes. Comme le fait de se concentrer sur une chose au point de perdre de vue le monde qui les entoure. J’ai bien connu Kuriki, même si cela ne dura que très peu de temps. Il avait un côté mystérieux que je ne parvenais pas à cerner. Et d’après ce que m’ont dit plusieurs personnes, il semble que Kaneko aussi… »

L'affaire de la caisse noire de la police préfectorale d'Ehime, qui a fait grand bruit au même moment que l'affaire Winny, est également évoquée en parallèle. (© Comité de production de Winny, 2023)
L’affaire de la caisse noire de la police préfectorale d’Ehime, qui a fait grand bruit au même moment que l’affaire Winny, est également évoquée en parallèle. (© Comité de production de Winny, 2023)

À travers « l’affaire Winny », un événement qui fait désormais partie de l’histoire de l’internet japonais, Matsumoto a voulu présenter Kaneko comme un homme qui a su préserver un attrait humain, malgré son génie, malgré la solitude que lui a valu ce génie, malgré sa maladresse, aussi. Le propos du film est également de comprendre pourquoi il a décidé de se battre, même si cela signifiait user prématurément sa propre vie.

« Ce qui m’a le plus marqué dans le personnage de Kaneko, c’est qu’après avoir perdu son premier procès, il n’a pas fait le choix de retourner à la programmation, son domaine d’expertise. Il a choisi de se battre et de faire appel. C’est un message pour les futurs ingénieurs et pour la société japonaise tout entière. L’affaire Winny n’est pas une simple question de responsabilité, c’est une combinaison d’effets entre le faible niveau de la culture informatique des gardiens de l’ordre, la pression sociale pour une attitude proactive, un système pénal problématique, etc. Il y a beaucoup de choses qui n’ont pas changé en 20 ans. J’espère que le film contribuera à faire comprendre les idées de Kaneko, ne serait-ce qu’un peu. »

(Photos : Hanai Tomoko, sauf mentions contraires)

(© Comité de production de Winny, 2023)
(© Comité de production de Winny, 2023)

Le film

  • Réalisateur et scénariste : Matsumoto Yûsaku
  • Distribution : Higashide Masahiro, Miura Takahiro,  Minagawa Sarutoki, Wada Masato, Kiryû Mai, Ikeda Dai, Kaneko Daichi, Abe Shin’nosuke, Sibukawa Kiyohiko, Tamura Taijirô,  Watanabe Ikkei / Yoshida Yô, Fukikoshi Mitsuru et Yoshioka Hidetaka
  • Directeur de la photographie et co-scénariste : Kishi Kentarô
  • Lieu de tournage : Japon
  • Année : 2023
  • Site officiel : winny-movie.com

Bande-annonce

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Matsumoto TakuyaArticles de l'auteur

Rédacteur et éditeur à Nippon.com depuis juillet 2011, notamment en charge du cinéma. Installé en France de 1995 à 2010, il a travaillé pour une agence de traduction avant de devenir rédacteur en chef adjoint de la publication gratuite France Zappa destinée à la communauté japonaise en France, puis rédacteur en chef du magazine Bonzour.

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