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« L’affaire Winny » : l’histoire vraie d’un Japonais programmeur de génie qui choisit de se battre

Cinéma Technologie

Matsumoto Takuya [Profil]

L’internet est devenu un outil essentiel de notre vie quotidienne à tous. Et pourtant, le haut débit et les connexions permanentes n’existent que depuis une petite vingtaine d’années. À cette époque s’est produit justement un incident qui marquera l’histoire de l’internet japonais. Un développeur de logiciels de partage de fichiers est arrêté. Le film Winny relate l’ensemble de l’affaire, en particulier la reconstitution réaliste du procès en appel contre le programmeur Kaneko Isamu. Nous nous sommes entretenus avec le réalisateur, Matsumoto Yûsaku.

Matsumoto Yûsaku MATSUMOTO Yūsaku

Né en 1992 dans la préfecture de Hyôgo. Il commence à réaliser des films dès son entrée au Visual Arts College d’Osaka. Son premier long métrage professionnel en indépendant est réalisé en 2019 Noise Noise, qui est officiellement invité dans de nombreux festivals internationaux et connaît une sortie en salle remarquée à New York et San Francisco. En 2022, il fait ses débuts dans le cinéma commercial avec Zenbu, Boku no Sei (« Tout est de ma faute »). Parmi ses autres œuvres figurent les courts métrages Bagmati River (2022) et Made in Japan (2018), une série dramatique, etc. Son troisième long métrage, Winny, est sorti en mars 2023.

Qu’est-ce que l’affaire Winny ?

« Winny » est le nom d’un logiciel révolutionnaire de partage de fichiers qui utilisait la technologie de communication peer-to-peer (P2P). Il a connu un énorme succès parmi les utilisateurs d’ordinateurs il y a près de 20 ans. La technologie était inédite en ce qu’elle permettait d’échanger des données sur un réseau sans avoir besoin d’un serveur.

Le point faible de cette technologie était qu’en protégeant l’anonymat des membres du réseau, cette fonction permettait de l’utiliser à mauvais escient pour des activités criminelles ou délictuelles, telles que la violation des droits d’auteur par le téléchargement de copies illégales de films, de musique, de jeux et de dessins animés, la diffusion d’images obscènes ou de pornographie enfantine, et la propagation de virus informatiques.

Dans la lutte contre les utilisateurs illégaux, la police a fait des développeurs de logiciels sa cible principale, en arrêtant Kaneko Isamu, le créateur de « Winny », sous l’inculpation de « complicité d’infraction au droit d’auteur ». Kaneko était un programmeur de génie dont la réputation disait qu’il était capable de créer en deux semaines un programme qui aurait normalement pris trois ans, et qui était à l’époque professeur adjoint spécialement nommé à l’École supérieure des sciences et technologies de l’information de l’Université de Tokyo.

Higashide Masahiro, qui joue Kaneko Isamu, le développeur de « Winny », a pris 18 kg pour le tournage. (© Comité de production de Winny, 2023)
Higashide Masahiro, qui joue Kaneko Isamu, le développeur de « Winny », a pris 18 kg pour le tournage. (© Comité de production de Winny, 2023)

L’arrestation d’un développeur de logiciels est une situation inhabituelle. On ne peut s’empêcher de penser qu’un schéma spécifique était à l'œuvre derrière cette action. Une fois le suspect arrêté, la police et les procureurs ont travaillé à sa mise en accusation jusqu’à sa condamnation. Pas besoin de beaucoup d’imagination pour comprendre que Kaneko, qui ne connaissait rien aux affaires publiques en dehors de la programmation, est devenu victime des manœuvres autour de lui.

C’est fin mai 2004 que Kaneko a été inculpé, et la mise en accusation portait sur la question : l’accusé avait-il l’intention de « favoriser les violations du droit d’auteur » ? En première instance, Kaneko a été condamné à une amende de 1,5 million de yens, mais en appel, la Haute Cour est revenue sur sa décision et l’a acquitté. L’affaire a ensuite été portée devant la Cour Suprême, mais en décembre 2011, la condamnation a été cassée et l’acquittement de Kaneko a été confirmé à l’issue d’un procès qui a duré au total sept ans et demi.

Or, à peine un an et demi après son retour dans la recherche, Kaneko est décédé d’un infarctus. Il avait 42 ans. On a regretté une mort si jeune, en particulier en considération que plus d’un sixième de sa courte vie avait été gaspillée dans des interrogatoires et des procès au lieu de concourir au progrès de la science pour laquelle il était si doué.

La presse entoure Kaneko à la sortie du tribunal. (© Comité de production de Winny, 2023)
La presse entoure Kaneko à la sortie du tribunal. (© Comité de production de Winny, 2023)

Le film Winny dépeint ces événements de manière factuelle, tout en apportant un éclairage nouveau sur les sept années et demie pendant lesquelles Kaneko s’est battu. Ces années n’ont pas été complètement vaines. Après le premier procès en décembre 2006, il avait la possibilité de payer 1,5 million de yens pour mettre fin au procès. Alors pourquoi a-t-il insisté pour faire reconnaître son innocence ? Le film ne se contente pas de relater les faits, mais utilise des éléments de suspense pour attirer le spectateur sur un rythme haletant, tout en l’amenant à une réflexion globale sur l’affaire et son contexte.

La recherche de la vérité à travers des entretiens approfondis

En 2018, le réalisateur Matsumoto Yûsaku a été approché pour l’adaptation cinématographique. Saisissant l’occasion, il a choisi de réécrire le projet à partir d’un nouveau scénario, afin de décrire l’incident de façon frontale. Pour ce faire, il a d’abord mené des entretiens approfondis avec des personnes directement engagées dans les événements de l’époque.

Le scénario a été co-écrit par Kishi Kentarô, qui est également directeur de la photographie. C’est également un acteur aux multiples talents, présent sur les films de Matsumoto depuis longtemps. La configuration est sans nul doute idéale pour le réalisateur et le caméraman, qui peuvent ainsi discuter les plans et échanger leur vision des choses dès l’étape du scénario. Le réalisateur était encore enfant au moment de l’arrestation de Kaneko, mais Kishi, qui a presque 20 ans de plus, a apporté une vision solide du paysage de la société de l’époque.

« Je savais très peu de choses sur l’affaire, c’est donc comme si j’avais commencé à la couvrir à partir de zéro. J’ai interviewé des gens, j’ai rédigé un scénario et j’ai continué à les interviewer après le début du tournage. Il nous a fallu environ quatre ans pour finaliser les interviews, même après que le tournage a commencé. À certains moments, la production était obligée de s’interrompre, mais cela s’est avéré positif en me permettant de consacrer plus de temps au scénario. »

L’histoire étant basée sur une histoire vraie, Matsumoto a pris le temps d’interviewer les personnes impliquées et à se mettre en phase avec elles pour établir une relation de confiance. Au cours des entretiens, il a rencontré la personne qui connaît probablement l’affaire mieux que quiconque. Il s’agit de Dan Toshimitsu, l’avocat qui a dirigé l’équipe juridique en charge du dossier. Avec Kaneko Isamu, il est l’autre personnage principal du film.

« Lorsque vous décrivez une affaire judiciaire, il est inévitable d’adopter le point de vue de l’avocat. Il a été clair très tôt que je voulais que l’histoire soit celle de Dan et de Kaneko. Dan Toshimitsu m’a appris beaucoup de choses. Si je ne l’avais pas rencontré, je n’aurais pas pu faire ce film. »

Lors des funérailles d'Isamu, sa sœur (Yoshida Yô) s'entretient avec l'avocat Dan (Miura Takahiro). (© Comité de production de Winny, 2023)
Lors des funérailles d’Isamu, sa sœur (Yoshida Yô) s’entretient avec l’avocat Dan (Miura Takahiro). (© Comité de production de Winny, 2023)

Dan a non seulement donné des détails sur Kaneko et sur l’affaire, mais il a également prodigué des conseils à Matsumoto pour présenter le procès de façon réaliste.

« J’ai vu un certain nombre de films connus pour leurs scènes de procès. Mais quand j’ai demandé à de vrais avocats, ils m’ont dit que les procès dans les films n’étaient jamais réalistes. C’est frustrant pour les créateurs. Je comprends l’intention d’adapter la réalité pour les besoins de faire un film. Mais cette fois, il s’agit d’une histoire vraie, alors j’ai voulu faire un drame judiciaire plus réaliste que tout ceux que j’avais vus jusqu’à présent. »

Matsumoto a tenu à comprendre le fonctionnement d’un procès dans les moindres détails avant de commencer le tournage, y compris le langage juridique, cette terminologie et cette rhétorique qui peut paraître si absconse à un non professionnel. Il ne s’est pas contenté d’écouter ce qui s’était dit, il a demandé à de vrais avocats de rejouer le procès Winny et de reproduire l’argumentation et la démonstration juridique. Bien sûr, Higashide Masahiro et Miura Takahiro, les deux acteurs qui interprètent Kaneko et Dan dans le film, participaient à cette reconstitution fictive.

Un lieutenant de la Hi-Tech Crime Unit de la police préfectorale de Kyoto, qui a interrogé Kaneko après son arrestation, témoigne devant le tribunal. (© Comité de production de Winny, 2023)
Un lieutenant de la Hi-Tech Crime Unit de la police préfectorale de Kyoto, qui a interrogé Kaneko après son arrestation, témoigne devant le tribunal. (© Comité de production de Winny, 2023)

« Si je n’avais pas été cinéaste, j’aurais voulu devenir journaliste », déclare Matsumoto.

Ce qui ne l’empêche pas de réaliser des films dont le lien avec le réel est beaucoup plus ténu : séries télés, clips musicaux, publicités… Son éventail est largement ouvert.

« Les thèmes à portée sociale sont ceux vers lesquels mon intérêt se porte principalement. C’est le travail auquel je veux consacrer ma vie. Mais je veux pouvoir faire d’autres choses en même temps. Faire des films de divertissement est également important pour réaliser de bons films. Par exemple, j’ai beaucoup appris en tournant des films que je n’aurais pas choisis moi-même, comme des comédies sentimentales, par exemple. Ne faire que ce qu’on croit aimer est un piège, on acquiert des biais qui ne sont pas tous bons. Pour l’instant, je veux essayer différentes choses, et apprendre beaucoup d’univers différents. »

Suite > Pourquoi et comment décide-t-on de se battre ?

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Matsumoto TakuyaArticles de l'auteur

Rédacteur et éditeur à Nippon.com depuis juillet 2011, notamment en charge du cinéma. Installé en France de 1995 à 2010, il a travaillé pour une agence de traduction avant de devenir rédacteur en chef adjoint de la publication gratuite France Zappa destinée à la communauté japonaise en France, puis rédacteur en chef du magazine Bonzour.

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