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« La Beauté du geste » : l’histoire vraie d’une boxeuse japonaise sourde de naissance

Cinéma

La Beauté du geste, de Miyake Shô, est sorti en France à la fin du mois d’août 2023. Tourné en 16 mm, le film capture les émotions de Keiko, une boxeuse professionnelle de 29 ans née sourde des deux oreilles, à Tokyo pendant la pandémie. Découvrons cette œuvre belle et bouleversante à travers le regard du réalisateur et des deux acteurs principaux.

Le réalisateur Miyake Shô est très apprécié à l’étranger pour certains de ses films tels Playback (2012) et And your bird can sing (2018). Son huitième long métrage, La Beauté du geste, a été tourné en 16 mm, ce qu’il dit avoir toujours voulu faire. Le film a été projeté à Berlin en février 2022, puis dans les festivals internationaux de Londres, de Pusan, et continu d’être invité dans de nombreux autres. Le film est également sorti en France à la fin du mois d’août 2023.

Miyake Shô né en 1984 à Hokkaidô. Parmi ses principaux films : Le Cockpit (2014), And your bird can sing (2018) et Wild tour (2019). Sa participation sur la production des six épisodes de Juon : La Rancune (2020) la première série de films d'horreur japonais de Netflix distribué simultanément dans plus de 190 pays à travers le monde a attiré l’attention sur lui.
Miyake Shô né en 1984 à Hokkaidô. Parmi ses principaux films : Le Cockpit (2014), And your bird can sing (2018) et Wild tour (2019). Sa participation sur la production des six épisodes de Juon : La Rancune (2020) la première série de films d’horreur japonais de Netflix distribué simultanément dans plus de 190 pays à travers le monde a attiré l’attention sur lui.

Une histoire née d’une personne réelle

Le scénario de La Beauté du geste est basé sur l’autobiographie de Ogasawara Keiko, Makenaide (« Ne te laisse pas battre », publiée en 2011), une femme sourde de naissance devenue boxeuse professionnelle. Miyake Shô a hésité lorsque le producteur l’a approché pour la première fois avec le projet, mais en lisant le livre et en faisant des recherches sur la boxe et la déficience auditive, il a été fasciné par la liberté et la sincérité avec laquelle Ogasawara approche l’existence, et a été pris du désir d’en faire un film.

MIYAKE SHÔ  Bien que le film soit basé sur la vie réelle d’Ogasawara Keiko, nous avons changé l’époque, les relations familiales et les noms des personnages. Ce serait évidemment différent s’il s’agissait d’une histoire vieille d’un siècle, mais même si j’avais voulu retrouver la vérité d’une histoire vieille d’à peine dix ans, je ne pense pas que j’aurais été capable de transmettre ce que je voulais dire, parce que j’aurais été trop focalisé sur les différences entre « à cette époque » et « de nos jours ». Pour rendre réellement hommage à ce qu’a vécu cette femme, et qu’elle continue à vivre, j’ai créé une nouvelle histoire. Cela seul me permettait aussi de tirer le maximum des acteurs qui ont travaillé avec moi sur ce film.

Keiko (Kishii Yukino) se consacre à la boxe avec le soutien du propriétaire du club (Miura Tomokazu) que tout le monde appelle « le président ». (© Comité de production du film / COMME DES CINÉMAS)
Keiko (Kishii Yukino) se consacre à la boxe avec le soutien du propriétaire du club (Miura Tomokazu) que tout le monde appelle « le président ». (© Comité de production du film / COMME DES CINÉMAS)

L’attribution du rôle principal tenu à Kishii Yukino a été décidée dès la phase de pré-production. Au début, elle appréhendait l’idée de devoir apprendre à boxer. Cette inquiétude a été balayée par l’entraînement qu’elle a suivi trois mois avant le tournage. Sous la direction de Matsuura Shinichirô, qui joue également le rôle de l’entraîneur dans le film, elle et le réalisateur se sont entraînés comme de vrais débutants.

KISHII YUKINO  Normalement, j’imagine le personnage après avoir lu le scénario, mais cette fois-ci, j’ai commencé à m’entraîner à la boxe avant que le scénario ne soit terminé, et j’ai donc l’impression que Keiko s’est formée au cours de ce processus. Grâce à cela, j’ai pu me superposer au rôle sans aucune idée préconçue.

— Comment avez-vous géré le fait que le modèle est réel ?

K.Y.  Je pensais que si j’essayais de ressembler au personnage ou d’imiter ses gestes, ça aurait donné au mieux une imitation, ce qui est assez grossier, en réalité. Pour ma part, j’ai plutôt cherché à montrer la façon dont moi-même je voyais cette femme qui s’appelle Keiko dans le scénario de Miyake. Ainsi, je pense que nous avons tous regardé dans la même direction, en témoignant le plus grand respect à Ogasawara, en se basant sur le fait que nous, nous racontons notre propre histoire.

Kishii Yukino est née en 1992 dans la préfecture de Kanagawa. Elle a fait ses débuts comme actrice en 2009 et a joué au cinéma, au théâtre, des séries pour la télévision, etc. En 2019, elle a remporté le 43e prix de l'Académie japonaise de la meilleure nouvelle actrice pour Ai ga Nanda (« L’amour, c’est quoi ? »). Avec La Beauté du geste, elle a remporté le Prix de la meilleure actrice principale.
Kishii Yukino est née en 1992 dans la préfecture de Kanagawa. Elle a fait ses débuts comme actrice en 2009 et a joué au cinéma, au théâtre, des séries pour la télévision, etc. En 2019, elle a remporté le 43e prix de l’Académie japonaise de la meilleure nouvelle actrice pour Ai ga Nanda (« L’amour, c’est quoi ? »). Avec La Beauté du geste, elle a remporté le Prix de la meilleure actrice principale.

— En plus de la boxe, vous vous êtes également formée à la langue des signes. Comment s’est passé le fait de jouer un rôle sans dialogue ?

K.Y.  Keiko écrit tous les jours ses sentiments et ses émotions dans un carnet, et c’est aussi une habitude que j’ai personnellement depuis longtemps, de noter des choses que je ne veux pas oublier ou des pensées inexprimées. Je ne suis pas une personne bavarde dans ma vie privée et, en premier lieu, je n’ai pas l’impression de digérer mes émotions en parlant. Je ne me suis pas sentie stressée par l’absence de dialogue. J’ai plutôt pensé que ce que je ressentais en tant que Keiko allait passer directement dans le film, que ce serait là parce que je n’avais pas à l’expliquer avec des mots.

Des acteurs sourds interprètent les amis de Keiko. La scène dans laquelle les trois parlent en langue des signes n’est pas sous-titrée, délibérément. (© Comité de production du film / COMME DES CINÉMAS)
Des acteurs sourds interprètent les amis de Keiko. La scène dans laquelle les trois parlent en langue des signes n’est pas sous-titrée, délibérément. (© Comité de production du film / COMME DES CINÉMAS)

Une atmosphère intense mais heureuse sur le plateau

Miura Tomokazu interprète le rôle du propriétaire du club de boxe que fréquente Keiko. Les nombreuses scènes entre Keiko et lui, comme l’entraînement matinal sur les rives du fleuve Arakawa et le shadow boxing côte à côte devant le miroir de la salle, sont toutes extraordinaires et inoubliables.

Comme le dit Miura Tomokazu, le jour de son arrivée sur le plateau, il a vu Kishii dans la salle de sport, c’était la première fois qu’ils devaient travailler ensemble et il a été immédiatement convaincu que le film serait bon.

MIURA TOMOKAZU  « Vous la tenez déjà ! C’est Keiko ! » (rires). Elle était déjà parfaitement dans l’atmosphère d’une boxeuse professionnelle. J’ai joué le rôle de celui qui la soutient du regard, mais Keiko était là, alors tout ce que j’avais à faire, c’était de l’observer. J’ai fait un peu de boxe quand j’avais une trentaine d’années, donc je sais ce que c’est, mais ce n’est pas rien d’arriver à ce niveau !

Miura Tomokazu né en 1952 dans la préfecture de Yamanashi, Il a fait ses débuts au cinéma en 1974 avec La danseuse d’Izu, pour lequel il a remporté le 18e prix Blue Ribbon du meilleur espoir. Depuis, il a joué dans un grand nombre de films, de séries télévisées et de publicités.
Miura Tomokazu né en 1952 dans la préfecture de Yamanashi, Il a fait ses débuts au cinéma en 1974 avec La danseuse d’Izu, pour lequel il a remporté le 18e prix Blue Ribbon du meilleur espoir. Depuis, il a joué dans un grand nombre de films, de séries télévisées et de publicités.

Kishii Yukino est une actrice dynamique, et quand elle montre des enchaînements complexes, elle a vraiment l’air d’une pro. La scène dans laquelle elle combat avec Matsuura, qui joue son entraîneur à la patte d’ours, est parfaitement convaincant et l’un des moments forts du film.

— Il y a aussi la scène d’entraînement avec le président à la patte d’ours

K.Y.  La scène à la patte d’ours avec Matsuura était vraiment excellente : « Allez frappe, j’ai fait ça toute ma vie ! ». Mais avec Miura, là j’étais très nerveuse !

M.T.  Non, mais attendez, qu’est-ce que ça veut dire, ça ?

K.Y.  Ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance d’avoir le président qui se met la patte d’ours pour vous entraîner ! Là, il fallait que je montre que j’étais vraiment douée, pas vrai ? Étais-je vraiment Keiko ? Je le dis maintenant, et c’est ce que Keiko devait avoir dans la tête à ce moment-là. Mais j’étais beaucoup plus nerveuse qu’avec Matsuura et ce n’était pas simple.

Le « président » et Keiko en shadow boxing devant le grand miroir du club de boxe en faisant du shadow boxing. La communication passe. (© Comité de production du film / COMME DES CINÉMAS)
Le « président » et Keiko en shadow boxing devant le grand miroir du club de boxe en faisant du shadow boxing. La communication passe. (© Comité de production du film / COMME DES CINÉMAS)

M.T.  Dites tout de suite que c’est difficile de se battre contre un partenaire pas doué ! (rires).

K.Y.  Ce n’est pas ce que je voulais dire ! Je pensais que cette tension était l’expression directe de la relation entre Keiko et le président.

— Y a-t-il a eu des tensions sur le plateau ?

M.S.  En voyant Kishii Yukino, Miura Tomokazu et les autres acteurs se tenir littéralement devant la caméra en y mettant tout leur cœur et toute leur âme, tout le staff s’est dit qu’il n’était pas question de gâcher ça en faisant dans l’à-peu-près, et moi aussi. Tout le monde était très concentré, et l’atmosphère du plateau a tout le temps été heureuse et confortable. Le processus de montage a été très amusant et nous avons regardé le film encore et encore et nous avons beaucoup ri.

Keiko vit avec son frère, qui n'est pas handicapé. (© Comité de production du film / COMME DES CINÉMAS)
Keiko vit avec son frère, qui n’est pas handicapé. (© Comité de production du film / COMME DES CINÉMAS)

Voilà, c’est ça, un film

Le réalisateur se souvient d’une anecdote humoristique que Miura Tomokazu lui avait racontée avant le lancement du projet, et qui l’avait marqué.

M.S.  Dans la vie, je trouve qu’un événement grave est toujours suivi le lendemain d’un événement risible. Je me souviens que Miura m’a dit un jour quelque chose comme : « Ce n’est jamais très bon d’être trop sérieux. » C’est parce que nous avions eu des échanges de ce niveau dans le passé, que nous avons pu tourner de manière ouverte et confortable.

— Qu’entendiez-vous par là, Miura Tomokazu ?

M.T.  Par exemple, même pendant les funérailles d’un membre de votre famille, il y aura un moment où vous ne pourrez pas vous empêcher de rire, n’est-ce pas ? Bien sûr, si vous êtes pris d’un fou-rire, ce ne sera peut-être pas très approprié, mais je pense que c’est juste humain de rigoler à certains moments et de pleurer à d’autres. Et l’idéal pour un acteur est peut-être de pouvoir faire sentir aux gens que ce n’est pas contre nature, qu’il y a toutes sortes de gens très différents parmi les humains.

Sendô Nobuko (gauche) interprète la femme du « président ». (© Comité de production du film / COMME DES CINÉMAS)
Sendô Nobuko (gauche) interprète la femme du « président ». (© Comité de production du film / COMME DES CINÉMAS)

K.Y.  C’est exactement ce qui s’est passé avec ce film. Il capture des moments de vie. Rien de sublimement important.

M.T.  Ce n’est pas vraiment une fin heureuse, d’ailleurs.

K.Y.  Non. Le film dépeint la vie quotidienne de Keiko, et même si cela n’a pas vraiment d’importance pour les autres, pour elle, l’idée que le club puisse disparaître la rend malade. Malgré cela, le film capture soigneusement les jours qui passent. Et des jours qui se succèdent aux jours, ça finit par faire ce qu’on appelle une vie, n’est-ce pas ? Je suis vraiment heureuse d’avoir pu me concentrer sur ce point, et je crois qu’on a fait un film vraiment sensible.

— En tant que réalisateur, votre objectif était aussi de filmer l’accumulation des petits riens de la vie quotidienne ?

M.S.  C’est exactement ce que Miura a dit tout à l’heure. Je veux faire des films qui amènent les gens à penser : « Voilà à quoi ressemblent les êtres humains ». Je pense que l’important est de filmer avec précision, après avoir réfléchi à ce que les gens sont en essence, sans idées préconçues ni préjugés, et sans faire de suppositions. C’est ce que j’ai senti en lisant l’autobiographie d’Ogasawara Keiko. Elle est le genre de personne qui ne néglige pas les petits flous du cœur et qui affronte tout avec sincérité. C’est comme cela que j’ai réfléchi à la manière dont j’allais traiter ce sujet, puis j’ai décidé de le concrétiser avec tout le monde.

— Kishii Yukino, Miura Tomokazu, comment vit-on l’expérience de devenir membre de la « Team Miyake » ?

K.Y.  J’étais ravie de pouvoir jouer dans un film en 16 mm à notre époque. J’ai toujours aimé voir des films dans ce format. Le bruit de la bobine dans la caméra, ce son si atypique, est supprimé dans le film fini, n’est-ce pas ? Mais c’est comme le son d’une pioche dans la construction d’un tunnel. J’étais plus qu’heureuse d’entendre le « son d’un film en train de se faire » de mes propres oreilles. La caméra fixe était également intéressante. Elle attend patiemment que je m’approche. Je dois aller vers la caméra tout en esquivant en dansant avec le haut du corps.

M.T.  J’ai grandi avec le cinéma. Cela faisait longtemps que je n’avais pas entendu l’expression « changement de bobine », c’était très nostalgique. J’ai pensé que ce serait bien de tourner au format Vista européen. J’ai ressenti la même chose sur le plateau, et également quand j’ai vu le film terminé. Voilà, un film, c’est ça ! C’est bien aussi qu’il n’y ait que du son d’ambiance, aucun son synthétique.

La satisfaction est synonyme de perfection

K.Y.  Rien ne m’a fait plus plaisir que de pouvoir serrer dans mes bras Mme Ogasawara en larmes à la sortie de l’avant-première (la première projection strictement réservée aux personnes impliquées dans la production). Mme Ogasawara et sa famille étaient tous si heureux. Pour la première fois, j’ai eu l’impression d’avoir atteint un niveau supérieur de satisfaction d’avoir fait le film.

M.T.  Le film est très simple dans sa structure, mais il a beaucoup de force. Après l’avoir vu, la seule chose que j’ai pu dire, c’était : « Intéressant ! » C’est le seul mot qui m’est venu à l’esprit pour le décrire, au vrai sens du terme. J’ai serré tout le monde dans mes bras lorsque j’ai quitté la salle de projection (rires). C’est ce que j’ai ressenti en toute honnêteté à la fin du film. Parce que, Yukino-san, vous êtes extraordinaire dedans. C’est une merveilleuse surprise.

K.Y.  (en larmes) Je suis si heureuse de ce que vous venez de dire !

M.S.  Et moi donc…

M.T.  Déjà, le fait que Mme Ogasawara a vu le film trois fois, ça dit tout.

M.S.  Tous les acteurs dans le film sont extraordinaires. C’est vrai. Même si un compliment du réalisateur, personne ne va y croire (rires). Alors ne parlons que de Kishii Yukino, dès la première vision, son talent crève l’écran.

(© Comité de production du film / COMME DES CINÉMAS)
(© Comité de production du film / COMME DES CINÉMAS)

M.T.  Elle porte le film à bout de bras. On ne voit qu’elle et c’est amplement mérité !

M.S.  Elle a tiré tout le monde à sa suite, il y avait une motivation extraordinaire à donner le meilleur de soi autour d’elle.

M.T.  Kishii Yukino est une actrice qui va marquer le métier à l’avenir, mais de tous les films qu’elle a joués jusqu’à présent, celui-ci est probablement son préféré, je suis sûr ?

K.Y.  Oui...

M.T.  Oh, c’est clair. C’est votre chef-d'œuvre pour le moment.

K.Y.  Je n’arrive pas à imaginer quel genre de rôles je vais rencontrer dans le futur. En repensant au tournage, mes émotions en tant que Keiko, le personnage, étaient plus fortes que les miennes. Le réalisateur s’est occupé de tout l’aspect concret, alors tout ce à quoi je pensais c’était : « Je ne veux pas perdre. Je veux être forte. »

La beauté du geste est aussi une histoire sur un carrefour que la vie nous amène à traverser, tous autant que nous sommes, à savoir continuer à faire ce que nous aimons, ou chercher une nouvelle voie. Kishii Yukino l’a vécu dans ce film avec une acuité de tous ses sens, comme Keiko l’a vécu sur le ring, et sur l’écran.

(Interview réalisée en décembre 2022, avant la sortie du film au Japon. Photos d’interview : Hanai Tomoko)

 (© Comité de production du film / COMME DES CINÉMAS)
(© Comité de production du film / COMME DES CINÉMAS)

Le film

  • Œuvre originale : Makenaide, de Ogasawara Keiko
  • Réalisateur : Miyake Shô
  • Scénario : Miyake Shô, Sakai Masaaki
  • Casting : Kishii Yukino, Miura Tomokazu, Matsuura Shinichirô, Satô Himi, Sendô Nobuko
  • Année : 2022
  • Site officiel : https://happinet-phantom.com/keiko-movie/

Bande-annonce

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